Hydrogène : la stratégie croisée de Symbio, et de son co-actionnaire Michelin pour s’imposer

LA CONQUETE HYDROGENE, Episode 6. Depuis l’automne dernier, le spécialiste isérois des technologies hydrogène, Symbio, a mis un coup d’accélérateur sur sa stratégie, en annonçant l’implantation de « la plus grande usine haute-technologie de production de piles à hydrogène en France », en région lyonnaise. L’isérois veut désormais se positionner comme un équipementier de rang 1, tandis que son co-actionnaire auvergnat, Michelin, croit lui aussi dans les promesses de l’H2 et continue d’avancer ses pions à ses côtés.
(Crédits : DR)

Qui de l'isérois Symbio, ou de l'auvergnat Michelin, est désormais le plus impliqué dans le marché hydrogène ? La question peut sembler désormais superflue, tant les priorités stratégiques des deux groupes s'imbriquent à présent, lorsqu'on parle de mobilités propres.

Le groupe Michelin est désormais convaincu que l'hydrogène sera l'une des composantes essentielles de « la mobilité propre », complémentaire à la batterie électrique. Et pour adresser ses principales briques technologiques, l'auvergnat est déjà engagé à travers Symbio, sa filiale commune avec Faurecia. « Symbio va devenir un des leaders mondiaux de systèmes de piles à hydrogène, avec un chiffre d'affaires visé d'environ 1,5 milliard d'euros d'ici 2030 », affiche Valérie Bouillon Delporte, chargée de la stratégie hydrogène du Groupe Michelin.

De son côté, la pépite iséroise, créée en 2010, n'a plus vraiment besoin de se faire un nom et a lié depuis quelques années son destin à celui de l'équipementier Michelin.

Créée en février 2010 par son ex-pdg, Fabio Ferrari, à partir de brevets issus du CEA Grenoble, la société avait progressivement ouvert son capital, jusqu'à devenir une co-entreprise entre l'équipementier auvergnat et le producteur d'équipements automobile français, Faurecia. « Michelin développait lui-même depuis une quinzaine d'années sa propre pile à combustible, il voulait travailler avec Symbio pour accélérer son développement », explique Philippe Rosier, son nouveau pdg.

Arrivé aux commandes en provenance de sa maison mère Michelin à l'automne dernier, sa mission sera justement d'accélérer la stratégie de la pépite iséroise, qui se positionne désormais comme équipementier de rang 1, en tant que fournisseur de systèmes hydrogène pour l'ensemble du monde automobile.

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Après avoir transféré le siège de l'entreprise en région lyonnaise, tout en conservant ses sites situés en Isère et en Savoie, Symbio veut désormais passer d'une production d'une centaine de systèmes par an, à plusieurs milliers. Mi-janvier, son nouveau pdg a signé la promesse d'achat du terrain visant à accueillir la première usine de production de kits de piles à combustibles du groupe. Située en plein cœur de la Vallée de la Chimie sur près de 8 hectares, elle se positionne à une centaine de kilomètres de son berceau d'origine, Grenoble.

Avec au menu, une phase de transition au sein d'un site industriel situé à Vénissieux, où débutera bientôt un premier cycle de production en série, avant d'atteindre une première phase de 60.000 systèmes produits par an d'ici fin 2023.

Objectif : 200.000 kits à hydrogène pour 2030

A travers ce nouveau site, qui doit entrer en service d'ici deux ans, l'objectif de Symbio est même d'atteindre les 200.000 kits hydrogène produits d'ici 2030, à destination des constructeurs du monde entier. En parallèle, le lancement d'un centre de formation, situé sur place, ambitionne de former près de 300 personnes par an aux métiers de l'hydrogène. Et ce, à destination de l'ensemble de la filière. « Nous souhaitons contribuer à développer une vallée de l'hydrogène, avec les emplois qui vont avec et répondre ainsi à nos propres besoins ainsi qu'à ceux de nos partenaires, sous-traitants, etc, en vue d'outiller plus largement la filière », affiche Philippe Rosier. Car sa montée en volume impliquera également pour le futur équipementier de générer près de 400 emplois directs d'ici 2025.

Pour se tailler une place à la hauteur de ses ambitions, Symbio devrait pouvoir compter sur une enveloppe de 140 millions d'euros d'investissements, annoncée l'an dernier par ses actionnaires (détails : NC).

Symbio

Car avec sa pile à combustible alimentée en hydrogène, qui s'appuie sur 10 brevets français et européens, Symbio espère bien concurrencer les batteries des véhicules électriques, en intégrant ses kits pré-conçus au sein des moteurs de demain.

« La vision de l'entreprise et de devenir l'un des leaders mondiaux dans les systèmes hydrogène, ce qui signifie pour nous la pile à combustible ainsi que tous les équipements qui permettent d'optimiser son fonctionnement », explique Philippe Rosier.

Celui-ci nuance toutefois qu'il n'a pas vocation à adresser les réservoirs à hydrogène, que son co-actionnaire Faurecia développe déjà, ni les batteries qui se relieront à son kit, que d'autres conçoivent déjà.

Michelin s'engage lui aussi

De son côté, son coactionnaire Michelin trace, non loin de lui, sa propre feuille de route : « D'ici 10 ans, une part significative de l'activité du groupe sera réalisée en dehors des pneumatiques », estime Valérie Bouillon Delporte.

En plus de s'engager dans l'aventure Symbio, Michelin travaille ainsi depuis plus d'une quinzaine d'années sur la pile à hydrogène, le groupe en est d'ailleurs aujourd'hui à sa quatrième génération. « Michelin est convaincu que les deux technologies, hydrogène et batterie, seront indispensables et complémentaires », complète Valérie Bouillon Delporte. Le groupe envisage déjà plusieurs types d'utilisation : vélos, voitures, camions, bus, bennes à ordures ménagères, trains et même bateaux.

Lire aussi : François Legalland (CEA-Liten) : "Rendre l'hydrogène décarboné compétitif d'ici 10 ans"

Michelin s'est également investi des projets collaboratifs, visant à permettre à la filière mobilité hydrogène de se développer, comme Zero Emission Valley (ZEV), qui assure un maillage de stations de recharge hydrogène et permet à des industriels et institutionnels de s'équiper en véhicules hydrogène. A travers le projet ZEV, Michelin est également devenu co-actionnaire d'une autre société, Hympulsion, créée en février 2019 et chargée d'installer et exploiter les 20 stations, aux côtés d'Engie, du Crédit Agricole, de la Caisse des dépôts et de la région Auvergne-Rhône-Alpes. « Ce projet a fait boule de neige puisqu'il est aujourd'hui décliné dans quatre autres régions d'Europe », se félicite Valérie Bouillon Delporte.

Mais le groupe auvergnat veut également faire bouger les lignes dans un autre domaine : celui de la compétition automobile, à travers sa participation au projet Mission H24, « qui vise à introduire la technologie hydrogène dans les véhicules d'endurance participant aux 24 heures du Mans en 2024 », indique Yves Faurisson, directeur mobilité hydrogène Michelin.

Pour atteindre cet objectif, GreenGT a développé une voiture de type « Le Mans Prototype » (LMP), équipée d'une motorisation électrique à hydrogène. La gestion de cette voiture, appelée LMPH2G, a été confiée à une équipe de course, H24Racing. Un projet où Symbio et Michelin sont tous deux partenaires, le premier apportant son retour d'expérience sur les piles à hydrogène tandis que le second amènera, quant à lui, son expertise pneumatique.

« Les informations récoltées sur circuit amèneront la R&D à accélérer. Car les fortes exigences exprimées par le milieu de la compétition permettent de tester les innovations dans les conditions les plus extrêmes et stimulent la recherche et le développement », précise Yves Faurisson.

Un équipementier aux côtés des constructeurs

Là où les deux groupes se rejoignent également, c'est sur la certitude d'avoir encore une place à prendre dans cette filière en pleine émergence. Michelin est en effet convaincu que l'hydrogène ira bien au-delà de la mobilité : c'est pour lui une solution visant à lutter contre les émissions de CO2 et la pollution de l'air, ainsi que l'une des clés de voûte de la transition énergétique.

Outre le transport, l'hydrogène permettra selon lui de décarboner également à terme la production d'acier, la chimie ou le chauffage urbain. « Symbio est clairement le véhicule par lequel nous mettons à disposition des piles à hydrogène pour la mobilité. Notre priorité portera sur les utilitaires légers mais également lourds, même si demain, on peut imaginer que la technologie qui sera mise sur le marché par Symbio puisse ensuite être utilisée dans d'autres domaines », détaille Valérie Bouillon Delporte.

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Un constat que renforce le dirigeant de Symbio : « Les constructeurs visent aujourd'hui à compléter leur offre électrique sur des segments de usage où le tout électrique a du mal à répondre aux attentes des clients, c'est-à-dire à chaque fois que l'on a besoin d'une plus grande autonomie pour des usages plus intenses, tout en limitant le poids des dispositifs », indique Philippe Rosier. Car face à des VE proposant en moyenne 200 à 300 km d'autonomie en mode « tout électrique », l'hydrogène se distingue en offrant des autonomie moyenne de 600 km (soit 100 km pour 1kg d'hydrogène embarqué).

A court terme, Symbio se concentrerait donc sur le marché des véhicules utilitaires et des poids-lourds, tandis que de futures applications restent sur la table concernant également des navires, voire des avions. « Nous pensons que le segment des véhicules particuliers pourrait s'ouvrir à des solutions hydrogène, dans certains cas comme celui de taxis, mais à plus long terme, lorsque les coûts des systèmes ont baissé. Notre défi est encore de réduire le coût de nos systèmes par dix d'ici 2030 », ajoute Philippe Rosier.

Pour cela, l'équipementier isérois misera à la fois sur l'amélioration de son processus d'industrialisation ainsi que par un effet de volume, tout en conservant un volet R&D. D'ailleurs, il a d'ores et déjà déposé un dossier dans le cadre des appels à projets d'intérêt stratégique au niveau européen, aux côtés de son voisin McPhy, pour des innovations de rupture dont le détail n'a pas été encore été dévoilé.

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