Dark stores, dark kitchens... face aux "commerces fantômes", Lyon et Villeurbanne contre-attaquent

Après Paris, c'est la mairie de Lyon qui s'est récemment opposée à l'implantation d'un dark store et celle de Villeurbanne, qui a refusé l'ouverture de la seconde plus grande dark kitchen de France. Toutes deux défendent une certaine vision de la ville et du commerce comme d'autres villes, qui ont été en quelques mois plus nombreuses à s'opposer publiquement à la prolifération ces commerces "fantômes", aux conditions salariales contestées. Avec, comme principal appui juridique, des leviers administratifs liés à l'urbanisme, comme à Lyon et Villeurbanne, même si les villes espèrent une réglementation nationale.
Alors que la Métropole de Lyon compte déjà trois entrepôts opérés par Gorillas depuis la mi-2021 (Villeurbanne, Presqu'île et Grange-Blanche), les regards sont désormais tournés vers le futur PLU-H de la Métropole, en cours de modification, qui pourrait se placer comme un atout supplémentaire dans l'ambition de l'exécutif de freiner l'expansion de ces nouveaux types de commerces.
Alors que la Métropole de Lyon compte déjà trois entrepôts opérés par Gorillas depuis la mi-2021 (Villeurbanne, Presqu'île et Grange-Blanche), les regards sont désormais tournés vers le futur PLU-H de la Métropole, en cours de modification, qui pourrait se placer comme un atout supplémentaire dans l'ambition de l'exécutif de freiner l'expansion de ces nouveaux types de commerces. (Crédits : Reuters)

Dans quelques grandes villes françaises, les mairies commencent à s'opposer aux dark stores, ces supermarchés de l'ombre, sans clients, d'où partent des livreurs à vélo pour apporter leurs courses aux domiciles des particuliers, et tout ça, en un minimum de temps.

En décembre dernier, Camille Augey, adjointe au commerce, à l'économie durable et locale s'était positionnée en conseil municipal contre l'implantation d'un dark store, place de l'Europe, dans le 6e arrondissement de Lyon. Le même mois, à Paris, Emmanuel Grégoire, adjoint d'Anne Hidalgo à l'urbanisme, prenait aussi position contre les dark stores via une tribune dans le JDD.

La ville de Lyon compte actuellement six dark stores, "mais ça évolue très vite", souligne Camille Augey.

Lyon pointe quatre problématiques

"En conseil municipal, trois arrondissements posent une question à chaque fois, recontextualise Camille Augey pour La Tribune. La question du maire du sixième était pouvons nous compter sur les élus pour réguler l'implantation des dark stores ? Une implantation était en effet prévue sur une place piétonne, ce qui a interpellé les riverains. C'était l'occasion de répondre et de prendre position."

L'adjointe au commerce se positionne donc contre, en revendique pour cela quatre raisons. D'abord, le sujet des conditions de travail : "les salariés sont certes en CDI [pour le cas de celle qui a été refusée, mais cela varie selon les entreprises, ndrl], mais la promesse de livraison en 10 minutes, avec une cadence élevée est source de stress, le travail est déshumanisé et il faut compter l'usure professionnelle, la pression du temps qui prône à prendre des risques de sécurité routière", affirme l'élue.

Elle pointe aussi la question de la concurrence au commerce de proximité, dans un contexte de crise sanitaire. "Les commerces participent aussi à l'animation du quartier. Je ne souhaite pas voir de rues dévolues à la logistique urbaine et pas à la déambulation", poursuit l'adjointe. Sur le "partage de l'espace public", il est aussi question des vélos, qui font beaucoup de rotations, voire attendent parfois en masse devant les entrepôts.

Dans la Métropole de Lyon, l'entreprise allemande Gorillas est arrivée arrivé mi-2021. Elle a trois entrepôts (Villeurbanne, Presqu'île et Grange-Blanche) qui emploient une trentaine de salariés chacun. Avec ces trois magasins, l'entreprise arrive affirme desservir une grande partie des deux villes.

"A t'on besoin de se faire livrer des pâtes à 23h en dix minutes ?"

"La mairie de Paris parle elle-même de 'déferlante', mais avec trois magasins, comme à Lyon, on opère la ville et nos surfaces font entre 300 et 400 mètres carrés", défend Paul Choppin, en charge des relations publiques pour Gorillas.

Sur la question de la concurrence, "nous ne nous opposons pas aux services existants, nous sommes plutôt en complément", soutient-il. La plateforme a plutôt vocation "à remplacer les courses en supermarché, que les déambulations aux Halles Bocuse."

Sur le fond, c'est aussi une question philosophique qu'oppose la municipalité : "quelle société on veut ? A-t-on besoin de se faire livrer des pâtes à 23h en dix minutes ?", interroge l'adjointe.

Sur ce point, Paul Choppin estime avoir une "vision moins opposée". "Est-ce que les gens n'ont pas mieux à faire que de passer une heure et demie au supermarché, comme cuisiner ou se promener dans la rue ?"

Aussi, Gorillas a changé son credo de communication. Le concept n'est plus de "se faire livrer en dix minutes", mais "en quelques minutes". Nuance.

Tout en précisant, que les entrepôts sont positionnés de telle sorte que le livreur puisse livrer entre 5 et 6 minutes, "ce qui laisse trois minutes pour préparer la commande." Un rythme qui reste tout de même soutenu et chronométré. Même si de son côté Gorillas affirme que le livreurs, en CDI, "ne sont pas incités à battre des records de vitesse, mais de qualité de service."

Dans une autre perception du temps, l'exécutif lyonnais actuel se positionne plus sur la ville du quart d'heure, soit "avoir tous les besoins quotidiens accessibles dans un rayon de 15 minutes à pieds".

Contacté, Cajoo n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.

Quels outils ont les collectivités face aux dark stores ?

Une fois positionné contre, comment la mairie peut-elle effectivement freiner le développement des dark stores ?

"L"interpellation [de la mairie du 6e] a jeté la lumière sur le dossier et les services se sont penchés sur ce sujet. Nous avons vu qu'avec le levier du PLU-H, un entrepôt ne pouvait pas être autorisé sur cette zone. Nous traitons chaque implantation avec rigueur", explique Camille Augey.

Alors pourquoi d'autres ont-ils réussi à s'installer ailleurs en ville ?

La réponse de Lyon reste, à ce sujet, assez vague : "Lorsqu'il y a le constat de l'intention ou de l'installation d'un dark store, les services de l'urbanisme peuvent intervenir pour demander aux entreprises de régulariser leur situation en dressant des constats de mise en demeure, ou des PV. Consciente des enjeux de transformation qu'impliquent ces nouvelles implantations, la Ville est particulièrement vigilante sur les nouvelles implantations afin d'agir le plus tôt possible."

En théorie, pour ouvrir un dark store, comme ce n'est "pas un commerce classique", car le projet s'apparente plutôt à celui d'un entrepôt.

"Un projet de dark store entraîne la nécessité de faire une déclaration préalable auprès des services de l'urbanisme de la ville, pour un changement de destination ou un dépôt de permis de construire pour des travaux. Relevant de sa compétence, c'est à la Ville de délivrer ou non une autorisation", précise la municipalité.

Mais force est d'admettre que "certaines sociétés ne font pas le changement de destination. Il faut qu'on ait connaissance des dossiers", reconnaît Camille Augey. En effet, "on prend des baux commerciaux, parce qu'on se considère comme des commerçants", affirme de son côté Paul Choppin.

Le futur PLU-H : un nouveau levier pour freiner ces expansions ?

Le PLU-H de la Métropole, en cours de modification, pourrait être un atout supplémentaire dans l'ambition de l'exécutif de freiner l'expansion de ces nouveaux types de commerces. "Oui, je compte avoir cette intention, de faire en sorte de limiter la possibilité d'implanter un dark store sur une artère commerçante et de risquer une concurrence directe. Sachant que c'est notre levier principal", déclare l'adjointe.

"Il existe un flou juridique car il s'agit d'une nouvelle façon de faire du commerce. Les élus nous voient comme un entrepôt, les PLU ne sont plus adaptés à ce type de commerce", analyse Paul Choppin.

D'autres villes de France embrassant cette vision, Camille Augey espère même que ce sujet sera pris en main à travers une nouvelle réglementation au niveau national. Pour autant, est-ce que cette prise de position affichée par les collectivités pourrait freiner les ambitions de certains porteurs de projets ?

Gorillas, ne souhaite pas à ce jour communiquer sur sa volonté d'expansion, ou non, à Lyon.

Villeurbanne contre la deuxième plus grande dark kitchen de France

Plus récemment, en février, c'est contre un autre genre de commerce de l'ombre que le maire de Villeurbanne, Cédric Van Styvendael, s'est opposé. Il a ainsi refusé de la création de la deuxième plus grande dark kitchen Deliveroo de France - 2.000 mètres carrés -  dans sa commune.

"Je ne rejette pas le modèle de la livraison à domicile, mais il y a un risque pour l'économie locale et je suis contre la rémunération à la tâche", avance le maire.

Cette dark kitchen aurait généré environ 4.000 livraisons par jour, selon Cédric Van Styvendael, donc tout autant de rotation de vélos ou de scooters. Suite à la déclaration préalable de Deliveroo, la Métropole de Lyon a émis un avis négatif, se basant justement sur cet important volume de livraisons. "La Métropole n'était pas d'accord sur la présence de plusieurs véhicules thermiques", explique le maire de Villeurbanne, qui s'est aligné sur cette décision.

La ville de Lyon compte pourtant déjà quatre dark kitchen, sur des sites plus petits comme celles de Food'Lab, qui ont donc été dispensées de faire des déclarations préalables.

D'ailleurs à Villeurbanne, Cédric Van Styvendael n'exclue pas totalement que Deliveroo puisse engager un recours au tribunal administratif. "Je suis prêt à prendre ce risque", affirme-t-il. L'élu compte également "se saisir de la question pour interpeller le législateur" dans les jours à venir.

Sur la question des dark stores, "nous allons voir comment nous nous positionnerons. Certains ont déjà fait un travail de non-précarisation. On avisera en fonction des enseignes qui arrivent", ajoute le maire de Villeurbanne.

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