Formation professionnelle : pourquoi le financement de l'apprentissage suscite des inquiétudes

A la veille d'une restructuration des « coûts contrat », le mécanisme qui finance l'apprentissage en France, le président de la chambre régionale de métiers et de l'artisanat de la région Auvergne-Rhône-Alpes tire la sonnette d'alarme. Il estime l'évaluation de ces coûts « dévalués » pour les branches manuelles en CAP par rapport aux formations post-Bac. Or, dans le même temps, l'apprentissage continue de progresser, alourdissant le coût pour certaines entreprises.
Selon le baromètre 2023 de l'Institut supérieur des métiers, le nombre d'apprentis a augmenté de 15 % en Auvergne-Rhône-Alpes. Le secteur des services a connu la plus forte progression, avec 19 % d'apprentis supplémentaires.
Selon le baromètre 2023 de l'Institut supérieur des métiers, le nombre d'apprentis a augmenté de 15 % en Auvergne-Rhône-Alpes. Le secteur des services a connu la plus forte progression, avec 19 % d'apprentis supplémentaires. (Crédits : DR)

Les formations professionnelles en apprentissage sont devenues en quelques années une voie d'insertion privilégiée par les étudiants et les entreprises. En 2022, près de 837.000 contrats ont été signés en France, soit deux fois plus qu'en 2018, dans l'objectif de faciliter l'insertion des jeunes dans le monde professionnel. Parmi eux, 200.000 exercent dans des entreprises artisanales de moins de 20 salariés, dont 27.850 en région Auvergne-Rhône-Alpes. La formule est attractive pour ces petites entreprises, le rythme de croissance de cet apprentissage est de 15 % sur un an.

Sauf qu'après plusieurs années d'abondance pour le dispositif  - depuis la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018 structurant le système au niveau de l'Etat et non plus des régions -, puis avec les aides exceptionnelles à l'apprentissage en 2020, le gouvernement amorce aujourd'hui un virage budgétaire plus restrictif. La Cour des comptes a, par ailleurs, épinglé à deux reprises, en 2022 et en juillet 2023, les coûts en direction de la formation professionnelle des salariés et de l'apprentissage (budget 2023 de 21,8 milliards d'euros pour l'Etat), « en relevant la nécessité de recentrer le soutien public ».

Ainsi, la révision à la baisse de 5 % de l'enveloppe des « coûts contrat », attribués à chaque étudiant dans sa filière et définis par l'organisme public France compétences et les branches professionnelles, vise à réaliser 540.000 euros d'économies dans le prochain budget 2024. Il y a un an, alors que l'Etat amorçait déjà une diminution similaire dans la continuité de « la fin du quoi qu'il en coûte », l'enveloppe avait finalement été réduite de 2,5 % (14,5 milliards d'euros pour France compétences).

Un soutien « à deux vitesses » selon la chambre de métiers et de l'artisanat

Cette nouvelle ligne de conduite depuis un an, en rupture avec la forte croissance des budgets alloués depuis 2018 (malgré une situation déficitaire), doit pourtant se conjuguer avec le cap maintenu du million d'entrées en apprentissage d'ici à 2027.

A l'heure où certains secteurs sont frappés par la pénurie de main-d'oeuvre, comme dans le bâtiment, ces annonces ne sont pas sans susciter les inquiétudes des branches professionnelles.

C'est le cas du président de la chambre de métiers et d'artisanat de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Vincent Gaud, qui a par ailleurs décliné l'invitation symbolique de figurer aux côtés de la ministre déléguée à l'enseignement supérieur et à la formation professionnelle, Carole Grandjean, lors de la compétition nationale des métiers, à Lyon, courant septembre.

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Le représentant régional des métiers de l'artisanat craint une scission entre les filières manuelles et celles de l'enseignement supérieur, qui sortent gagnantes des politiques d'accompagnement de l'Etat : « Les coûts contrat proposés sont très favorables dans l'enseignement supérieur, un peu moins pour les CAP, notamment pour une quinzaine de métiers comme la boulangerie, la coiffure, la boucherie », relève le président de la chambre régionale de métiers et de l'artisanat, qui a finalement échangé avec Carole Grandjean, vendredi 15 septembre.

A l'heure où l'apprentissage progresse en effet dans l'Hexagone, les formations post-Bac se sont structurées autour du dispositif : « L'enveloppe d'une formation en hôtellerie s'élève par exemple à 13.600 euros par apprentis. En comparaison, celle du CAP boulangerie est de 6.015 euros. Les coûts investis en matériels, en matières premières, en électricité, ne sont pourtant pas les mêmes. La formation deviendrait même déficitaire », poursuit Vincent Gaud.

« Nous avons convenu de nous donner rendez-vous sur les modalités de financement des contrats. J'ai rappelé l'engagement du président de la République en janvier dernier, devant les artisans, d'une aide aux employeurs de 6.000 euros, quels que soient l'âge, le niveau de diplôme et la taille de l'entreprise »,

répond Carole Grandjean, ministre déléguée à l'enseignement supérieur et à la formation professionnelle

Effet multiplicateur

Selon Catherine Elie, directrice des études au sein de l'Institut supérieur des métiers (qui publie chaque année un baromètre de l'apprentissage dans l'artisanat), les aides accordées par l'Etat ont en effet accompagné la multiplication de formations en BTS depuis 2018 : « Le fait que les jeunes prolongent de plus en plus leur formation est tout nouveau. L'artisanat, souvent associé à des emplois moins qualifiés, suit cette tendance générale, à la hausse. Nous assistons à une élévation tendancielle du niveau de compétences requis ».

« Les apprentis préparant un diplôme infra-bac contribuent peu à la hausse (+7 000, soit +3,5 %). Ce ne sont donc pas les contrats éligibles à l'aide unique qui croissent le plus vite : en 2019 l'essentiel de la hausse provient des apprentis préparant un diplôme de l'enseignement supérieur (+39 000, +32 %) »,

explique Bruno Coquet, chercheur associé OFCE, Sciences Po.

Même constat pour Jean-Christophe Repon, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), qui représente 110.000 apprentis chaque année : « Nous savons déjà que l'apprentis qui sort de son cursus rentre rapidement dans la vie active sur un chantier, avec un taux d'insertion de 85 %. Mais, en parallèle, ceux qui le souhaitent peuvent aussi accéder à un BTS ou à de l'ingénierie. Aujourd'hui, le choix de l'artisanat ne ferme plus la porte des études supérieures ». Le représentant plaide pour « le juste coût » de la formation. Si pour lui, la révision des contrats s'est avérée justifiée par la situation déficitaire de France compétences, elle « ne doit ni peser sur l'entreprise, ni sur les familles ».

De son côté, malgré une dynamique d'ensemble « très positive », Vincent Gaud craint l'apparition d'un accompagnement « à deux vitesses » des filières. Le président de la CMA régionale pointe un effet en aval dans l'artisanat : « Si des entreprises se créent aujourd'hui, tout comme elles se féminisent, la masse salariale globale reste tendanciellement la même. Les nouveaux artisans viennent pour la plupart remplacer des départs qui ont eu lieu pendant la crise Covid ». Une situation à ajouter aux difficultés conjoncturelles de certaines filières, comme celle de la construction dans le bâtiment, qui reste le premier secteur de formation en apprentissage (40 % des jeunes formés en Auvergne-Rhône-Alpes) et dont les besoins d'emplois à pourvoir vont aller croissants.

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