Tourisme : en montagne, le retour à la « normalité » d'une saison d'été, tiraillée entre inflation et canicule

Après deux saisons estivales où le tourisme en montagne avait atteint des sommets, l'été 2022 a été l'occasion de renouer plutôt avec une situation d'avant-crise dans les Alpes. Car même si la canicule semblait favorable aux séjours en altitude, l'inflation, la réouverture des frontières et des littoraux, ainsi que la nécessaire adaptation aux changements climatiques ont également influencé sur le comportement des vacanciers. Avec toutefois, le retour de la clientèle internationale, en premier lieu européenne, qui constitue une bouffée d'air frais pour les stations.
Contre toute attente, le climat caniculaire de cet été n'aura pas nécessairement profité autant qu'espéré à la destination montagne, allant même jusqu'à pénaliser « certains prestataires qui enregistrent une baisse notable des sorties aquatiques et outdoor ».
Contre toute attente, le climat caniculaire de cet été n'aura pas nécessairement profité autant qu'espéré à la destination montagne, allant même jusqu'à pénaliser « certains prestataires qui enregistrent une baisse notable des sorties aquatiques et outdoor ». (Crédits : DR/Clara Ferrand)

Les chiffres sont à nouveau « bons », selon les professionnels du secteur, même si cette fois, l'heure n'est pas aux superlatifs. Car après deux saisons où le tourisme en montagne avait observé une forte croissance, bénéficiant à la fois d'un coup de pouce engagé vers le tourisme de proximité en raison de la crise sanitaire et des incertitudes défavorables aux voyages à l'étranger, l'été 2022 s'annonce cette fois davantage placé sous le signe de la stabilité et d'une consolidation des acquis obtenus à l'issue de deux années inédites.

Résultat ? Les professionnels du secteur observent, à minima, un retour aux seuils de fréquentation de la saison 2021, jugés déjà bons, mais moins décoiffants que l'évolution enregistrée au cours des deux derniers exercices.

« Nous avions connu deux très belles saisons estivales, suite au déconfinement et à la saison d'hiver noire qui avait suscité une grande attente. Désormais, on revient plutôt à des bases observées avant le Covid-19 et finalement, à un été normal à la montagne », témoigne Rémy Counil, directeur général de l'Office de Tourisme de Grande Plagne (Savoie).

Un sentiment de retour à la réalité, qui se traduit en premier lieu dans les chiffres, dévoilés par les organes touristiques locaux : ainsi, selon le dernier baromètre publié jeudi dernier par Savoie Mont-Blanc sur le périmètre des deux Savoie, l'ensemble des professionnels jugent la saison « satisfaisante », avec un taux d'occupation des hébergements marchands de 46 %, notamment pour les secteurs bénéficiant de lacs et de montagnes.

Avec, non seulement la présence de de nouveaux séjournants qui découvrant l'offre de la montagne estivale, et ses tarifs plus « accessibles » que l'hiver, mais aussi, un retour plus marqué cette année de la clientèle internationale, qui avait pâti des conditions sanitaires incertaines au cours des deux derniers étés.

En Tarentaise, la station de La Plagne a par exemple renoué avec ses 20% des touristes étrangers, au premier rang desquels on retrouve les Britanniques, les Pays-Bas, mais aussi une clientèle venue d'Israël. Aux pieds du toit de l'Europe, le directeur de l'Office du Tourisme de Chamonix, Nicolas Durochat note également le retour des clientèles américaine mais aussi britannique, qui avaient boudé une destination l'an dernier alors qu'elle pesait encore pour 15% des nuitées de la destination...

A l'échelle de la région Auvergne Rhône-Alpes, la tendance est la même : « la clientèle internationale a représenté 20% de la fréquentation cet été et progresse nettement par rapport aux saisons estivales 2020 et 2021, même si elle reste encore en léger repli par rapport à la situation d'avant crise (24% en 2019) », note Fabrice Pannekoucke, président de l'antenne régionale Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme, confirmant que le trio de tête demeure ainsi composé des clientèles belges et néerlandaises, puis allemandes et suisses, avec un retour marqué des Britanniques et des Américains qui avaient fait défaut l'été dernier.

Une fréquentation jugée bonne, mais une consommation en berne

Côté chiffres, le mois de juillet a ainsi démarré avec un taux d'occupation moyen de 55 % à l'échelle des deux Savoie, selon les données publiées par l'agence Savoie Mont-Blanc sur un périmètre de 112 stations, alors que les dernières estimations pour le mois d'août, écrasé par la canicule, tablaient sur un taux d'occupation atteignant 61 %. Le mois de septembre s'annonçant quant à lui sous le signe de la « stabilité » par rapport à 2021.

Un chiffre jugé « bon », à l'aube de la diversification encore nécessaire à mener sur la saison d'été puisqu'à l'échelle des Deux Savoies, 62% du volume total des nuitées annuelles sont réalisées en hiver, contre seulement 33% l'été (le reste étant réparti entre l'automne et le printemps, deux périodes encore anecdotiques aujourd'hui).

Le portrait est toutefois quelque peu différent à Chamonix (Haute-Savoie), dans le fief de la montagne et de l'alpinisme, qui devrait à nouveau enregistrer une progression de 10% attendue cet été, « grâce au retour des touristes étrangers, mais aussi d'une nouvelle clientèle française amorcée depuis le Covid, et qui semble être revenue cette année ».

De quoi offrir au berceau du Mont-Blanc un taux d'occupation allant de 65 à 80% en juillet selon les dernières estimations, et de 82 à 87% en août, alors que la saison d'été représente déjà la moitié de son activité annuelle...

Même si la montagne voit donc avant tout en cette saison l'opportunité d'assurer une forme de consolidation des nouvelles clientèles séduites durant le Covid, la baisse du pouvoir d'achat, consécutive au poids d'une inflation à 7%, semble avoir réellement pesé à l'intérieur du porte-monnaie des ménages, les contraignant à réaliser des économies du côté des dépenses réalisées au sein des restaurants ou les activités sportives.

« C'est un peu à l'inverse de ce qu'on a connu l'hiver dernier, où le panier moyen avait été plus élevé qu'à l'accoutumée, les gens se rattrapant après une saison blanche/noire en fonction de comment on veut l'appeler », reconnaît Rémi Counil.

Le manque de saisonniers pèse dans la balance

Résultat ? A La Plagne par exemple, l'Office du tourisme constate une légère baisse, encore non quantifiable, du volume d'activité économique générée par les vacanciers. « Toutes les animations offertes par la station (concerts, chasses aux trésors gratuites, etc) ont été plébiscitées par les vacanciers, mais on voit en même temps que toutes les activités plus coûteuses sont en retrait ».

Le vice-président de l'UMIH 73/74 Sébastien Buet note également que « les stations qui ont bien fonctionné sont celles qui ont conjugué un retour de la clientèle étrangère et française, mais aussi des animations porteuses, culturelles ou sportives, comme c'était le cas au Grand Bornand avec le festival Au Bonheur des Mômes, à Morzines avec le festival des Harleys, etc  ».

Mais cette reprise d'activité aura été freinée, pour l'hôtellerie-restauration de montagne, par un manque cruel de saisonniers, pressenti dès le printemps :  « Une grande partie des établissements du secteur se sont retrouvés en déficit de saisonniers et ont dû soit renoncer à ouvrir, soit adapter leur fonctionnement en fermant un voire deux jours par semaine », reconnaît  l'UMIH 73/74.

Un phénomène qui aurait été vécu de manière généralisée par l'ensemble des acteurs, alors que le recrutement en montagne était déjà particulièrement fragile à assurer en été, face à la concurrence des littoraux.

A Chamonix également, le manque de saisonniers s'est fait ressentir « non seulement dans le monde de l'hôtellerie-restauration, mais aussi sur l'ensemble des corps de métiers du tourisme », note Nicolas Durochat : « Nous avons nous-même dû décaler nos horaires d'ouverture au coeur de l'été à l'Office du Tourisme, en raison du manque de personnel d'accueil, tandis que des activités de loisirs ont également été touchées par cet enjeu sur une partie de leurs activités ».

Et d'ajouter : « Heureusement, les acteurs du monde de l'hôtellerie-restauration ont su s'accorder sur leurs jours de fermeture afin que le territoire puisse conserver l'offre la plus large possible ».

Les activités outdoor freinées par la canicule ?

Autre enseignement de cette saison ? Contre toute attente, le climat caniculaire estival n'aura pas nécessairement profité autant qu'espéré à la destination montagne. « Quand on voit que l'on a connu l'un des étés les plus chauds depuis 1976, on aurait pu imaginer que la montagne puisse gagner encore des points cet été, mais ça n'a pas été forcément le cas », reconnaît Michaël Ruysschaert.

« Il est vrai que la canicule n'a pas été le facteur déclencheur des réservations en montagne comme on aurait plus le croire », atteste Sébastien Buet pour le monde de l'hôtellerie-restauration.

Au contraire, les vagues de chaleur successives seraient même allées jusqu'à pénaliser « certains prestataires qui enregistrent une baisse notable des sorties aquatiques et outdoor », précise Savoie Mont-Blanc.

 « Nous avons des professionnels qui évoquent des baisses d'activité de l'ordre de - 15 à -40 %, en raison de la canicule ou parfois du manque d'eau. C'est par exemple, le cas pour certains acteurs de l'eau vive en Haute-Savoie, qui ont connu -30% sur certaines activités de rafting ou de canyoning », souligne Michaël Ruysschaert, directeur général de L'Agence Savoie Mont Blanc.

Pour Brice Blancard, représentant de l'Union Sports et Cycle, qui rassemble 1.700 entreprises et 80.000 salariés des activités de la filière sports (services et matériel), le mois de juillet aura été « correct » selon les dernières remontées issues du terrain, mais sans toutefois renouveler les très bonnes performances des deux années précédentes.

« Il n'existe pas une tendance aussi claire que l'an dernier, on est sur un été plus mitigé. La fréquentation est là, mais ce qui change cette année, c'est que l'on observe plutôt un retour à une clientèle familiale à laquelle on était habitué avant-Covid, et qui vient en montagne pour profiter de son côté accessible, y compris du côté des prix », ajoute Brice Blancard.

De quoi continuer de faire grimper des activités comme le vélo, notamment à assistance électrique, même si côté budget, la durée de location aura eu tendance à demeurer dans la fourchette basse (une demie à une journée), compte-tenu du panier moyen que représente une journée de location.

Et de songer également à élargir toujours plus les "ailes de saison", ces périodes situées en dehors des vacances scolaires et qui se veulent aussi encore plus accessibles, du côté des tarifs :

« On a tendance à penser les chiffres du tourisme de la montagne sur les deux mois de vacances scolaires en été : or, des stations villages comme Chamonix, Saint-Gervais, ou en Haute-Maurienne raisonnent déjà de juin à septembre, sur près de quatre mois. Il existe un réel potentiel touristique à travailler et une faisabilité, comme l'ont déjà démontré nos voisins, comme les lacs italiens, mais qui nécessite de mettre tout le monde autour de la table, en vue de construire une offre touristique complète », complète Michaël Ruysschaert.

La nécessité de gérer une exceptionnelle sécheresse

Moins touchée que les territoires voisins des Hautes-Alpes ou de l'Ardèche par le manque d'eau, la filière sports en montagne aura cependant ressenti, pour la première fois, l'impact de la sécheresse sur son coeur d'activité.

« C'était le cas pour le lavage des vélos, des accessoires et équipements de protection dans le monde de la location, où tous les acteurs ont été pris de court face à une problématique nouvelle, comme celle de la raréfaction de la ressource en eau ».

Si le nettoyage des VTT de descente doit par exemple être réalisé entre chaque client « pour des questions d'hygiène », cette saison aura cependant permis à la filière de faire émerger des pistes de réflexion en vue de partager et économiser cette ressource sur les années à venir.

« Les travaux peuvent aller de la manière de récupérer des eaux de pluie, à celle d'étudier différents types de nettoyage à sec ou présentant une plus forte économie d'eau, à l'aide de dispositifs à air ou à eau comprimée par exemple. Tout l'enjeu est désormais de réfléchir afin d'anticiper les évolutions qui pourraient se produire au cours des prochaines années », conclut Brice Blancard.

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