Foncier, routes, logements : les autorités planchent sur la levée des freins pour accueillir les EPR2 au Bugey

Neuf mois après l’annonce de l'État de retenir le site du Bugey (Ain) afin de construire la troisième paire de futurs réacteurs nucléaires EPR2, les autorités formalisent en ce moment leur plan de bataille : nouvelle gouvernance, organisation de comités départementaux et régionaux, exonération de 220 ha du décret « Zéro artificialisation nette » des sols. Le tout, dans l'idée de « faciliter » cette nouvelle implantation nucléaire qui pourrait amener temporairement plus de 7.900 salariés dans l’Ain au pic des travaux en 2035, selon EDF. Un vaste projet qui n'a pas encore été débattu au Parlement.
Le Préfecture de Région vient de lancer un « comité régional stratégique EPR2 », qui réunira régulièrement au niveau départemental et régional les élus et les acteurs économiques autour de l'emploi, du logement ou encore des transports.
Le Préfecture de Région vient de lancer un « comité régional stratégique EPR2 », qui réunira régulièrement au niveau départemental et régional les élus et les acteurs économiques autour de l'emploi, du logement ou encore des transports. (Crédits : Reuters)

La troisième paire d'EPR2 française constituerait-elle à nouveau un « chantier du siècle » pour le département de l'Ain ? Retenu par l'Etat en juillet dernier pour l'implantation d'une partie de son nouveau programme atomique, le site de la centrale nucléaire du Bugey (et ses quatre réacteurs quarantenaires existants) se prépare aujourd'hui à affronter la vague réglementaire et économique associée à ce grand projet, pas encore débattu au niveau parlementaire.

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Car tout, sur le papier, serait multiplié : emplois, logements, infrastructures de transports, écoles... Le territoire, situé à proximité de Lyon et de la Suisse mais aussi des activités économiques de la Plaine de l'Ain (le « PIPA », 8.200 emplois dans 180 entreprises : des industries, des centres logistiques), commence à entrapercevoir ces chantiers colossaux. Et à s'organiser en conséquences.

La Préfecture met en place une gouvernance

Ainsi, la Préfecture de Région entend bien coordonner tous ces acteurs autour d'un « comité régional stratégique EPR2 », lancé ce lundi 8 avril, après deux premières réunions de cadrage à l'automne. Cette gouvernance vise à harmoniser l'action de l'Etat, d'EDF et des collectivités territoriales, notamment en réunissant des comités départementaux dans l'Ain, dans le Rhône et en Isère, à partir du mois de mai 2024.

Comités qui « associeront les élus jusqu'au niveau communal, ainsi que les acteurs économiques locaux », précise la Préfecture de Région, sans évoquer le tissu associatif, qui a priori n'y sera pas invité.

Ils « auront une portée généraliste avec un rôle de partage de l'information », mais également « de recensement des besoins et des attentes du territoire ». Ou encore « d'identification des réponses pouvant être apportées localement, et de mise en œuvre des orientations identifiées », ajoutent les services de l'Etat.

Un ensemble qui devrait s'articuler avec des réunions thématiques, cette fois interdépartementales, afin « d'apporter une expertise ». Pour l'heure, trois groupes de travail ont été identifiés : « emploi, compétences et accompagnement des entreprises », « mobilités et infrastructures » et enfin « logement, foncier et urbanisme ».

Car une question brûle déjà les lèvres des élus locaux : comment héberger et faire circuler les quelques 7.900 professionnels mobilisés au pic des travaux, pour l'instant anticipé en 2035, là où la centrale emploie aujourd'hui environ 2.000 personnes ?

L'Ain met en avant « le besoin » de nouvelles infrastructures routières

Car la courbe « en cloche » présentée par EDF en février dernier sur le site de la centrale témoigne d'une montée en puissance du nombre d'emplois en génie civil entre 2027 et 2034, puis des métiers de montage mécanique et électronique entre 2032 et 2036.

Le tout, avec un « pic » à 7.900 emplois projeté en 2035, avant une première chute jusqu'en 2039, puis en 2042, année autour de laquelle EDF entend lancer les deux réacteurs (entre 2040 et 2045). Un nombre de salariés largement supérieur à celui de la période d'exploitation, quant à lui estimé à environ 1.000 personnes au sein de la future centrale.

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Des emplois que Joël Guerry, membre de l'association Sortir du nucléaire au Bugey, décrit « en feu de paille » : il pointe notamment des postes « transférés, et non créés, étant donné que les réacteurs de la centrale actuelle du Bugey auront dépassé les 60 ans au moment de leur potentiel lancement », ce qui soulève la question de leur démantèlement. Et du transfert des travailleurs de la centrale actuelle vers le projet.

De son côté, Jean Deguerry, président (LR) du département, se disait en février dernier « bien conscient que ces EPR2 vont nous obliger, aussi bien sur les infrastructures routières que sur les logements ».

L'élu dressait alors les grandes lignes des « besoins » dans l'Ain, pour ce projet qu'il décrit comme « défendu par les élus locaux auprès de Luc Rémont (PDG d'EDF) il y a un an. Et ce, quelles que soient leur couleur politique » :

« Nous avons dix ans devant nous pour construire une première phase, pour recevoir les personnes qui viennent travailler ici, les loger, et qu'elles puissent se déplacer. D'où le projet de diffuseur, de routes, de nouveau pont sur le Rhône, etc. D'où aussi la nécessité de construire des écoles, des collèges : nous en avons conscience. Et déjà, nous pensons à faire des réservations et prévoir tout ça », indiquait Jean Deguerry à La Tribune en février dernier.

Des « besoins » également défendus du côté de la Plaine de l'Ain voisine : l'intercommunalité a en effet accueilli l'année dernière quelque 1.400 nouveaux habitants, contre environ « 700 à 800 en moyenne », remarquait en février son président, Jean-Louis Guyader. Et les prospectives vont bon train selon l'élu centriste, également président du PIPA :

L'année 2023 a en effet battu un record, avec 26 hectares alloués à 19 entreprises sur le PIPA, contre une dizaine d'hectares en moyenne chaque année : « Nous avons reçu près de 190 demandes d'installations d'entreprises », atteste Jean-Louis Guyader, qui indique que les critères retenus portent sur le type d'activités (non concurrentielles), ou encore le niveau de pollution (le nombre de camions en transit) : « nous privilégions les industries à la logistique », complète l'élu, qui précise que l'année 2024 sera un petit peu moins dynamique en raison du contexte économique.

Il n'empêche, les tensions se font ressentir dans cette zone initialement « rurale, où ont été implantées des usines ».

Exonérer les communes de la ZAN ?

D'où une idée soufflée par le président LR du département au ministre de l'industrie, Roland Lescure, lors de son déplacement sur le site de la centrale en février :
« pourquoi ne pas exonérer les communes entourant la zone du décret sur le Zéro artificialisation nette des sols (ZAN), en raison du « fait nucléaire » ? »

Cette mesure issue de la loi Climat et résilience (2021), qui se traduit aujourd'hui dans tous les schémas directeurs d'urbanisme (Sraddet, SCOT, PLU), vise à limiter l'artificialisation de terres agricoles ou naturelles. Mais ici, l'élu LR plaide pour une considération de la situation particulière du site, dont l'emprise d'EDF sera elle même déjà exonérée du ZAN :

« Il faut exonérer une partie de ces terres du ZAN pour construire des logements qui seront dédiés uniquement à la centrale nucléaire. Car il ne faudrait pas que cela pénalise trop les communes. Je demande que certains logements et équipements sortent aussi de cette enveloppe », affirmait alors le président du département de l'Ain.

La semaine dernière, le gouvernement a par ailleurs dévoilé la liste des 167 sites français « d'envergure nationale ou européenne » exemptés du décret. Parmi eux, douze se situent en Auvergne-Rhône-Alpes : dont le contournement ferroviaire lyonnais CFAL Nord (Rhône), la ligne LGV Lyon-Turin (Savoie), ou encore l'extension des usines STMicroelectronics et Soitec (Isère), mais aussi le projet de mine de lithium EMILI (Allier).

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Parmi eux, se trouvent également les quelque « 220 hectares » de terres agricoles et d'anciennes carrières fléchés vers le projet d'EPR2 du Bugey. Des terres en cours d'acquisition, sur une surface dont les contours ne semblent pas encore tout à fait dessinés : en effet, le PLU de la commune de Loyettes a fait l'objet d'une enquête publique, qui s'est terminée ce jeudi 18 avril.

Tandis que le SCOT, qui consacre quant à lui 150 hectares au projet EPR2, fait l'objet d'un recours de la part de l'association Sortir du nucléaire, déposé devant le tribunal administratif.

Joël Guerry, représentant de l'association au Bugey, siégeant par ailleurs au sein de la Commission locale d'information (Cli) de la centrale, soulève plusieurs points : d'abord, les associations ne sont, pour l'heure, pas associées aux premiers temps d'échanges avec l'Etat, ce qui « pose un problème démocratique ». En ce sens, et plus globalement, Sortir du Nucléaire dénonce « le refus du débat » (de la part de l'Etat et du porteur de projet).

Les « EPR2 », jamais passés au crible du législateur

En effet, le projet de six nouveaux réacteurs EPR2 a été décidé par le Conseil de politique nucléaire, présidé par Emmanuel Macron. Il n'a jusqu'ici pas été débattu au Parlement. Seul un débat public, notamment relatif à la première paire d'EPR2 projetée à Penly (Seine-Maritime), s'est déroulé l'année dernière en Normandie.

Quant à la loi de programmation ou de souveraineté énergétique (LPEC), initialement annoncée en 2023, elle n'a finalement pas été présentée au Conseil des ministres ou au Parlement. Idem pour la révision de la troisième Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), visant à fixer des objectifs de puissance et de production énergétique : le gouvernement lui préfèrerait désormais la voie des décrets, après une consultation publique de deux mois qui pourrait se dérouler avant l'été.

Vers une consultation début 2025 au Bugey

En attendant, EDF reste relativement mesuré dans ses annonces : si l'entreprise publique travaille toujours sur les études de pré-design des réacteurs, qui ont pris par ailleurs un retard de neuf mois, le ton employé par Luc Rémont la semaine dernière dans Les Echos se voulait plutôt pondéré. Le PDG du groupe public déclarait en effet « ne pas se précipiter pour lancer les chantiers nucléaires ».

Trois projets pharamineux (à Penly en Seine-Maritime, à Gravelines dans le Nord, et au Bugey), dont les coûts sont par ailleurs déjà surévalués par EDF à hauteur à 67,4 milliards d'euros aujourd'hui (contre 51,7 milliards annoncés en 2021).

Au Bugey, pour l'heure, EDF vise des premiers travaux en 2027, si toutes les autorisations préalables sont obtenues. Dans l'idée de voir circuler les premiers  mégawattheures à l'horizon 2040-45.

En attendant, l'entreprise prévoit de saisir la Commission nationale du débat public (CNDP) à l'été 2024, afin d'organiser une première phase consultative avec le territoire début 2025.

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Commentaire 1
à écrit le 20/04/2024 à 16:13
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La ruée vers le 2 dans le nom de ce futur bide, pour faire oublier celui qui n'en n'avait pas à Flamanville ou Olkiluoto. Ce 2 qui s'écrit comme le miracle auquel on voudrait croire ! Consternant !

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