A Lyon, la ségrégation spatiale selon les revenus moins forte qu'à Lille

La séparation de l'habitat entre riches et pauvres est plus forte à Lille qu'à Lyon, selon un constat de l'Insee qui s'explique par divers facteurs dont le développement urbain et les fortes inégalités de revenus, analysent deux experts.
(Crédits : Robert Pratta)

C'est l'un des constats d'une étude de l'Insee. Même si elle présente des contrastes sociaux extrêmement importants, Lyon fait partie des grandes villes les plus homogènes dans la répartition de l'habitat. La séparation de l'habitat entre riches et pauvres y est moins forte qu'à Lille par exemple, un phénomène qui s'explique, selon deux universitaires, par divers facteurs dont le développement urbain et les fortes inégalités de revenus.

« L'une des raisons est que les écarts de revenus sont moins élevés à Lyon qu'à Paris ou Marseille », explique à l'AFP Jean-Yves Authier, professeur de sociologie à l'Université Lumière Lyon 2.

S'ajoute aussi la structure du marché immobilier lyonnais, « certes tendu » mais « beaucoup moins que le marché parisien », selon Jean-Yves Authier. Troisième facteur d'atténuation, la présence « sans doute plus importante de logements sociaux dans le centre-ville de Lyon » et une politique de rénovation urbaine « dans les quartiers de La Duchère, Mermoz ou dans les communes populaires de l'Est qui amène à faire diminuer la part de logements sociaux ».

Des contrastes sociaux « extrêmement importants »

L'agglomération présente cependant des contrastes sociaux « extrêmement importants, à la fois à l'intérieur de Lyon et en proche banlieue », rappelle-Jean-Yves Authier,  avec une « opposition très nette entre les communes de l'ouest et du nord-ouest, très bourgeoises, et celles de l'est, beaucoup plus populaires ».

Par ailleurs, si la ville occupe une place intermédiaire entre sa banlieue ouest et est sur le critère des revenus, « on ne voit pas apparaître les mêmes différenciations spatiales si l'on considère les niveaux de diplômes, Lyon étant beaucoup plus diplômée que l'ensemble de l'agglomération », souligne le professeur.

Selon l'Insee, la répartition de la population se révèle également plus homogène à Lens, Pau, Grenoble ou Saint-Etienne.

Lille est moins homogène

A l'inverse, à Lille, explique à l'AFP Yoann Miot, maître de conférences à l'Université Gustave Eiffel, « dès le 19e siècle, la bourgeoisie, qui ne souhaitait pas vivre dans les quartiers ouvriers pour ne pas subir la pollution ou par peur des troubles sociaux, crée ses propres quartiers d'habitation comme Barbieux à Roubaix, autour de l'hippodrome à Lambersart ou à Marcq-en-Baroeul ». Mais l'effondrement de l'industrie textile à partir des années 1960 et la tertiarisation de l'économie ont engendré une « précarisation des classes populaires, notamment des ouvriers, et finit par exclure les plus pauvres du marché classique du logement pour les concentrer dans le parc social », fait valoir le chercheur.

A la clé, une concentration des classes populaires « dans le seul endroit où le marché reste accessible, c'est-à-dire autour de Roubaix ». Parallèlement, la concentration des populations dans les quartiers les plus riches est « beaucoup plus forte que celle des pauvres dans les quartiers les plus pauvres », avec en banlieue, des « lotissements de cadres structurés autour de golfs ». Lorsque du logement social est construit dans des communes aisées comme Bondues, « ce sont plutôt des ménages situés dans les franges éligibles les plus aisées qui vont y vivre, dans la mesure où une partie des attributions de logements sociaux reste l'apanage de la commune », explique Yoann Miot. Outre Lille, Marseille, Rouen ou même Angers figurent parmi les villes les plus ségréguées, tandis que la répartition de la population se révèle plus homogène à Lens, Pau, Grenoble ou Saint-Etienne.

(Avec AFP)

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Dans les villes, riches et pauvres n'habitent pas au même endroit

Recherche d'un « entre-soi » pour les populations les plus riches, relégation spatiale pour les plus pauvres... Les grandes villes sont l'objet d'une ségrégation croissante de l'habitat selon les revenus, malgré quarante ans de politique de la ville en faveur de la mixité sociale. Sur 50 grandes villes françaises, les disparités spatiales selon les revenus ont augmenté dans plus de 30 d'entre elles entre 2004 et 2019, selon une étude de l'Insee.

« Les différents quartiers des villes ont tendance à se spécialiser dans tel ou tel type de niveau de revenus, et la part des populations pauvres continue à augmenter dans les quartiers de la politique de la ville (QPV) alors qu'elle était déjà élevée », explique à l'AFP Mathilde Gerardin, co-autrice de cette étude.

« La ghettoïsation de la société s'accentue avec la crise du logement depuis une dizaine d'années », confirme Eddy Jacquemart, de la Confédération nationale du logement. Comme indiqué précédemment, Lille, Marseille, Rouen ou même Angers figurent parmi les villes les plus ségréguées, tandis que la répartition de la population se révèle plus homogène à Lyon, Lens, Pau, Grenoble ou Saint-Etienne.

« Ces résultats constituent une véritable alerte sur les logiques d'évitement résidentiel des catégories sociales supérieures et d'éviction des catégories populaires dans les quartiers en voie de gentrification », analyse Yoan Miot, maître de conférences à l'Université Gustave Eiffel.

Le niveau de ségrégation est davantage corrélé à la répartition des logements sociaux et aux inégalités de revenus qu'à la taille ou à la densité des villes.

Autre constat : les revenus des plus modestes sont plus faibles qu'ailleurs dans les villes les plus ségréguées, tandis que les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres vivent « les plus concentrés spatialement ».

« Les quartiers socialement mixtes sont de moins en moins nombreux », constate Sylvie Fol, professeur à Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Historique du développement urbain, déconnexion entre revenus des ménages et prix de l'immobilier, dessertes en transports, politiques publiques... Les causes de la ségrégation sont propres à chaque ville et font toujours débat.

Certains chercheurs mettent en avant des choix individuels, avec la volonté de mettre à distance les personnes jugées indésirables. D'autres l'expliquent par des mécanismes structurels, comme la recomposition spatiale d'activités industrielles ou la métropolisation, qui concentre davantage les emplois hautement qualifiés dans les centres des agglomérations.

« En haut de l'échelle des revenus, les logiques de ségrégation choisie, qui correspondent à un désir d'entre-soi, sont plus fortes, avec des +ghettos dorés+ plus homogènes socialement que les quartiers populaires », observe Antonine Ribardière, maîtresse de conférences à Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

A l'inverse, la politique de construction des grands ensembles des années 1960, conçus à l'origine pour accueillir des populations très diversifiées, s'est transformée au fil du temps en une politique involontairement créatrice de ségrégation sociale. Les personnes quittant les lieux, plus aisées, ont été remplacées par des personnes encore plus défavorisées.

De plus, les communes ont eu tendance à construire des logements sociaux « dans des quartiers déjà défavorisés, en raison de la forte intolérance à ces logements dans les quartiers favorisés », souligne Sylvie Fol, qui voit là « un puits sans fond » et un « mécanisme de reproduction des inégalités ».

« Cette étude nous interroge sur comment on agit », réagit Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, qui met en oeuvre les programmes d'amélioration de l'habitat dans les QPV. Elle relève toutefois « une évolution très forte pour favoriser la mixité dans le nouveau programme de renouvellement urbain lancé en 2014 ».

« Il y a un échec des politiques à déghettoïser les quartiers pauvres et à forcer les quartiers riches à produire du logement social », constate de son côté Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre, qui plaide pour un quota de logements sociaux par quartier et arrondissement et non plus par commune.

Parmi les effets attendus de cette ségrégation, « une baisse des chances d'intégration professionnelle, une hausse de la ségrégation scolaire ou des effets sur la santé avec des logements parfois surpeuplés et mal équipés en espaces verts », prévient Sylvie Fol.

« C'est un réel problème social car tous les lieux de résidence n'ont pas le même accès aux services publics », renchérit Antonine Ribardière.

(AFP)

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