Réforme territoriale : cinq ans après la fusion, l'ex-Auvergne se sent encore "délaissée"

LA FUSION, VUE D’AUVERGNE (1/3) À l'image de ses voisines (Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine, le Grand Est, etc), la région Auvergne Rhône-Alpes a regroupé ses 12 départements début 2016. Mais dans cette "super région" de 8 millions d'habitants, désormais reconnue pour son dynamisme économique, l'ex-Auvergne craignait déjà il y a cinq ans de pâtir de l'opération, et notamment de l'éloignement des centres de décision. Qu'en est-il aujourd'hui ?
(Crédits : DR)

Il y a cinq ans, l'Auvergne s'inquiétait : comment ne pas disparaître au sein de la nouvelle grande région à venir ?

Clermont-Ferrand perdait à l'époque son statut de siège de région, de nombreux services de l'Etat partaient à Lyon. Les 16.000 m2 d'un Hôtel de Région Auvergne aux performances environnementales exemplaires, tout juste inauguré, déserté 6 mois plus tard de ses élus illustraient alors le déclassement de l'Auvergne. A l'aube des élections régionales 2021, ce mariage forcé avec Rhône-Alpes a-t-il convaincu les acteurs auvergnats et rhônalpins de former une seule et même entité ?

Du côté des chiffres, il faut passer du temps pour espérer retrouver des classements qui ne fusionnent pas l'Auvergne avec son voisin Rhône-Alpes, et se souvenir que l'ancienne région comptait alors 1,3 million d'habitants en 2010. Contre 6,2 millions pour sa voisine, l'ex-Rhône-Alpes.

"Nous nous sommes mariés avec un riche", se console Claude Vincent, président du Medef du Puy-de-Dôme, fondateur de RH Partners à Clermont-Ferrand et président d'Initiative Auvergne.

"La chance que nous avons, c'est que Laurent Wauquiez soit auvergnat. Le président précédent ne connaissait pas l'entreprise. A la tête de la Région, Laurent Wauquiez comprend l'entreprise, c'est une chance. Nous avons donc perdu beaucoup moins que ce que nous aurions pu perdre. Nous obtenons des budgets et des programmes pour lesquels nous sommes un peu surfinancés par rapport au poids que nous représentons dans la région. La fusion était une obligation. Finalement, c'est positif car ça nous donne des moyens supplémentaires."

Un mantra repris par Bruno Faure, le président du conseil départemental du Cantal. Il apprécie "qu'à différents niveaux de la politique régionale ou sur certaines politiques différenciées, sectorielles, nos spécificités ont été prises en compte et nous ont permis de pouvoir conduire des projets."

En revanche, l'éloignement des centres de décision désespère encore à ce jour les auvergnats.

"On a toujours un peu peur de se faire manger par un gros quand on est un petit", explique Claude Vincent.

"Notre crainte, c'était de ne plus compter plus dans les instances et c'est une crainte qui était justifiée. Nous n'avons pas beaucoup d'autonomie, nous sommes regardés de haut. Beaucoup de directions de l'État sont parties en Rhône-Alpes et nous n'avons plus d'interlocuteur pour un dialogue de proximité."

Un éloignement des centres de décision redouté

Selon plusieurs acteurs auvergnats, les institutions régionales n'identifieraient en effet pas suffisamment à leurs yeux les projets locaux. Difficile d'accompagner le développement sans une réelle proximité avec les chefs d'entreprises et les citoyens.

Si le fonctionnement des communes n'est pas impacté, Flavien Neuvy, à l'association des Maires du Puy-de-Dôme constate "la différence, même si quelques collectivités gardent une antenne à Clermont-Ferrand, c'est qu'au lieu d'avoir un interlocuteur à Clermont-Ferrand, on va plutôt à Lyon."

Les cadres et les chefs d'entreprises auvergnates multiplient ainsi les kilomètres pour le moindre dossier.

"Lorsqu'avant nous pouvions traiter à Clermont-Ferrand, maintenant il faut un minimum de deux heures de route pour assister à une réunion, plus le même temps perdu sur le retour", témoigne sous couvert d'anonymat un cadre d'une grosse entreprise locale. Pourtant, les entreprises auvergnates n'ont pas conquis plus de marchés à Lyon.

Le président du Conseil départemental du Cantal ne peut que constater : "la capitale de Région se trouve très éloignée de nous, qui sommes un petit département." Quatre heures de route sont nécessaires pour rallier le chef-lieu du Cantal à sa capitale régionale.

Pour Flavien Neuvy, "malheureusement, cette super région n'a réussi qu'à s'éloigner des territoires. La course à la taille n'est pas une bonne idée. Nous sommes pas comme en Allemagne ou les régions ont un pouvoir législatif. La réforme n'a pas été bénéfique du tout pour la proximité. Globalement, ça a renforcé les forts, au détriment des autres territoires. Nous n'avons plus de préfet de région à Clermont, mais un préfet du département. L'unique préfet de région est à Lyon."

Mobilité, couverture numérique

A Moulins (Allier), en décembre 2020, Jöel Giraud, secrétaire d'Etat chargé de la Ruralité déclarait : « La réduction de la fracture numérique est l'un des axes majeurs de notre politique d'aménagement du territoire. Elle est indispensable à l'attractivité des territoires ruraux. Je suis convaincu que l'on peut allier numérique et ruralité. Le numérique participe au regain d'intérêt que l'on observe en faveur du monde rural. »

Mais la 4G n'irrigue pas encore tous les territoires auvergnats et dans beaucoup de villages, le téléphone portable ne passe pas.

L'association Objectif Capitales, qui réunit acteurs publics et privés de la région clermontoise, avec le projet d'améliorer les connexions ferroviaires et aériennes avec Paris et Lyon, continue d'espérer une amélioration de la ligne ferroviaire Clermont-Paris.

Les retards et avaries sur cette ligne sont récurrents et la performance des liaisons régionales n'est pas au rendez-vous. Se rendre à Lyon en train prend plus de temps qu'en bus. L'annonce de la fermeture par Air France de la liaison Clermont Orly l'an dernier a fait grincer les dents de l'association. Laurent Wauquiez volait alors au secours des auvergnats :

"Le comité syndical de l'aéroport dans lequel la Région est majoritaire, élargi aux parlementaires, a décidé à l'unanimité de choisir Amelia, une compagnie solide financièrement, qui a des perspectives de développement importantes pour d'autres liaisons au départ de Clermont-Ferrand".

L'identité commune ? Un symbole qui reste à inventer

Cinq ans après la fusion, force est de constater que le sentiment d'appartenir à la même région n'est pas encore instauré. "A l'avenir, il faut qu'on soit forts et représentés par des hommes forts dans les instances régionales parce que nous sommes encore considérés comme le petit poucet de cette grande région", témoigne Claude Vincent. "C'est positif quand les instances sont présidées par une personnalité issue d'Auvergne."

Le changement d'échelle de la Région n'a pas vraiment eu de conséquence non plus pour Michelin ni pour Limagrain. Cependant, leur rayonnement dans le monde, notamment pour la seule entreprise française du CAC 40 à héberger son siège social en province pour l'une et, en tant que 4e semencier mondial pour l'autre, ne semblent pas suffire pour que l'Auvergne pèse davantage au sein de la nouvelle région.

L'Auvergne semble en prendre son parti. La candidature de la Ville de Clermont-Ferrand, engagée depuis six ans pour devenir la Capitale européenne de la Culture 2028 mobilise localement, mais peu à l'échelon régional.

Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand s'appuie sur une autre échelle. « Plus qu'une ville et sa métropole, notre candidature est celle d'un territoire unique en France et en Europe : le Massif central. Cette entité géoculturelle exceptionnelle, couvrant quatre régions et vingt-deux départements, complexe mais riche d'une identité singulière, amplifie la portée de la candidature et nous permettra de faire la différence », croit-il.

Après le constat auvergnat, retrouvez le second épisode de notre enquête ce mardi : Cinq ans après, quelle identité pour la "super région" Auvergne Rhône-Alpes ?

 (avec ML)

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