Auvergne : la racine de gentiane, la « fée jaune » de l’apéritif qui regagne de l'intérêt

Série d'été [Les marques désaltérantes "made in AURA" #2]. Amers et peu sucrés, les apéritifs fabriqués à partir de la racine de gentiane vivent un regain d’intérêt, en particulier parce qu’ils entrent dans la composition de plusieurs cocktails d’été. De quoi booster la filière auvergnate à s’organiser en vue de sécuriser ses approvisionnements. Car la gentiane, aussi connue sous le nom de "la fée jaune", reste une plante rare et fragile.
La gentiane, réputée pour son goût amer, surfe sur la vague du sans sucre et des attentes des nouvelles générations qui voient dans ces liqueurs de plantes une nouveau hit en matière de cocktails, dont l'ingrédient principal reste récolté en Auvergne.
La gentiane, réputée pour son goût amer, surfe sur la vague du sans sucre et des attentes des nouvelles générations qui voient dans ces liqueurs de plantes une nouveau hit en matière de cocktails, dont l'ingrédient principal reste récolté en Auvergne. (Crédits : DR)

Entre les deux liqueurs de gentiane Salers et Avèze, les avis des consommateurs du Cantal sont souvent résolument tranchés.

Marque ancienne, la liqueur de gentiane Avèze est en effet la seule à pouvoir revendiquer le label "Valeurs Parc Naturel Régional". Ses racines proviennent exclusivement du Parc Naturel Régional des Volcans d'Auvergne.

Mais de son côté, la marque Salers connaît elle aussi un vif succès dans l'Auvergne et le Limousin. Les Auvergnats de Paris ont ainsi exporté la "fée jaune" à la capitale depuis longtemps.

"Depuis une dizaine d'années, porté par le mouvement sugar bashing et le goût pour la mixologie et les cocktails, 10 % de notre production part désormais à l'export, aux États-Unis en particulier", constate Pierre-Benoit Dupuis, directeur général adjoint de Védrenne, le groupe familial constitué de distilleries qui détient la marque Salers.

Une destination d'exportation qui se confirme également chez la liqueur Avèze. Car depuis plus de 130 ans, Suze trouve son public plutôt dans le reste de la France -il n'est d'ailleurs pas fabriqué en Auvergne-, et son premier pays d'export est la Suisse.

Le reconquête d'un public jeune

"Depuis trois ans, Suze part à la conquête de nouveaux consommateurs en travaillant sur la barrière du goût amer", revendique Pernod Ricard, dont Suze est une marque. Sa cible mixte, les 25 - 35 ans, urbains, à la recherche d'authenticité, de moments de convivialité entre amis.

La reconquête de ce public fonctionne : Suze aurait déjà séduit les moins de 30 ans, un segment sur lequel la marque enregistrait une croissance de +12% en 2019 alors que les spiritueux en général, enregistrent plutôt une baisse de -8% de leurs consommateurs en l'espace de deux ans. Le mouvement entraîne d'ailleurs les autres spiritueux amers.

En Auvergne, Avèze et Salers sont identifiées cependant comme bien plus légitimes que le fleuron de Pernod Ricard. Localement, une multitude d'apéritifs de diffusion plus confidentielle valorise cette plante : plusieurs distilleries locales travaillent la gentiane, et quelques producteur lancent d'autres types d'apéritifs, comme celui à base de vin blanc et de gentiane de Michèle Bafoil, "L'Or en Cézallier" primé au Sommet de l'élevage.

"L'amer est tendance comme base pour les cocktails", reconnait Anthony Bonnefond, responsable marketing Avèze. "En matière d'innovation, nous avons développé toute une gamme de bases qui marche très bien." Les amers entrent ainsi dans la composition des cocktails type Aperol ou Spritz.

Un marché saisonnier, pour une récolte locale

Même si en Auvergne, la production est commercialisée toute l'année, le marché reste saisonnier, la majorité des ventes s'étalent entre avril et août, et enregistre un autre pic de consommation en fin d'année, pour les fêtes.

Salers produit ainsi près de 400.000 bouteilles chaque année, et son chiffre d'affaires a enregistré une progression constante de +3 % sur la dernière décennie. De son côté, la marque Avèze a connu, quant à elle, un bond de +10 à 15 % de son chiffre d'affaires avec 500.000 bouteilles vendues l'an dernier.

Face à ces deux références, Suze demeure quant à lui un poids lourd de l'univers des spiritueux, avec près de 4 millions de litres produits l'an dernier, dont 3,5 en France.

De son côté, la gentiane jaune d'Auvergne est récoltée dans le Sancy, sur les pentes du Puy Mary, l'Aubrac et dans le Massif central mais pousse également dans les Alpes et les Pyrénées.

Sa racine permet de produire après plusieurs mois de macération des apéritifs jaunes, amers, consommés seul ou en cocktail.

La production nationale de racine de gentiane avoisine ainsi les 2.000 tonnes de racines fraîches par an, dont plus de 1.000 tonnes sont produites dans le Massif central. Elle est principalement issue d'arrachage de racine sauvage mais depuis quelques années, dans le souci de sécuriser l'approvisionnement, Pernod Ricard a initié la culture de gentiane.

La plante est cultivée en semis en Auvergne, à Bourg-Lastic, et en Normandie, à Annouville. Salers s'approvisionne également auprès d'agriculteurs qui cultivent en raisonné. Un challenge puisque la gentiane met une vingtaine d'années à acquérir sa taille adulte et ne fleurit que tous les deux ans. La gentiane cultivée reste peu compétitive avec la gentiane issue de l'exploitation de sites naturels.

Un procédé artisanal

Les racines de gentianes, 5 kg pour un mètre de long, sont récoltées à la main par les gentianaires. Ils utilisent la "fourche du diable" pour l'extraire, et peuvent récolter jusqu'à 300 kg par jour. Après séchage, la racine est mise à macérer.

Le marché français offre des garanties, mais l'activité s'exporte désormais, notamment en Allemagne, Autriche, Suisse, Italie... Elle est aussi exploitée en pharmacie, parfumerie ou cosmétique.

La filière gentiane compte plus d'une centaine de professionnels, principalement répartis entre le Massif central, les Alpes et les Pyrénées : gentianaires, exploitants en gentiane, collecteurs, négociants et transformateurs ainsi que des propriétaires, des exploitants et des gestionnaires d'estives.

Les acteurs de la filière se sont d'ailleurs regroupés autour d'une réflexion sur la gestion durable de la plante. L'association interprofessionnelle de la Gentiane jaune "Gentiana Lutea" rassemble tous les étages de la filière sur le plan national et a mis en  place d'une marque collective "Gentiane - Filière développement durable".

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