En Auvergne Rhône-Alpes, le ralentissement immobilier vient percuter les finances des Départements

Dans son dernier rapport sur les finances publiques locales, publié en début de semaine, la Cour des Comptes pointe la situation financière fragilisée des Départements, percutée dans un effet ciseau d’un côté par la chute des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en raison du contexte actuel de l’immobilier et, de l’autre, par une hausse des dépenses. En Auvergne Rhône-Alpes, les Départements ne dérogent pas à la situation nationale, tous les voyants sont au rouge.
La forte baisse du marché immobilier impacte les finances des Départements.
La forte baisse du marché immobilier impacte les finances des Départements. (Crédits : CHARLES PLATIAU)

Dans son dernier rapport sur les finances locales, publié ce mardi, la Cour des Comptes évalue à 2,6 milliards d'euros en 2023 le déficit des collectivités locales, à l'échelle nationale. Parmi elles, ce sont les Départements qui vont être les plus impactés. Ceux-ci sont pris en tenaille entre d'une part une majoration de leurs dépenses, sociales tout particulièrement (aide sociale à l'enfance, double augmentation du point d'indice des agents, RSA etc) et d'autre part, un net retrait de leurs recettes lié directement à la chute des DMTO, les droits de mutation à titre onéreux. Ces taxes sont versées par les acquéreurs de biens immobiliers, dans le cadre des « frais de notaire » : elles représentent (sur la quasi-totalité des territoires à quelques très rares exceptions près) 5,81% de la valeur du bien. 4,5% reviennent au Département du lieu d'implantation du bien, 1,2% à la commune. Le reste (frais d'assiette) revenant à l'État.

Dans un contexte de très net ralentissement du marché immobilier, - empêtré dans la hausse des taux d'intérêt et la plus grande frilosité des banques-, le constat des Départements est mathématique. Et douloureusement implacable pour leurs finances. Moins de ventes = moins de DMTO dans leurs caisses. Une claque après deux années post covid, excellentes en matière d'immobilier et donc de DMTO.

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Selon la FNAIM, la Fédération Nationale des Agents Immobiliers, l'année 2023 devrait se terminer avec « un record historique de baisse de ventes sur un an de -21% en France », conjugué à une baisse des prix. En Auvergne-Rhône-Alpes, à fin août 2023, le volume des ventes avait baissé de 14%. Toujours selon la FNAIM, à fin 2023, la baisse devrait se situer à -19% dans la région. Car la chute semble s'accélérer.

« Chaque semaine, la situation est de pire en pire. Les prix commencent à baisser mais pas encore de manière très franche. En revanche, les ventes se raréfient, nous commençons vraiment à entrer dans le dur. La hausse des taux d'intérêt est devenue un énorme frein. Il va falloir suivre ce que donnera la révision annoncée récemment du prêt à taux zéro », constate Christine Bellon Besse, vice-présidente de la chambre interdépartementale des notaires de la cour d'appel de Lyon, en charge du Rhône.

Même écho du côté d'Alain Courtet, pour la Chambre des notaires de la Loire. « Nous avons connu une embellie post-covid, et nous revenons désormais à une normalisation. Mais il faut s'attendre à aller au-delà, nous pensons que la fin de l'année 2023, et peut-être 2024, seront très difficiles ».

Selon la FNAIM, globalement, en Auvergne Rhône-Alpes, cet effondrement immobilier devrait générer une baisse d'environ 20% des DMTO pour 2023 par rapport à 2022.

Des DMTO divisées par deux par rapport à 2019 dans le Rhône, -23% dans l'Isère

Dans le Rhône, les conséquences comptables sont fortes.

« En 2019, nous percevions environ 180 millions d'euros de DMTO. En 2022, ce n'était plus que 117 millions d'euros. Et cette année, nous pensons que nous allons tomber à 90 millions d'euros (-23% par rapport à 2022 NDLR). Sur un budget global du Département de 630 millions d'euros cette année, l'impact sur nos finances est dramatique. 27 millions d'euros en moins par rapport à 2021, ce n'est pas rien, c'est l'équivalent d'un collège », pointe Christophe Guilloteau, le président (LR) du Département du Rhône.

« Nous allons finir l'année à l'équilibre en piochant dans les réserves mises de côté pendant les bonnes années DMTO (option réglementaire possible depuis 2022 NDLR) mais nous avons aussi décidé, il y a six mois, de mener en urgence un plan d'économie interne». En travaillant sur son budget de fonctionnement, le Département espère économiser deux à trois millions dès cette année. Le Rhône a également choisi d'appuyer sur l'accélérateur de son plan de déploiement de panneaux photovoltaïques sur les toits de ses collèges afin d'aller chercher des économies d'énergie.

Pour 2024, le budget n'est pas encore établi mais Christophe Guilloteau est clair : « nous devrons revoir le niveau de nos dépenses. Nous ne pouvons pas économiser sur l'action sociale ni sur les collèges, ce sont les routes qui seront impactées et puis, tout ce qui n'est pas obligatoire. Malheureusement, les petites manifestations culturelles par exemple ».

Dans le Puy-de-Dôme, le vice-président finances, Jérôme Gaumet (Groupe Union des Républicains et Indépendants), aligne lui aussi des chiffres fortement à la baisse. De 110 millions d'euros en 2022 sur un budget total de 792 millions d'euros, les DMTO devraient se chiffrer en 2023 à 90/92 millions d'euros. Et, prudent, il budgétera moins de 90 millions d'euros pour 2024.

« C'est vrai que le post covid a créé une embellie pour nos finances mais elle est arrivée à point nommé car nos dépenses de fonctionnement et d'investissement ont aussi beaucoup augmenté à ce moment-là. Nous avons quand même pu mettre en réserve 30 millions d'euros. Nous allons devoir en ponctionner la moitié cette année pour mettre notre budget 2023 à l'équilibre ».

Pour 2024, le Puy-de-Dôme sait d'ores et déjà, qu'il va devoir réduire la voilure de ses dépenses. Comment ? La question n'est pas encore tranchée, le budget primitif est actuellement en cours d'élaboration.

Idem en Isère où les DMTO devraient s'effondrer cette année de plus de 23% par rapport à 2022. Le niveau de droits de mutation étant redevenu comparable à celui 2019. « Et encore, heureusement, nous avions décidé l'année dernière de passer notre taux de 3,5% jusqu'ici au taux maximal de 4,2% comme l'ensemble des autres départements français, ce qui a permis de limiter les dégâts », commente Julien Polat, vice-président finances du conseil départemental de l'Isère (Divers droite), reconnaissant que sa collectivité avait tiré sa bonne santé financière post-covid de l'envolée des DMTO. Elle n'a pas fait de réserve mais en a profité pour accélérer son désendettement.

Dépenses sociales en hausse

Dans la Loire, le président Georges Ziegler (LR), ne mache pas ses mots. De 89 millions d'euros en 2020 puis 115 millions en 2021 et 122 millions en 2022, les DMTO sont pour l'instant (à fin septembre) tombées à 75 millions. 15 millions d'euros avaient été mis en réserve l'année dernière.

« L'année n'est pas terminée, nous avions budgété 94 millions. Nous y serons peut-être mais je suis pessimiste. Nous ne sommes vraiment pas à l'abri d'une mauvaise surprise.  Le ralentissement du marché immobilier nous pénalise. Je tire la sonnette d'alarme pour 2024 : nous aurons forcément un budget très contraint. Car il ne faut pas oublier qu'en face, nous avons des dépenses sociales qui augmentent de manière importante ».

Georges Ziegler pointe notamment son budget « solidarités humaines », qui englobe l'enfance, le handicap, les personnes âgées et le RSA. Celui-ci est passé de 450 millions d'euros en 2020 à 502 millions en 2023. « Nous avons par exemple un afflux massif de mineurs non accompagnés ces derniers mois. Comment on fait ? Il est de notre devoir de Département de bien les accompagner, mais nos finances ne sont pas extensibles. Nous avons aussi subi, l'augmentation du point d'indice, l'augmentation du SMIC etc. Je n'ai pas de baguette magique ni de trésor de guerre. N'oublions pas que nous sommes complètement dépendants des DMTO et de la fraction de TVA. Comment on fait quand cela ne fonctionne plus ? Je pense qu'il faudrait redonner aux Départements un accès à l'impôt direct avec de nous redonner la main sur notre avenir ».

Les Départements demandent plus de visibilité

Tous sont d'accord sur un point : la nécessité de redonner de la visibilité à leur collectivité.

« Si désormais, nous devons faire avec 90 millions d'euros de DMTO, nous ferons avec mais il devient intenable d'être complètement dépendant de ressources aussi volatiles. L'Etat doit fixer des règles », enjoint le président du Rhône, Christophe Guilloteau. Visibilité aussi réclamée sur ce qui attendu de l'action et des investissements des Départements.

Cette angoisse des Départements de la région Auvergne-Rhône-Alpes est partagée à l'échelle nationale, et portée auprès du gouvernement par l'Association des Départements de France présidée par François Sauvadet. Pour lui, le Projet de Loi de Finances 2024 ne permettra pas aux Départements de faire face. « Comment les Départements pourront-ils continuer à investir si les dépenses imposées par l'État s'accumulent sans nouvelles ressources à la clé ? », alerte-t-il.

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De son côté, Thomas Cazenave, ministre délégué des comptes publics a appelé, la semaine dernière, à une « réflexion collective » pour la mobilisation d'un fonds de 60 millions d'euros afin de soutenir les départements les plus fragiles. Cette enveloppe correspondant au fonds de sauvegarde qui avait été constitué à l'occasion du remplacement, dans les recettes fiscales des Départements, de la taxe sur le foncier bâti par de la TVA.

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