Innovation en santé : « Beaucoup de petites entreprises ne se développent pas jusqu'au stade de l'accès au marché » (Lise Alter, AIS)

Dans le cadre de France 2030, l’Agence de l’Innovation en Santé (AIS) a été créée fin 2022 dans l'objectif de suivre le pilotage des actions et crédits du volet santé du plan. Sa directrice, Lise Alter, introduisait le 19 juin dernier l'assemblée générale du pôle de compétitivité Lyonbiopôle. Une occasion de cartographier les besoins et atouts du territoire en matière d'innovation en santé. Entretien croisé avec la directrice de l'AIS et Florence Agostino-Etchetto, directrice générale de Lyonbiopôle.
Lise Alter, directrice de l'AIS
Lise Alter, directrice de l'AIS (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Dans quel contexte est intervenue votre visite à Lyon ?

LISE ALTER- L'agence de l'innovation en santé (AIS) a trois missions. Une mission en matière de prospective en santé pour anticiper l'arrivée des innovations et leur intégration dans le système de santé. Une mission d'accompagnement des porteurs de projets innovants prioritaires. Et une mission d'accélération et de simplification des process administratifs et réglementaires. L'initiative de la visite a été lancée à un moment où nous structurons la feuille de route de l'agence. Nous faisons le tour de France de l'innovation en santé pour connecter nos actions et nos objectifs en lien avec l'écosystème régional. L'agence est une petite structure avec une quinzaine de personnes. Elle ne peut donc pas accompagner au niveau national l'ensemble des projets innovants prioritaires de France. [...] Nous allons aborder des sujets d'ordre systémique et générique concernant tous les freins, notamment réglementaires, juridiques, que peuvent rencontrer les entreprises et nous allons intervenir sur un certain nombre de partenariats avec les agences sanitaires au niveau national. Nous sommes notamment en train de négocier des dispositifs fast track avec l'ANSM (Agence nationale de la sécurité des médicaments et des produits de santé) et l'HAS (Haute autorité de santé). Dans la construction de cette feuille de route, nous voulons être au plus près des besoins réels du terrain et c'est pour cela que nous essayons de comprendre et de cartographier chaque écosystème régional, parce qu'il y a des différences majeures dans les régions et c'est important de bien identifier nos partenaires.

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Comment va s'articuler la relation entre l'AIS et Lyon Biopôle ?

FLORENCE AGOSTINO-ETCHETTO- La création de l'AIS répond à un certain nombre d'enjeux que les pôles avaient identifiés, en particulier sur des questions systémiques, d'accélération des processus d'accompagnement qui sont mis en œuvre par les agences sanitaires et les ministères. La création de cette agence de l'innovation, pour nous, c'est l'opportunité d'avoir un interlocuteur qui va être un expert en matière d'innovation en santé et qui va pouvoir activer un certain nombre de mesures d'accélération pour des projets ambitieux. Et dans le cadre d'Enosis, qui est l'association qui regroupe quatre des six pôles de compétitivité français en santé, nous avons très vite entamé des discussions avec l'AIS, pour voir opérationnellement comment nous allons pouvoir être le plus utile pour l'AIS et vice versa. Au-delà de l'accompagnement individuel des projets, c'est avec nos forces que l'AIS va avoir un rôle majeur de restructuration du paysage de l'innovation et va pouvoir apporter des modifications structurelles sur la façon dont l'innovation est portée dans le paysage politique et organisationnel français. »

LISE ALTER- Il y a vraiment un besoin en coordination interministérielle. C'est quelque chose que nous apportons et qui n'existait pas jusqu'à présent : faire en sorte que les enjeux de la recherche, du soin, de l'innovation, d'accès au marché et d'industrialisation soient pris en compte d'une façon holistique. Et nous avons ce rôle de coordinateur qui n'existait pas et qui manquait cruellement. Nous avons aussi un rôle d'orientation, d'accompagnement dans tout ce process. Parce qu'aujourd'hui, les porteurs de projets, notamment les startups, les biotechs, les medtech, ont beaucoup de mal à s'orienter dans l'écosystème de la santé qui est extrêmement régulé et normé. Aujourd'hui, il y a beaucoup de petites entreprises qui se développent, mais pas jusqu'au stade de l'accès au marché, car il y a beaucoup de contraintes qui pèsent sur elles, avec des enjeux de sécurité et d'évaluation qui sont extrêmement importants.

Justement, quels sont ces freins pour les entreprises ? Pourquoi ont-elles des difficultés à accéder au marché ?

FLORENCE AGOSTINO-ETCHETTO- Il y a des freins liés à la complexité du cheminement d'un projet quand il est en phase de développement. Comme par exemple la bonne compréhension de l'articulation des différents organes qui vont intervenir car nous sommes à la fois dans une phase où nous devons faire des essais cliniques, mais aussi commencer à discuter de remboursements de tarification. Il y a des aspects de compétition internationale sur cette agilité réglementaire - sans remettre en cause la nécessaire éthique - qu'il faut développer dans nos domaines d'activité. Après, il y a des enjeux qui sont peut-être moins directement en lien avec l'AIS. Mais cela peut être un sous-jacent de financement, en particulier des startups et des PME qui vivent de levées de fonds et qui ont besoin d'aller à la conquête d'investisseurs parfois étrangers. Dans ce cadre, elles doivent démontrer qu'elles sont dans un environnement favorable à leur développement. Il y a aussi un découpage des process. Si on parle d'industrialisation, on va plutôt au ministère de l'Industrie. Quand on doit parler avec les autorités compétentes, on va parler avec l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), la HAS (Haute autorité de santé) et même la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) en fonction des cas. Ensuite, quand on va rentrer dans un process de reconnaissance du produit de tarification, on a encore d'autres interlocuteurs. Pendant la période Covid, l'ANSM a su développer un fast track. C'était aussi plus facile aussi parce que le reste a été arrêté, mais sur ces questions de fast track sur des projets potentiellement à très fort impact, il faut négocier avec les autorités réglementaires pour accélérer les choses. Y compris pour que les entreprises ne soient pas amenées à faire, par exemple, leurs essais cliniques ailleurs uniquement parce que la relation à l'autorité réglementaire est plus simple. »

Le projet de biocluster lyonnais pour l'innovation en infectiologie a récemment été sectionné, en mai 2023, dans le cadre du plan Innovation santé 2030. Quels sont ses objectifs ?

FLORENCE AGOSTINO-ETCHETTO- Lyonbiopôle a coordonné la réponse qui a été pilotée scientifiquement par le professeur Bruno Lina. Nous avons identifié très précocement, après le discours du président de la République lors de la signature du CSIS (Conseil stratégique des industriels de santé (CSIS) en juin 2021, qu'il y avait beaucoup d'atouts dans cette région. Le sujet de la lutte contre les maladies infectieuses avait toujours irrigué les tissus académiques et industriels régionaux. Nous avons structuré une réponse bâtie autour de l'idée que nous avions un enjeu en matière de maladies infectieuses : celui d'être mieux préparé d'éventuelles nouvelles pandémies. Cela signifie qu'il nous faut avoir à disposition des outils, mais aussi des technologies et peut être des services, qui puissent être activés de façon plus rapide et plus opérationnell. La santé n'a pas de frontière et ce qui peut être fait à l'aune d'un territoire comme la France, coordonnée depuis Lyon, doit aussi servir des intérêts de santé publique mondiaux. La réflexion scientifique nous a aussi amené à dessiner un deuxième pilier qui est celui de la résistance antimicrobienne, que beaucoup d'experts s'accordent à appeler la pandémie silencieuse. C'est un enjeu majeur de santé publique, avec aujourd'hui un nombre insuffisant de produits et de solutions disponibles pour lutter contre cette résistance, en particulier aux antibiotiques. Le biocluster a été construit autour de cette ambition d'avoir un continuum surveillance/recherche/industrie beaucoup plus performant et une interpénétration qui permettent d'avoir plus de solutions à disposition - en étant aussi en lien avec les autorités nationales et européennes.

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