L'annonce est sortie en fin de journée, le vendredi 26 juillet, dans la presse, à moins de deux heures du début de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris 2024 : la société Tunnel euralpin Lyon-Turin (Telt), chargée de la construction et de la gestion de la future ligne ferroviaire franco-italienne, a discrètement dévoilé vendredi soir, à l'issue de son conseil d'administration, la réactualisation du coût prévisionnel du tunnel de base transfrontalier en cours de construction entre Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie) et Susa (Italie). De 8,6 milliards d'euros estimés en 2015, date de la dernière expertise, le budget a gonflé de 2,5 milliards d'euros (base euro 2012) en neuf ans, pour atteindre les 11,1 milliards d'euros (toujours en base euro 2012). Soit une augmentation de près de 30 % des coûts. Cela, sans compter l'inflation.
Une révision très conséquente des coûts et du calendrier de livraison de l'ouvrage, également repoussé d'un an pour une ouverture visée à fin 2033, que la société explique par des facteurs « pour la plupart exogènes ».
À commencer par le contexte macroéconomique et géopolitique des dernières années. En effet, la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont mis des coups d'arrêt au chantier de creusement, qui a débuté en 2016, avec des retards « pouvant aller jusqu'à 12 mois sur certains chantiers », indique Telt dans un communiqué. La société franco-italienne a également dû « redéfinir des plans d'approvisionnement » des matières premières, tandis que « l'explosion de la demande sur le marché des travaux publics en France et en Italie a provoqué un écart entre les estimations initiales et les offres effectivement proposées par les groupements d'entreprises ».
Des surcoûts conjoncturels, mais aussi des « difficultés géologiques »
Telt fait ici référence à plusieurs grands chantiers réalisés simultanément en Europe : le Grand Paris Express, les Jeux olympiques 2024, mais aussi le tunnel du Brenner entre l'Autriche et l'Italie, ou encore le « Terzo Valico » entre Gênes et Milan.
« La conduite simultanée de ces grands chantiers a entraîné des tensions sur la disponibilité de la main d'œuvre qualifiée et l'approvisionnement en matières premières », poursuit la société détenue par les Etats français et italien, qui reconnaît que « les offres initiales des groupements d'entreprises se sont révélées en moyenne bien supérieures aux montants estimés initialement dans les appels d'offres ». Ce qui interroge par ailleurs sur les raisons du laps de temps aussi important entre les deux estimations.
Des facteurs auxquels s'ajoutent également des difficultés géologiques « non prévisibles » rencontrées au moment du creusement de quatre puits de ventilation à Avrieux, qui ont quelque peu freiné l'avancée du chantier : « celles-ci ont entraîné des délais et des surcoûts, qui sont désormais intégrés dans l'évaluation financière et le planning du projet », poursuit la société, qui ajoute utiliser aujourd'hui des robots afin de résorber ces problématiques.
De même, Telt précise avoir négocié l'inclusion de « prix complémentaires » dans ses contrats à hauteur de 8 % afin de couvrir les aléas, conformément à la recommandation du Centre d'études des tunnels (CETU). Des marges de manœuvre déjà prévues en 2015, qui ont semble-t-il été largement comblées.
Tandis qu'un autre enjeu de taille, soulevé par l'opposition au projet depuis plusieurs années, se dessine : celui de la gestion de l'eau avec, comme l'a révélé Mediapart le 16 juillet dernier, de sérieuses questions quant aux effets du projet sur cette ressource et, in fine, sur certains ouvrages hydroélectriques comme le barrage du Pont des chèvres, situé à Orelle (Savoie), au-dessus du chantier. Enjeux également détaillés par Le Dauphiné Libéré ce week-end, expliquant que des venues d'eau d'environ 50 litres par seconde auraient eu lieu en 2019, après le passage d'un tunnelier, provoquant « un drainage par le tunnel et un tassement du massif ».
Qui pour prendre en charge les surcoûts ?
Ces estimations budgétaires, réalisées cette fois par le cabinet de conseil Grant Thornton Financial Advisory Services à la demande de Telt, n'avaient pas été réactualisées depuis 2015, une époque où la société franco-italienne n'avait alors attribué aucun marché de génie civil. Actualisation qu'elle explique désormais par la signature de l'ensemble des contrats pour la réalisation des tubes et des galeries, dont la phase d'attribution s'est terminée en 2023, tandis qu'il reste encore à définir les prestataires des équipements ferroviaires.
Des surcoûts qui devraient être pris en charge par les Etats français et italien, chacun actionnaire à 50 %. Mais aussi par l'Union européenne, qui peut financer jusqu'à la moitié des projets portés par Telt. Bruxelles a d'ailleurs attribué il y a deux semaine une nouvelle enveloppe de 700 millions d'euros à la société pour le creusement du tunnel de base pour la période 2024-2027. Une subvention qui serait, selon nos informations, bien inférieure à la demande de Telt.
Pourquoi une telle attente ?
Cette nouvelle évaluation, la première en neuf ans, a en tout cas de quoi interroger. Pourquoi une telle attente, là où certains projets, comme le Grand Paris Express, révisent leurs coûts et leur calendrier tous les six mois ?
La question a notamment été soulevée par le Comité d'orientation des infrastructures, qui a rendu tout début 2023 un rapport sur les investissements dans les projets de mobilités, dont le Lyon-Turin. Pierre-Alain Roche, rapporteur général de cette instance consultative, placée auprès du ministère des Transports, avait indiqué à l'occasion d'une audition devant le Sénat, le 15 mars 2023 : « La première des choses qui me frappe sur le Lyon-Turin, c'est que l'estimation à terminaison du projet et le calendrier n'ont pas été réajustés depuis plusieurs années. C'est une situation qui n'est pas acceptable (...) ».
« C'est typiquement une opération sur laquelle nous devrions avoir tous les six mois une réestimation des coûts et des délais. Or, ce n'est pas le cas depuis plusieurs années », ajoutait le rapporteur général du COI il y a un peu plus d'un an.
La Cour des comptes avait, quant à elle, estimé le coût général du projet, tunnel transfrontalier, accès français et italiens compris, à 26,1 milliards d'euros en 2012.
Les seuls accès français étant aujourd'hui estimés à 8 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent 2 milliards d'euros pour le projet de contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise, et maintenant au moins 11,1 milliards d'euros (base euros 2012) pour le tunnel. Les voies d'accès italiennes, quant à elles, sont aujourd'hui estimées à 2 milliards d'euros.
À ce jour, près de 2.500 personnes travaillent sur le chantier du Lyon-Turin, qui devrait monter en cadence dans les prochaines années, avec jusqu'à 3.800 personnes attendues à l'horizon fin 2026 pour les travaux Telt et SNCF Réseau selon l'Observatoire du grand chantier. De même, près de 37,3 kilomètres de galeries ont été creusés (dont 13,7 kilomètres du tunnel de base, long de 57,5 km), sur les 164 kilomètres prévus au total pour l'ouvrage.
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