Décolletage : en ce début d'année, le choc de la crise sanitaire n'est pas encore absorbé dans la vallée de l'Arve

REPORTAGE. Alors qu’ils pensaient avoir surmonté le pire de la crise sanitaire à l’été 2020, les décolleteurs de la Vallée de l’Arve situés en Haute-Savoie auront finalement (encore) subi un violent contre-coup en 2021. Ce secteur, qui se pose comme un fleuron national, peine en effet à faire repartir son moteur alors que la transformation de ses clients issus de l'automobile et l'aéronautique se télescope à un autre enjeu : celui de la pénurie des composants électroniques. Avec une conviction : le marché de l'aéronautique ne redécollera pas avant 2024.
En ce début d'année, dans la vallée de l'Arve, le choc de la crise sanitaire n'est pas encore absorbé par les entreprises régionales (la transformation de l'industrie non plus). Pour certains acteurs, le marché aéronautique ne redécollera pas avant 2024.
En ce début d'année, dans la vallée de l'Arve, le choc de la crise sanitaire n'est pas encore absorbé par les entreprises régionales (la transformation de l'industrie non plus). Pour certains acteurs, le marché aéronautique ne redécollera pas avant 2024. (Crédits : DR)

Dans la Vallée de l'Arve (Haute-Savoie), entre Genève et Chamonix, les industriels ont comme l'impression de vivre sur des montagnes russes. En mars 2020, le confinement avait arrêté de nombreuses usines. Puis, une fois adaptées aux mesures sanitaires, les entreprises ont repris leur activité, au point de connaître un pic au deuxième semestre 2020. Leurs clients venaient de rattraper les commandes immobilisées durant le premier confinement.

Mais en 2021, c'est une nouvelle déconvenue à laquelle les industriels ont fait face. Certains craignent même que la chute d'activité ne se transforme désormais en une descente aux enfers.

Dans une vallée qui se pose comme le fleuron du décolletage en France, et où les industriels fabriquent les pièces et les connecteurs utilisés dans les véhicules et machines assemblées dans le monde entier, la crise sanitaire se transforme en une crise économique et industrielle.

Car les marchés automobiles et aéronautiques constituaient jusqu'ici une part encore importante des commandes qui arrivaient dans la Vallée de l'Arve. Or, l'année qui s'achève n'a pas vu ces industries repartir de l'avant, comme les décolleteurs l'espéraient.

La situation est désormais inquiétante pour les fournisseurs de l'industrie automobile, qui sont nombreux ici. « À l'issue du premier confinement, la reprise de l'activité a suscité un certain enthousiasme... L'activité était très forte », se rappelle Alain Appertet, le président du Syndicat national du décolletage (SNDEC). Mais l'embellie a été de courte durée.

« La pénurie de semi-conducteurs a provoqué la chute brutale de la demande de la part des donneurs d'ordres », pointe le président du SNDEC. Or, les décolleteurs s'engagent à tenir des stocks de pièces... qui sont restés en l'état, faute de pouvoir être livrés aux clients. Depuis début octobre 2021, plusieurs décolleteurs font ainsi face à des chutes de -40 à 50 % de leur chiffre d'affaires.

De fortes craintes pour l'avenir

En cette fin d'année, l'inquiétude était donc considérable dans la Vallée de l'Arve, quant à la durée de la pénurie de semi-conducteurs et des matières premières comme l'aluminium, associées à la hausse des prix du cuivre. « Il est difficile de reporter les hausses sur les commandes des clients », pointe Alain Appertet.

Et le virage vers l'automobile électrique ne sera pas nécessairement une bonne nouvelle pour ces acteurs, puisque le nombre de pièces mécaniques s'avérera lui-même huit fois inférieur que dans une automobile thermique. « On ne migrera pas deux milliards d'euros de production annuelle en claquant des doigts : il faut accompagner les entreprises », souligne Alain Appertet.

En attendant, la déconfiture de l'industrie automobile n'est pas rattrapée par le marché aéronautique, qui se pose habituellement comme le second carnet de commandes des décolleteurs. « L'aéronautique est stable, voire progresse, mais sur la base d'une perte de 40 % par rapport à l'avant mars 2020 », constate Alain Appertet, le président du SNDEC.

La reprise timide des vols longs courriers et les conditions sanitaires, encore très restrictives face à l'essor des variants Delta et Omicron, dissuade en effet les compagnies aériennes de passer commande. « Le marché ne reprendra pas avant 2024 », entrevoit-il.

Seuls les décolleteurs qui sont faiblement dépendants de l'automobile et de l'aéronautique s'en sortent bien. Ceux-là, qui avaient entamés leur diversification avant la pandémie, peuvent surfer ainsi sur une croissance à deux chiffres, observe le président du SNDEC.

Des diversifications, comme dans le secteur de la santé

C'est le cas de Bucci Industries France, qui a subi une baisse de 70 % de son chiffre d'affaires dans l'activité industrie durant les neuf mois qui ont suivi l'arrivée de la pandémie. « C'était dramatique », souffle Didier Bouvet, le directeur général de la société. Des employés sont placés en chômage partiel. L'entreprise complète les salaires pour éviter toute perte.

Le salut de l'entreprise passe par la diversification entamée en 2006 avec la création d'une division santé. « Une telle diversification ne se fait pas en moins de dix ans », affirme Didier Bouvet.

Bucci Industries France travaillait, depuis quatre ans, sur un projet important pour les Hôpitaux de Paris, quand la pandémie a frappé. « Il a abouti en pleine pandémie, en juillet 2020 », note Didier Bouvet. L'entreprise est choisie pour équiper tous les hôpitaux de Paris avec sa solution de sécurisation du circuit du médicament. Un système prépare la dose exactement nécessaire, suremballée, que le personnel soignant n'a plus qu'à donner au patient. L'innovation fait gagner du temps aux préparateurs en pharmacie, et élimine tout risque d'erreur de dose, de distribution au patient ou de problème de péremption.

À présent, Bucci Industries France s'apprête à marcher sur deux jambes équivalentes : sa division santé et sa division industrie, qui pourraient lui permettre rapidement de battre ses niveaux d'activité d'avant la pandémie, souligne Didier Bouvet.

De sous-traitant à partenaire

La diversification n'est pas la seule clé qui explique que des décolleteurs s'en sortent mieux. D'autres avaient aussi lancé un travail de fond qui les a amené à devenir des partenaires étroits auprès de leurs clients.

C'est le cas de HBP Group, qui clôture l'année 2021 avec une croissance de 43 %, selon son président Louis Pernat. « Le premier confinement a été brutal, confie-t-il. On a fermé complètement la société durant quatre jours, avant de reprendre en mode dégradé »

La baisse de chiffre d'affaires est rapidement récupérée après le déconfinement. HBP Group saisit les opportunités dès qu'elles se présentent, limitant la baisse de ses ventes à 14 % sur 2020. L'entreprise se lance dans la production de masques - « le seul masque sans production de déchets », se félicite Louis Pernat.

Si le décolleteur parvient à traquer les opportunités, c'est non seulement parce qu'il a l'habitude de la diversification, mais aussi parce qu'il travaille très en amont avec ses clients. Certains de ses collaborateurs travaillent même chez les clients, avec les équipes, pour monter des projets ensemble. « Nous sommes reconnus comme un fournisseur stratégique avec lequel on monte de vrais partenariats, affirme Louis Pernat.

Le drame de la Vallée de l'Arve est que la plupart des décolleteurs sont des sous-traitants. «  Or, la sous-traitance est souvent de la maltraitance. »

Cela fait dix ans que HBP Group a entamé le processus de sortie de son statut de sous-traitant. « Nous avons une relation beaucoup plus saine, en partenariat », se réjouit le président de HBP Group.

Ce travail de fond n'éloigne pas les craintes de Louis Pernat. « Je suis inquiet pour 2022. Nous sommes capables d'accompagner nos clients dans leur croissance. mais quand ces clients sont confrontés au manque de conteneurs, les chaînes de production s'arrêtent. »

Et l'industriel n'est pas rassuré pour la suite. « Nous n'en sommes qu'au début, craint-il. Nous manquons de matières premières, de conteneurs... On a réussi à slalomer jusqu'à présent, mais cela devient plus complexe... »

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