Appelée à réunir tous les acteurs de la chaîne des semi-conducteurs - de la recherche privée/publique aux industriels - la nouvelle alliance européenne des semiconducteurs, fondée le 19 juillet dernier, est déjà mise en musique par le commissaire européen chargé de la politique industrielle.
Thierry Breton a mené sa première visite sur le sujet ce mercredi, au cœur du bassin grenoblois, auprès des industriels Soitec, STMicroélectronics ainsi que du CEA Leti. Une venue d'autant plus symbolique que si la capitale des Alpes est connue pour son écosystème lié aux semiconducteurs, la ville est également le berceau de l'une des deux technologies de pointe qui se partagent aujourd'hui le marché des composants de haute performance : le FDSOI (fully depleted silicium on insulator). Son atout est de fonctionner avec une très faible dissipation de puissance.
Créée au CEA Leti pour être ensuite industrialisée par des industriels locaux (Soitec, STMicroelectronics), le FDSOI a retenu l'attention du commissaire européen. Il s'est cependant déplacé dans un cadre plus large : celui de travailler à la mise en place d'une future roadmap commune aux chercheurs et industriels du secteur. Le but est de placer cette réflexion sous l'égide de l'Etat et de l'Europe, en leur redonnant des outils pour développer leur souveraineté industrielle.
Et ce, à l'heure où l'approvisionnement en composants électroniques est devenu un enjeu critique pour un grand nombre de produits et chaînes de production comme l'automobile.
« Augmenter très significativement la capacité de production en Europe »
C'est pourquoi Thierry Breton en a profité pour marteler un objectif :
« Alors que l'Europe réalisait encore près de 40% des approvisionnements du secteur il y a 35 ans, nous avons pour objectif d'augmenter très significativement la capacité de production sur notre territoire européen. L'objectif étant de remonter de 10 % de la demande mondiale à une cible de 20 % d'ici la fin de la décennie ».
Un pari de taille sur un marché mondial des semiconducteurs, qui pèse aujourd'hui 400 milliards d'euros, et pourrait même atteindre le trillion d'euros d'ici 2030.
Reste que dans cette course face à l'Asie, qui centralise désormais la majorité de la production de composants, l'Europe n'est pas la seule à vouloir s'éveiller : les Etats-Unis se sont également fixés des objectifs plus ou moins similaires (passer de 10% de la demande mondiale à 30%).
Il n'en reste pas moins que la cible de 20% fixée par l'Europe s'avère conséquente, pour des investissements qui le seront tout autant.
Cette industrie est en effet connue pour consommer d'importants capitaux à chaque fois qu'elle adresse un nouveau nœud technologique vers la miniaturisation. Malgré les contraintes, l'Europe veut conserver son rang mondial. Elle doit donc se préparer à miniaturiser encore davantage les puces pour répondre aux usages croissants ainsi qu'aux performances demandées par différents secteurs de l'économie (automobile, télécommunications, smartphones, etc).
Résultat ? Thierry Breton souhaite que la filière européenne se fixe des objectifs ambitieux au cours des 15 à 20 prochaines années, et établisse ensemble une roadmap technologique commune avec un mot d'ordre : « cap sur le 2 nanomètres ».
Même si, d'ici là, le commissaire européen est bien conscient qu'il lui faudra à la fois du temps, et surtout adresser chaque cap progressivement : « Nous devons finaliser une roadmap technologique qui passe de 22 à 18, puis 12, 10, 7, 5 et 2 nanomètres ».
Le (ou les) successeur(s) de Nano 2022 sur les rails
Pour cela, un premier programme européen IPCEI (Important Project of Common European Interest), Nano 2022, avait déjà été conclu entre quatre Etats européens (France, Allemagne, Royaume-Uni et Italie) afin de consolider la fabrication européenne de certains composants électroniques stratégiques (composants à faible consommation énergétique, composants de puissance, capteurs intelligents, circuits en matériaux composites, etc).
Ce dispositif était le successeur de plusieurs programmes précédents (Nano 2017, Nano 2012, etc) et s'était traduit, en France, par l'octroi d'une enveloppe de 6 milliards d'euros sur cinq ans, dont près d'un milliard d'aides publiques mobilisées à travers différents leviers (Europe, Etat, collectivités locales, etc).
Et déjà, la question sa succession par un nouveau plan Nano 2027 se posait depuis quelques mois. Thierry Breton le confirme désormais : l'alliance conclue la semaine dernière au sein de la filière des semiconducteurs se fixera pour objectif concret de travailler collectivement, « d'ici le second semestre », à finaliser le recueil des besoins et établir cette roadmap technologique qu'il appelle de ses vœux.
Tout en précisant que pour cela, "il n'est pas impossible que se créent, dans le cadre de cette nouvelle alliance européenne des semiconducteurs, un ou plusieurs nouveaux programmes en vue d'accompagner le financement de la recherche vers le 7 nanomètre et moins".
Il a par ailleurs rappelé que les deux technologies actuelles et concurrentes (soit le FinFET et le FDSOI) s'avéreront complémentaires.
« On a cette chance en Europe de pouvoir compter sur deux technologies en parallèle et il nous faudra les deux pour équiper les voitures, les satellites, et les smartphones de demain », a indiqué Thierry Breton.
Dans cette optique, le commissaire européen sait qu'il pourra compter sur des investissements provenant directement des industriels concernés, qui ont déjà annoncé des augmentations de leur capacité de production, à l'image de Soitec ou de STMicroelectronics.
Mais il est aussi conscient que cela ne suffira pas : « Nous savons qu'il sera nécessaire de créer de nouvelles usines sur le territoire européen et aussi d'accueillir, en parallèle à ces efforts, de nouveaux partenaires. Nous serons ouverts à accueillir sur le territoire européen des acteurs non européen qui se sont déjà manifestés ».
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