Montagne : le distributeur savoyard Sherpa plie sous le poids du Covid-19

VU DES ALPES. Elle a porté, depuis 32 ans, la distribution alimentaire à plus de 1.000 mètres… La coopérative Sherpa, qui regroupe près de 117 supérettes et supermarchés de montagne, a les jambes coupées. Avec un modèle décliné dans les Alpes, le Jura et les Pyrénées, c’est justement cet ADN montagne qui pèse aujourd’hui de manière inattendue sur ses résultats. Pour l'heure exclu des dispositifs d'urgence imaginé par l'Etat, son réseau de magasins est touché de plein fouet par la mise à l’arrêt forcée des stations.
Formé sous forme de coopérative employant jusqu'à 800 travailleurs saisonniers par saison, le réseau de supérettes Sherpa s'estime comme l'un des oubliés du gouvernement sur cette seconde vague.
Formé sous forme de coopérative employant jusqu'à 800 travailleurs saisonniers par saison, le réseau de supérettes Sherpa s'estime comme l'un des "oubliés" du gouvernement sur cette seconde vague. (Crédits : Sherpa)

La pandémie n'était pas prévue dans son scénario, et encore moins, celui de l'arrêt forcé des remontées mécaniques. Depuis sa création en 1988, le modèle du distributeur alimentaire Sherpa était en pleine ascension. De quelques supérettes de montagne qui souhaitaient s'allier au sein d'une coopérative en vue de regrouper leurs achats, est finalement né un réseau de 117 supermarchés de montagne, tous basés à plus de 1.000 mètres d'altitude ou presque.

Matérialisé, depuis 2000, sous forme de coopérative employant directement 10 salariés, et jusqu'à 800 salariés saisonniers par le biais de ses adhérents, avec un volume de ventes atteignant les 100 millions d'euros pour l'ensemble du réseau l'an dernier.

Un ADN « 100% montagne » que la coopérative, basée à Drumettaz (73), revendique : « Notre activité est par nature saisonnière, et se réalise à 85 % l'hiver, sur une durée de cinq mois environ », explique Olivier Carrié, président de Sherpa.

Et c'est justement ce point qui pose problème, puisque depuis mars dernier, l'économie de montagne a été bouleversée par le Covid-19. « Après la fermeture anticipée des stations en mars dernier qui nous a pris de court, la saison d'été a repris en dent de scie selon les massifs, avec certaines stations qui ont très bien travaillé en août », ajoute Olivier Carrié.

Les comptes des commerçants Sherpa ont réussi à rattraper une partie de retard, même s'il pouvait rester, en fonction des territoires, un manque à gagner allant de 15 à 30% en fonction des massifs. « Entre-temps, le second confinement est arrivé, mais surtout, l'annonce qu'une ouverture n'était pas envisagée avant la mi-janvier », résume-t-il.

Or comme beaucoup de professionnels, les magasins Sherpa avaient déjà commencé à renouveler leurs approvisionnements et à embaucher, pour préparer la saison d'hiver. Difficile de revenir en arrière : « Certains magasins avaient même déjà commencé à rouvrir, et le sont toujours car il est très compliqué de refermer un magasin avec des stocks de marchandises fraîches ».

Mais ce qui plombe particulièrement les comptes du réseau, c'est que celui-ci n'est, pour l'heure pas compris dans la première liste des entreprises touchées par la seconde vague de la crise sanitaire, établie par le gouvernement, et dont dépendent directement l'affectation des aides d'urgence promises par Emmanuel Macron et Jean Castex.

« À ce stade, nous sommes référencés comme un commerce alimentaire qui peut donc poursuivre son activité. Or, la fermeture des remontées mécaniques a un impact direct sur notre activité, puisque les stations accueillent actuellement que 10 % de leurs capacités ».

Et le président du réseau Sherpa d'ajouter : « On nous répond parfois que le ski ne concerne qu'une personne sur deux dans notre région, mais on oublie souvent de dire que ce sont les skieurs qui entraînent les non-skieurs à venir en stations passer vacances de Noël, et pas l'inverse. C'est pourquoi la question de la fermeture des remontées mécaniques est si importante »

Le commerce de bouche, oublié des sommets

Avec le sentiment d'avoir été les « oubliés du gouvernement » du sommet de leurs massifs, les magasins Sherpa ont déjà adressé des courriers à Bruno Le Maire et Jean Castex en novembre, demandant à être réintégrés au cœur des discussions concernant les mesures d'aides d'urgence à la filière de la montagne. « Nous attendons à un point d'ici la prochaine réunion avec le gouvernement, qui doit avoir lieu le 11 décembre prochain ».

C'est plus largement tout un modèle, bâti sur le tourisme de montagne, qui semble aussi secoué par la crise du Covid actuelle. « Nous avons choisi de nous positionner uniquement en stations, là où des remontées mécaniques sont présentes. Jusqu'ici, nous n'avons jamais dérogé à cette règle, car nous avons à la fois une communication ainsi qu'une offre produit très spécifique », résume Olivier Carrié. Ainsi, lorsqu'on lui a proposé de reprendre des commerces situés dans la zone touristique du lac de Annecy (Haute-Savoie), la coopérative avait à l'époque décliné.

« Nous avons développé au fil du temps une offre de produits très adaptée aux séjours au ski, qui sont par nature relativement courts, avec un certain nombre de produits proposés en mini conditionnement, ainsi que des services développés comme les raclette à emporter comprenant le prêt d'une pierre à griller », souligne le président de Sherpa.

Le réseau a par ailleurs développé sa propre marque, Terre des Alpes (TDA), qui recense aujourd'hui près de 200 produits, dont certaines produites en exclusivité par des entreprises et des producteurs locaux. Et après 20 années passées aux côtés du groupe Carrefour, le distributeur a conclu depuis une dizaine d'années en accord avec le groupe Casino. « Car même si notre ancrage d'origine est très local puisque nous partons d'un format de coopératives, nous devions nous appuyer à l'origine sur un groupe de distribution pour pouvoir proposer les meilleurs prix sur certaines marques nationales ».

Avec face à lui, en concurrence essentiellement composée des supérettes Carrefour Montagne, ainsi que des Spar de l'enseigne Casino, sans compter « les supermarchés de plaine », comme il les appelle. « Notre offre se situe à mi-chemin entre les magasins de produits régionaux et les supermarchés. Les gens viennent pour cette authenticité qu'ils ne retrouvent pas nécessairement ailleurs, avec des dégustations régulières sur place, etc », traduit Olivier Carrié.

C'est pourquoi le réseau a toujours exclu également l'export, trop complexe à organiser pour un réseau comme le sien. « Il est parfois déjà suffisamment compliqué de gérer un approvisionnement en montagne », sourit-t-il.

Le modèle de la montagne mis à rude épreuve

Reste que face à un phénomène de pandémie où dès la première vague, l'arrêt brutal de la saison a provoqué une division par 10 de la fréquentation de la clientèle étrangère, le modèle économique de la supérette de montagne est lui aussi mis à rude épreuve.

« Nos magasins étaient jusqu'ici en progression constante, de l'ordre de 3 à 4 % chaque année. L'hiver dernier, avant que le Covid-19 ne nous force à fermer de manière anticipée, nous allions enregistrer une progression historique de + 10 à 15 % : nous avions fait de très bonnes fêtes de Noël et le calendrier des vacances était au rendez-vous, ainsi que la clientèle européenne étrangère ».

Il soupire : « Avant de parvenir à faire revenir ce flux de clientèle, cela va reprendre du temps et va demander beaucoup de travail aux offices de tourisme et aux stations... ».

 Alors que le réseau intégrait chaque année cinq à six nouveaux magasins (et même une dizaine pour la saison dernière), le président de Sherpa pointe un équilibre économique déjà compliqué à réaliser : « La plupart de nos magasins ne possèdent pas leurs murs et subissent de plein fouet la pression immobilière en stations ».

La réouverture totale du réseau est toujours prévue pour le 15 décembre prochain, même si déjà, la conviction qu'il faudra composer avec un volume de clientèle bien moindre est omniprésente. « La plupart des magasins ont besoin de faire le maximum pour payer leurs charges fixes. Mais ce dont on a le plus peur, c'est de rouvrir peut-être un peu trop tôt, pour être à nouveau refermés d'ici quelques semaines ».

Selon les chiffres avancés, la saison 2020/2021 promet en effet d'être compliquée pour le réseau, puisque la période de Noël représenterait en effet 20 % du chiffre d'affaires de la coopérative, tandis que le mois de janvier, un autre 20 %.

« Nous avons découvert, avec cette pandémie, la fragilité de notre système économique en station, qui peut parfois être très rentable, mais à condition d'avoir une très forte fréquentation. Nous fonctionnons sur de grosses amplitudes horaires 7 jours sur 7 en saison, et il nous suffit de perdre 20 à 30 % de notre chiffre d'affaires pour ne plus avoir de résultat du tout », confie-t-il.

Alors que l'heure est pour l'instant au combat, puisqu'un large regroupement d'acteurs de la montagne a déposé, aux côtés des collectivités de montagne d'AuRA et même d'autres régions, un référé demandant l'annulation de la décision les empêchant d'ouvrir leurs domaines pendant les fêtes, il semble déjà qu'en montagne, les cartes risquent d'être rebattues pour les saisons à venir.

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Commentaire 1
à écrit le 11/12/2020 à 21:25
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le sherpa, c'est pas cher euh en fait si mais bon, c'etait sympa pour les courses ils risquent de ne pas se relever

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