Montagne à l'arrêt : le coup de gueule de Daniel Karyotis (Banque Populaire AURA)

INTERVIEW. La Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes est l'un des principaux partenaires financiers des professionnels de la montagne, et son directeur général Daniel Karyotis ne décolère pas face aux mesures que l'Etat et sa « bureaucratie déconnectée des réalités » impose aux stations de ski. « Mépris, injustice, absence de considération, absolue méconnaissance de l'écosystème » : un coup de gueule qui s'insère dans une analyse plus large de l'année 2020, qui met à l'épreuve les résultats, l'organisation du travail, le management, le dialogue social d'un établissement dont la réputation commerciale aura bondi à la faveur des 19.000 PGE accomplis.
(Crédits : tekoaphotos)

LA TRIBUNE AUVERGNE RHONE-ALPES - La fin de l'année se profile, et avec elle, le moment des bilans. L'ensemble des études le démontre : ce deuxième confinement est particulièrement mal vécu au sein de la population. Et donc au travail. Lassitude, inquiétudes, démobilisation, singularisent ce triste état des lieux. Salariés et clients de la Banque Populaire Auvergne-Rhône-Alpes n'y échappent pas...

DANIEL KARYOTIS - Bien sûr. Cette « deuxième fois » peut être assimilée à l'effet d'une récidive dans le cadre d'une grave maladie. Les gens sont fatigués, l'usure psychologique est réelle et n'épargne personne, pas même certains dirigeants, surtout qu'elle intervient après huit mois de crise inédite, de rebondissements, de peurs qui se sont accumulés. Le Covid-19 a frappé les familles, des conjoint(e)s, parents ou grands-parents de nos salariés. Par ailleurs, les libertés sont contraintes et beaucoup de citoyens s'interrogent sur leur avenir. Et puis nous sommes en plein automne, ce qui n'arrange rien. Personnellement, je trouve que ce deuxième confinement est plus dur à vivre.

La Banque Populaire AURA est bien organisée, structurée, armée. Pour autant, cette force ne peut pas juguler les effets de la fatigue et des peurs que chacun vit dans son individualité et son intimité. Et puis nous devons tenir compte d'un environnement, en France, toujours complexe : le secteur de la banque est soumis à de telles injonctions paradoxales... Je reste toutefois optimiste ; entre octobre et aujourd'hui, on sent que le moral de nos clients remonte progressivement.

Une banque territoriale et de proximité comme BPAURA, qui compte un panel de clients représentatif du tissu local, constitue une tour d'observation de la situation socio-économique. En tirez-vous des faits saillants propres à la singularité du territoire ?

Comme partout ailleurs en France, les secteurs du tourisme, de l'hôtellerie, de la restauration, de l'événementiel sont particulièrement affectés. D'autres se maintiennent mieux que prévu : l'automobile notamment. D'autres filières enfin, comme celle de l'agro-alimentaire ou de la distribution, tirent leur épingle du jeu - sans pour autant que l'on puisse pronostiquer quoi que ce soit pour 2021.

Le plus marquant, en définitive, est que dans chaque secteur, mêmes les plus sinistrés, des entreprises sortent du lot. Il est difficile d'en extraire des explications universelles, mais tout de même, elles ont en commun des gouvernances agiles, réactives, capables de modifier leur business modèle. Et à leur tête des patrons qui ont une vision, une énergie et qui décident vite.

Au printemps, le processus de remboursement des PGE doit débuter. Dans un contexte, donc, nettement plus périlleux que celui auquel les acteurs bancaires étaient préparés un an plus tôt. Quel niveau de défaut anticipez-vous ?

D'abord, je pense sincèrement que la crise a promu BPAURA au rang de banque régionale de référence. Songez que nous avons produit près de 25% de l'ensemble des PGE dans la région, soit 19.000 dossiers pour un cumul de 2,5 milliards d'euros. Il y aura un avant et un après crise, et celle-ci, j'ose le dire, propulse notre empreinte et notre réputation commerciales dans une nouvelle dimension. N'oublions pas que nous sommes une jeune banque créée en 2016 et dont la nouvelle organisation a été posée en 2018 : c'était hier.

Pour l'heure, aucun indicateur ne signale une détérioration du risque de remboursement. Au 15 décembre, les clients connaitront les conditions financières de consolidation de leur PGE. Nous prévoyons que la moitié d'entre eux feront l'objet d'un amortissement ce qui est cohérent quand on rappelle qu'environ la moitié des PGE n'ont pas été consommés par les contractants.

Une économie particulière à la région est en grande souffrance : celle de la montagne. A la fermeture des restaurants et cafés, au couvre-feu, s'est ajoutée l'interdiction de faire fonctionner les remontées mécaniques, ce qui condamne toute la filière pour les fêtes de Noël. La colère des professionnels, l'entendez-vous ?

Non seulement je l'entends, mais je la partage totalement. L'économie de la montagne, nous en sommes sans doute l'un des premiers partenaires bancaires. Nous finançons les remontées mécaniques, les établissements hôteliers, les commerces, la construction immobilière, nous sommes le partenaire du syndicat des moniteurs de ski et nous sommes même parfois au capital de plusieurs stations.

Les flux que nous enregistrons au sein de la banque connaissent leur apogée en mars, et ce n'est pas un hasard : cela correspond au pic d'activité des sports d'hiver. Et c'est historique, puisque le berceau « montagnard » de la BPAURA est la Savoisienne de crédit, créée à La Roche-sur-Foron en 1899. Bref, nous sommes particulièrement légitimes pour nous exprimer.

Ces décisions de l'Etat, qui résultent d'une bureaucratie déconnectée et traduisent une absolue méconnaissance de l'écosystème, nous semblent incompréhensibles et injustes. Sur le fond évidemment, mais aussi sur la forme ; quand le Premier Ministre indique que les arbitrages pour les fêtes de fin d'année feront l'objet d'une concertation sous dix jours et que le Chef de l'Etat, au lendemain des déclarations de Jean Castex, met fin publiquement à l'espoir, imaginez l'onde de choc ! Le sentiment partagé par tous est celui du mépris et de l'absence de considération.

Dans quelles proportions ce marasme devrait-il impacter les résultats de la banque ?

Dans l'hypothèse la plus noire, qui heureusement est peu probable, d'une suspension des activités de sport d'hiver en 2021, l'impact sur nos flux commerciaux serait considérable. Laquelle serait même plus élevée si on additionnait les manifestations sur les secteurs collatéraux (fournisseurs, etc.). Même si l'activité redémarre en début d'année, l'interruption de Noël ne sera pas sans conséquences.

En interne, qu'est-ce qui ressort ? Quelles peurs ? Quels comportements collectifs ? Quelles fractures ? Quelle solidarité ? Quels pièges ?

Le contexte de fin d'année que je décris pèse. Mais, objectivement, je peux affirmer que nous avons bien géré cette crise auprès du corps social. Et ce que je retiens en premier lieu et dont je suis, vraiment, admiratif, c'est le comportement d'ensemble des salariés. Ils ont fait preuve d'une capacité d'adaptabilité et de remise en question qui m'a impressionné. Nous en avons profité pour innover - par exemple la signature électronique de tous les contrats de prêts -, pour redynamiser des chantiers qui étaient relégués ou à l'arrêt avant la crise, et pour nous réinventer.

Néanmoins, il est évident qu'un tel événement sismique a des effets négatifs sur le fonctionnement de toute entreprise, quelle qu'elle soit. Toutes les personnes ne sont pas égales face à une situation aussi inédite. Certains sont très entreprenants, d'autres tétanisés, certains veulent restés chez eux en télétravail et d'autres veulent absolument revenir, etc. Ma responsabilité est d'assurer la cohésion sociale de cet ensemble, qu'affecte une distorsion sensible des distanciations - sociales, amicales, de coopération.

En tête des changements de paradigme profonds dans l'organisation des entreprises, il y a le télétravail. La pratique s'est instantanément généralisée au début du premier confinement. Une transformation aussi brutale de l'exercice du travail, de l'organisation du travail, du rapport au travail est inédite. Quel bilan en tirez-vous ? Dans quelle mesure le fonctionnement de BPAURA s'en trouvera-t-il durablement modifié ?

Il faut rappeler en préambule que nous n'avons pas attendu cette année pour étendre la pratique du télétravail ! Nous disposons même d'un accord d'entreprise en la matière signé en 2017.

Ce qui, en revanche, ressort de « l'expérience 2020 », c'est que le télétravail a toutes ses limites. Le lien social, le management des communautés, le germe créatif, la richesse humaine n'y gagnent pas, bien au contraire.

Rien ne vaudra jamais d'être physiquement ensemble, de travailler les yeux dans les yeux, de distiller ces gestes informels - un sourire, un dépit, une remarque, un café partagé - qui font la richesse de la relation humaine et la qualité de la coopération.

Les managers sont particulièrement impactés par ces bouleversements, à double titre : la gestion des autres, la gestion d'eux-mêmes. Et cela quel que soit le niveau de responsabilité ou la place dans la hiérarchie. Eux non plus n'ont pas été préparés à un tel séisme.

Effectivement, ils sont sollicités à deux niveaux : l'exercice de leur métier et l'exercice de leur fonction de manager. Et ces deux axes convoquent des réalités ou des actions qui peuvent être distinctes.

Aucun dirigeant, aucun membre de comité de direction, aucun directeur de service, aucun manager dit « intermédiaire » n'est préparé à une crise d'une telle soudaineté et d'une telle violence.

Le stress professionnel est fort, surtout lorsqu'il se conjugue à un fort stress personnel. Nous avons consacré beaucoup de temps et d'attention à renforcer notre lien avec eux mais aussi entre eux et leurs équipes. Très régulièrement, les cercles managériaux ont été réunis, nous avons aussi créé des occasions de prendre de la hauteur avec des intervenants extérieurs (sociologue, économiste...).

Pour leur permettre à la fois de souffler, de se ressourcer, et de se « nourrir » pour garder une vision et une dynamique de long terme. C'est capital pour eux-mêmes et pour leurs collaborateurs directs.

Le dialogue social souffre-t-il fortement de la crise, qui en modifie le fonctionnement, les objets, les contraintes ?

Oui il a souffert, et c'est bien normal. L'ensemble des parties prenantes, direction et syndicats, subissent une pression, venant des salariés mais aussi de l'extérieur, à la fois particulière et plus élevée. Le contexte se prête plus difficilement à nourrir le dialogue social de manière constructive et prospective.

Partout fleurissent les encarts publicitaires vantant le comportement éco-responsable, éco-compatible, et même éco-vertueux des établissements bancaires. Une impressionnante campagne de communication et de marketing green washing qui surfe sur l'opportunisme du « moment » unique que suscite l'événement pandémique ? Qu'est-ce que ce « green washing » vous inspire, vous qui avez créé cet automne la Banque de la Transition énergétique ?

Y'a-t-il excès de communication ? Opportunisme déplacé ? Je ne crois pas. Ce que je retiens en premier lieu, c'est que le secteur bancaire s'approprie pleinement l'enjeu environnemental et climatique, on assiste à un changement de paradigme, à une prise de conscience qui donne lieu à des plans d'actions concrets et d'ampleur. Le monde de la banque veut être un acteur du changement. Pourquoi faudrait-il s'en plaindre ?

Dans ce domaine, il faut avancer avec humilité mais aussi détermination. Humilité parce qu'il s'agit d'inscrire l'action dans un horizon plutôt long - et on sait que ce n'est pas toujours aisé -, et détermination car nous devons tous être conscients que c'est de l'entreprise et non de l'Etat que viendra la transformation.

La crise du Covid-19 a réhabilité l'image des banques ; celles-ci doivent en profiter pour être elles-mêmes parties prenantes de cette éco-responsabilité et aussi pour sensibiliser, accompagner leurs clients à engager le virage. C'est d'ailleurs à cela que s'emploie la Banque de la Transition énergétique.

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