Ils seraient environ 800 descendants recensés de Geoffroy Guichard, le fondateur de Casino. L'été dernier, à l'occasion de l'une des traditionnelles retrouvailles de famille qui se tenait dans la plaine du Forez, ils étaient plus de 200. Certains d'entre eux ont encore de nombreuses actions chez Casino. Ceux-là ont perdu gros avec l'effondrement du cours boursier. Jusqu'à plusieurs millions d'euros pour une poignée d'entre eux.
Pour Théodore Guichard (36 ans), arrière-arrière-petit-fils de Geoffroy Guichard - pharmacien en exercice à Biarritz et président de l'association familiale Adosia (association créée en 1924, se chargeant de maintenir les liens familiaux et d'entretenir la mémoire des Guichard) - la perte se mesure en plusieurs centaines de milliers d'euros. « Mais peu importe, ce n'est pas le plus important », assure-t-il. « Oui c'est une perte mais ce n'est pas de l'argent que j'avais gagné, j'en avais hérité. Et j'ai profité des dividendes versés pendant de nombreuses années, cela m'a aidé dans ma vie, dans mes projets ».
« Par solidarité envers les salariés et par respect de la mémoire de nos ancêtres »
Ce n'est donc pas pour l'aspect financier que le jeune pharmacien s'est engagé activement ces derniers jours dans une opération de mobilisation de sa famille autour d'une démarche judiciaire qu'avait enclenchée en début d'année son oncle (éloigné), Xavier Kemlin, arrière-petit-fils de Geoffroy Guichard. Deux plaintes dénonçant notamment une manipulation des cours, un abus de biens sociaux et une escroquerie au jugement contestant les modalités de la procédure de sauvegarde dont avait bénéficié Rallye (maison mère de Casino) en 2019.
« J'ai baigné dans la culture Casino depuis ma naissance, j'y suis extrêmement attaché mais je ne suis pas expérimenté en matière de finances, je suis pharmacien. Jusqu'ici, je ne m'intéressais que de loin à l'actualité économique de l'entreprise, même si j'avais bien connaissance des remous et de la chute du cours des actions. J'ai été très fortement choqué lorsque le cabinet d'avocats en charge des deux plaintes m'a contacté il y a un mois et m'a expliqué la situation. J'ai pris toute la conscience de ce qui s'était passé ».
L'arrière-arrière-petit-fils de Geoffroy Guichard dénonce, ému, la gestion de Jean-Charles Naouri et la passivité de certaines parties prenantes. « Cette entreprise est morte non parce qu'elle n'était pas performante, mais parce que son dirigeant l'a sciemment menée jusque-là ». En son nom personnel, (et non au titre de président de l'association familiale précise-t-il), il essaie donc, depuis cette soudaine prise de conscience le mois dernier, de rallier d'autres membres de sa famille à la croisade menée par son oncle contre Jean-Charles Naouri depuis plusieurs années. Objectif : que le maximum d'entre eux s'associent à ces plaintes afin de leur donner une envergure médiatique et in fine accélérer la procédure. La semaine dernière, une trentaine de membres de la famille Guichard aurait ainsi assisté à une réunion d'information animée par le cabinet d'avocats mandaté. Déjà, ce dernier disposerait d'une dizaine de mandats signés par la famille.
« Je pense qu'il y en aura beaucoup plus mais il faut leur laisser le temps de prendre connaissance des plaintes, de l'ampleur de cette question. Par solidarité envers les salariés dont beaucoup ont donné leur vie à Casino et par respect pour la mémoire de nos ancêtres qui n'auraient pas accepté que cela se passe comme ça. Jean-Charles Naouri doit répondre de ses actes, tout comme ceux qui ont laissé faire passivement. La mobilisation de la famille représenterait un symbole fort », note Théodore Guichard.
Un soutien qu'applaudit des deux mains Xavier Kemlin, à l'origine de nombreuses procédures judiciaires contre Jean-Charles Naouri, depuis plusieurs années. Il rappelle d'ailleurs qu'il s'était opposé, en son temps, à l'OPA menée par Jean-Charles Naouri. Lui, soutenait plutôt celle de Promodès. Parfois considéré comme le trublion de la famille, Xavier Kemlin est un des derniers membres de la famille à avoir un lien si étroit avec Casino et avec le secteur de la grande distribution dont il a côtoyé les grands patrons : son arrière-grand père (Geoffroy Guichard), mais aussi son grand-père et son père ont réalisé leur carrière dans l'entreprise. Tout comme lui, aujourd'hui retraité, qui avait notamment endossé la casquette de directeur achats des produits frais.
« Je vais tout faire pour que cette reprise échoue »
Au-delà des procédures judiciaires déjà engagées, l'homme entend bien faire le maximum pour faire échouer la reprise du groupe Casino comme elle se dessine aujourd'hui. Vent debout contre Jean-Charles Naouri et le trio de repreneurs annoncé, il refuse aussi une vente en lots de l'entreprise familiale, telle qu'annoncée ce début de semaine avec une cession des hypermarchés/supermarchés à Auchan et Intermarché. Et propose une autre voie, dévoilée dimanche dernier à nos confrères du Progrès à l'occasion de la manifestation qui a rassemblé environ 2.000 Stéphanois : une OPE entre Carrefour et Casino, c'est-à-dire une offre publique d'échange. Une opération semblable à une OPA, à une différence près (importante) : la prise de contrôle d'une société par une autre se fait par l'échange de titres et non par leur achat, sans coût financier immédiat.
« Cela permettrait de construire un leader international de la grande distribution sans imposer à Carrefour un investissement trop important. La solution me parait tellement évidente, je ne comprends pas pourquoi tout le monde semble se contenter de cette casse sociale annoncée et de la solution pilotée par Jean-Charles Naouri, l'homme qui a conduit Casino dans cette situation ».
Xavier Kemlin reconnaît toutefois ne pas détenir toutes les clés. « Évidemment qu'il y a un gros travail à faire, notamment au niveau de la dette mais rien n'est impossible quand il y a une volonté politique ». L'héritier de Geoffroy Guichard a sollicité l'intersyndicale pour obtenir son soutien afin de présenter plus avant son projet à Carrefour. Ni l'un, ni l'autre n'a donné suite pour le moment à ses demandes de rendez-vous.
« L'Intersyndicale n'est pas gestionnaire de l'entreprise, nous ne sommes pas juges de paix et n'avons donc pas à intervenir là-dessus. Et puis, surtout, cette proposition arrive bien tard. Cela fait des semaines que le sujet est sur la table, pourquoi ne pas s'être avancé plus tôt ? », s'interroge Jean Pastor, porte-parole de l'intersyndicale Casino.
Sollicité, le groupe Carrefour n'a pas donné suite à notre demande d'entretien. Il s'était officiellement positionné sur une cinquantaine d'hyper et supermarchés, ainsi que sur les 7.000 enseignes de proximité, qui ne seraient pas à vendre (pour le moment en tout cas).
Pour Noël Zierski, expert du secteur de la grande distribution, ancien directeur marketing de Leclerc et directeur général d'Intermarché pendant plusieurs années, la voie proposée par Xavier Kemlin a peu de chance d'aboutir :
« Je comprends son initiative... en tant qu'arrière-petit-fils du fondateur Geoffroy Guichard, très attaché à préserver l'intégrité du groupe et en premier lieu, celle de l'enseigne Casino. Son initiative est louable mais, je ne vois pas comment elle pourrait aboutir. D'abord, elle vient trop tard puisque le Groupe Casino vient d'annoncer (le 18 décembre) l'entrée en négociations exclusives avec Auchan et Intermarché. D'autre part, même si cette initiative était venue "avant", elle ne semble pas résoudre le problème de la dette et des créanciers ».
L'arrière-petit-fils de Geoffroy Guichard reconnaît d'ailleurs lui-même porter cette nouvelle idée comme une bouteille jetée à la mer. Mais quoi qu'il en soit, il est bien déterminé à ne pas laisser le groupe Casino avancer plus avant dans le processus de vente à la découpe. Il encourage d'ailleurs les salariés, les membres de sa famille et toutes les personnes attristées par le sort de Casino à acheter des petits lots d'action pour, ensuite, créer un collection d'actionnaires disposant d'une minorité de blocage.
« Ce dossier est complètement fou. Je vais intenter toutes les procédures judiciaires possibles pour ralentir et bloquer cette cession. Je vais être un véritable morpion, je vous le promets ».
Le dernier combat pour sauver ce qu'avait construit son ancêtre.... Les discussions autour de la bûche de Noël devraient être plus animées que d'habitude cette année dans les foyers de la descendance Guichard. D'ici là, l'intersyndicale avait rendez-vous avec Bruno Le Maire ce jeudi à 16h, avec un espoir : obtenir une reprise globale du groupe et non une cession à la découpe.
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