Dark kitchens, magasins fantômes : Villeurbanne et Lyon embarquent les grandes villes dans un courrier à Elisabeth Borne

A Villeurbanne comme à Lyon, les dark stores et dark kitchen, c'est non. Les maires EELV et PS des deux villes sont à l'origine d'un courrier, signé depuis par les grandes villes de France, et destiné à la Première Ministre, Elisabeth Borne. Objectif : alerter sur les conséquences de deux décrets en projet, qui ouvriraient voie à une simplification de l'installation des commerces de la "dark city". Une position reprise et confortée depuis par les élus de France Urbaine, qui s'opposent également à un allègement des règles d'installation.
(Crédits : DR)

"Jusqu'à présent, lorsqu'une entreprise voulait installer un dark store dans la ville, si elle changeait l'utilisation du lieu, c'est-à-dire en passant d'une activité commerciale classique à une activité de dark store ou de dark kitchen, cela nécessitait d'interroger le maire de la commune sur l'opportunité d'une telle installation", affiche le maire PS de Villeurbanne, Cédric Van Styvendael.

Alors que deux projets de décrets portés par le gouvernement, censés encadrer l'installation des dark kitchens et dark stores sur le territoire français, prévoit de permettre en réalité à ces acteurs de s'implanter en cœur de ville "dès lors qu'ils disposent d'un simple comptoir de retrait de commandes", le maire de Villeurbanne est monté au créneau aux côtés de son homologue EELV, Grégory Doucet, pour s'y opposer farouchement.

"Nous sommes très vigilants depuis quelques mois à Villeurbanne sur cette question, si bien que lorsque la veille que nous menions à ce sujet nous a démontré qu'un texte était en préparation, nous avons décidé de contacter notre voisin lyonnais ainsi que plusieurs autres grandes villes de France, afin d'interpeller Elisabeth Borne, avant que la démarche ne soit finalement appuyée par France Urbaine", explique Cédric Van Styvendael.

Un courrier à Elisabeth Borne, co-signé par une dizaine d'élus

Dans un courrier, co-signé aux côté de plusieurs élus de l'association France Urbaine (Pierre Hurmic pour Bordeaux, Anne Vignot pour Besançon, Martine Aubry à Lille, Benoit Payan à Marseille ou encore Anne Hidalgo mais aussi, du côté des LR, Stéphane Beaudet à Evry Courcouronnes ou Patrick Ollier à Rueil-Malmaison), les deux édiles lyonnais dénoncent deux dispositions qui "feraient courir le risque aux communes que nous représentons de voir se démultiplier sur nos territoires ces établissements qui, même dotés d'un comptoir d'accueil, n'en resteraient pas moins des entrepôts ou des cuisines opaques. Ce phénomène s'inscrit à l'opposé de ce que nous souhaitons tous, au-delà de nos appartenances politiques, pour nos cœurs de ville."

En effet, ces deux projets de projets de textes réglementaires prévoient que ces magasins fantômes "ne relèvent pas de la sous-destination « commerce de détail » et que les dark kitchen ne relèvent pas de la sous-destination « restauration »", ce qui permettrait ainsi à ces acteurs de "s'affranchir de ces contraintes", et notamment de la demande de changement d'usage à produire en mairie, "dès lors qu'ils disposent d'une surface de vente, aussi réduite soit-elle", assurent les signataires.

"Ce texte représenterait un moyen de contournement de la législation actuelle pour les acteurs qui souhaiteraient s'installer, en installant tout simplement un comptoir de retrait des commandes", traduit à La Tribune Camille Augey, adjointe à l'emploi, l'économie durable, à l'insertion, au commerce et à l'artisanat de la Ville de Lyon. "C'est pourquoi nous avons réussi à fédérer, autour de ce sujet, des villes de toutes appartenances politiques, car c'est un sujet sur lequel les maires partagent leurs interrogations".

Un modèle qui pousse à "l'ubérisation" des centres-villes

"Au-delà de nos appartenances politiques, nous sommes nombreux, élus locaux, à nous inquiéter de ces mesures qui feraient de nos villes des dark city peuplées de commerces fantômes. (...) Ce n'est pas la société ni la ville que nous voulons", abonde Cédric Van Styvendael. "A un moment où chacun se pose déjà la question de son impact environnemntal, on peut se demander si on a besoin de se faire livrer tout, à domicile et tout le temps ?".

Celui-ci évoque un modèle qui, en "venant concurrencer le commerce et les services de proximité", "vide les cœurs de villes de ce qui fait leur attractivité, leur qualité de vie, leur singularité" tout en présentant "un coût environnemental élevé", "des nuisances pour les riverains" ainsi qu'une "précarisation des conditions de travail des livreurs".

Pour le maire EELV Grégory Doucet, qui s'était déjà exprimé dans un tweet, "l'explosion non régulée des dark stores est un danger majeur pour la convivialité et la qualité de vie urbaine".

Des projets déjà retoqués, d'autres installés

Il faut dire que ce n'est pas la première fois qu'ils sont confrontés à cette question : en décembre dernier déjà, la ville de Lyon avait fait valoir son opposition à l'ouverture d'un dark store au sein du 6e arrondissement, alors même qu'une dizaine de ces établissements sont déjà recensés dans la capitale des Gaules (Gorillas, Flink, Getir...), tandis que du côté des dark kitschens, un acteur local, l'incubateur de dark kitchen Food'lab, avait ouvert en janvier 2022 une grande cuisine partagée de 1.200 m2 dans le 9e arrondissement de Lyon.

"Aujourd'hui, les dark kitchens sont encore plus difficiles à contrôler et répertorier que les dark stores, car ils s'installent bien souvent dans d'anciens restaurants, sans produire nécessairement de déclaration ni changement d'usage des locaux", regrette Camille Augey, à la Ville de Lyon.

A Villeurbanne également, un autre projet d'installation d'une grande dark kitchen dans l'est de la ville et générant près de 4.000 livraisons par jour, avait finalement découragé son instigateur, le géant Deliveroo, après un premier refus du maire.

"Si un tel projet devait chercher à s'implanter dans le centre-ville de Villeurbanne aujourd'hui, avec cette nouvelle réglementation, je ne disposerais d'aucun moyen juridique pour agir", prévient l'élu PS, qui précise que son assemblée citoyenne s'est saisie de ce sujet en lançant une concertation sur les enjeux d'une « ville entrepôt », dont les premières conclusions devraient aboutir à l'automne.

Sur le sujet des dark stores, l'élu concède que la situation est plus délicate puisqu'il existe déjà, à Villeurbanne, 8 à 10 implantations (Gorillas, Flink, etc) de ces "magasins fantômes" devenus les piliers de la livraison ultra-rapide de différents produits, pour le compte des grandes plateformes en ligne, et "autant en projet", regrette Cédric Van Styvendael. "Nous n'avons pas d'outil juridique à leur opposer lorsque leur bail évoque déjà une activité de stockage".

Une réponse attendue

A travers ce courrier, adressé le 19 août dernier en plein coeur de l'été et en amont de la rentrée parlementaire, les élus locaux signataires espèrent non seulement que les dispositions concernées "soient retirées des projets de textes en
cours", "mais également que les communes où prospère ce type d'activités disposent
des moyens juridiques de les réguler et de lutter efficacement contre toutes les
externalités négatives que celles-ci produisent".

De son côté, l'association France urbaine précisait que "les propositions d'actualisation formulées par l'administration ne permettent pas un réel encadrement par les maires. Le décret final devra être plus strict et plus précis. Les maires doivent pouvoir réguler les implantations en fonction de leur stratégie d'urbanisme et de la politique d'animation et de développement commercial de leurs territoires."

A ce jour, la première ministre n'a pas répondu à leur sollicitation, mais le ministre délégué à la Ville et au Logement Olivier Klein avait rappelé, le 13 août dernier : "Oui, il faut réguler les dark stores et trouver l'équilibre entre vitalité des centres-villes et emploi. C'est tout l'objet de ce projet (de décret, ndlr) !" Et d'ajouter : "Les remarques de la Ville de Paris et des municipalités sont les bienvenues. Et pas seulement sur Twitter..."

La ministre déléguée aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et au tourisme, Olivia Grégoire, avait quant à elle assuré qu'elle resterait "vigilante à ce que le développement des dark stores ne se fasse pas au détriment du commerce de détail", rappelant les grandes orientations d'un guide, déjà édité en mars : "si un dark store n'accueille pas de public c'est un entrepôt, et s'il évolue pour en accueillir, c'est un commerce".

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