Le drômois Hevatech développe des outils pour cartographier les gisements de chaleur fatale

Transformer la chaleur fatale (ou chaleur perdue) des industriels en électricité et en énergie thermique, c’est la promesse d’Hevatech. Lauréate de l’appel à projets France 2030 « Transformation des PME par l’innovation », la société drômoise spécialisée dans la valorisation des fumées moyennes et hautes températures, s’aventure sur un projet parallèle : le développement d’outils permettant de cartographier précisément ces gisements de chaleur fatale. Avec, pour objectif final d’accompagner ses clients, pour leur permettre d’améliorer leurs rendements tout en réduisant leur empreinte carbone.
Hevatech a développé un procédé de récupération et revalorisation de la chaleur fatale des industriels. Son projet de cartographie des gisements, Maeva, est lauréat d'un appel à projet France 2030.
Hevatech a développé un procédé de récupération et revalorisation de la chaleur fatale des industriels. Son projet de cartographie des gisements, Maeva, est lauréat d'un appel à projet France 2030. (Crédits : Reuters)

Hydrogène, électrification, stockage du CO2... Les solutions qui promettent de décarboner l'industrie se multiplient. Plus discrète, la revalorisation de la chaleur fatale en électricité et en énergie thermique fait son chemin. Et il faut dire que l'enjeu est de taille. En 2017, l'Agence de la transition écologique (Ademe) évaluait le potentiel de chaleur fatale de l'industrie à 109,5 TWh, soit 36% de sa consommation de combustible dont 52,9TWh sont perdus à plus de 100°C.

La société drômoise Hevatech, fondée en 2010, a développé un procédé qui consiste à récupérer la chaleur fatale des industriels, c'est-à-dire, celle générée par un procédé dont l'objectif initial n'est pas la production d'électricité, et à la revaloriser en électricité.

« Nous pouvons revaloriser jusqu'à 70% du gisement de chaleur » en cogénération, confie Frédéric Thevenod, head of business development, c'est-à-dire, en cumulant la création d'électricité et en générant de l'énergie thermique.

Le processus développé par l'entreprise est adapté aux fumées dont la température est comprise entre 200 et 1.000°C. Or « la moitié des rejets industriels français dépassent les 200°C », détaille l'intéressé. Cette question de la température est loin d'être anodine puisqu'elle conditionne le rendement de cette revalorisation. Et donc la rentabilité de l'installation et son retour sur investissement.

Problème : « les clients ne connaissent pas bien leur gisement, c'est-à-dire, la quantité de chaleur perdue, leur échelle de température : basse, moyenne ou haute, ni leur qualité ou leur quantité ». Or si ces fumées contiennent des poussières, elles risquent d'encrasser les surfaces d'échange, ce qui nécessite un traitement avant leur revalorisation.

Cartographier la quantité et la qualité de chaleur perdue

Avant tout démarrage et toute installation, il est donc nécessaire de faire un état des lieux du gisement. C'est là l'objectif de Maeva, le projet lauréat de France 2030 qui vise à développer les outils nécessaires pour cartographier la quantité et la qualité de chaleur fatale récupérable. Ce qui est peut s'avérer complexe.

« Une cheminée à 1.000 degrés est difficilement accessible si elle tourne 24 heures sur 24 et 365 jours par an. Ce qui nous oblige à développer des outils spécifiques et à faire preuve d'ingéniosité dans le choix d'implantation et le refroidissement des capteurs ou en réalisant des mesures déportées. »

Pour se faire, l'entreprise s'appuie sur ces presque 15 ans d'expérience dans le domaine mais également une collaboration avec l'école d'ingénieurs Esisar de Valence. Sans oublier, certains clients.

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« Nous ne partons pas de zéro, rappelle Frédéric Thevenod. Nous nous appuyons également sur des partenaires impliqués dans ce projet comme Saint-Gobain qui possède une grande quantité de chaleur perdue. Nous allons intervenir dans leurs locaux pour tester nos solutions dès cette année. »

Actuellement, Hevatech se base sur des capteurs utilisés dans d'autres domaines en les adaptant à ses besoins et surtout ses complexités : haute température, hauteur des installations, fonctionnement en continue, etc... Frédéric Thevenod évoque également un capteur qui permet de détecter le gisement et ses caractéristiques à travers de la tôle en acier avec de l'isolant.

L'idée du projet Maeva est donc de généraliser des solutions par gamme de température mais également d'accompagner le client, en lui proposant des solutions permettant de maximiser la valorisation de son gisement.

« Certains clients nous annoncent un gisement de 1.000 degrés mais, en réalité, la température est de 500°C à l'endroit où on peut capter les fumées. Cela signifie qu'on perd 50% du potentiel du gisement et de l'énergie valorisable. » Ce qui réduit drastiquement les bénéfices pour l'industriel, alors que le coût de la machine reste quasiment identique. Dans ce cas, l'entreprise peut leur proposer d'isoler une partie de l'installation, afin de conserver le maximum d'énergie.

 Transformer la chaleur fatale en électricité

Le procédé Turbosol développé par Hevatech repose sur deux échangeurs de chaleur. Un fluide caloporteur (qui capte les hautes températures), ici une huile végétale spécialement développée par Hevatech, et un autre thermodynamique (qui valorise les températures intermédiaires), de l'eau, vont être chauffés séparément.

L'eau va se transformer en vapeur sous l'effet de la chaleur et va circuler, avec l'huile, vers une rampe d'injecteurs où la vapeur va être détendue dans un dispositif spécifique, entraînant l'accélération du mélange dysphasique qui va être projeté sur une turbine à action reliée à un générateur. Ce qui va produire de l'électricité. La vitesse de la turbine et donc la quantité d'électricité générée, dépendent ensuite du nombre d'injecteurs.

Le procédé d'Hevatech est intégré et installé dans des containers de 3,5 mètres à 7 mètres de long chez les clients et coûte entre 300.000 euros et 1,5 million d'euros, un montant de base qui varie en fonction de la complexité de l'installation, du nombre de modules mais également de la collecte des fumées.

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Le système fonctionne en circuit fermé, nécessitant peu d'entretien et engendrant peu de pertes. Ce, d'autant que l'huile et la vapeur sont ensuite séparées et récupérées. La vapeur d'eau est condensée pour redevenir liquide et partir dans un nouveau cycle. Au cours de cette transformation, de la chaleur résiduelle atteignant environ 80°C est produite et peut être à nouveau valorisée vers un réseau d'eau chaude sanitaire, du chauffage ou dans un réseau de chaleur urbain.

Un retour sur investissement rapide

Cette double valorisation de la chaleur fatale permet de décupler les économies permises par la revalorisation de la chaleur fatale.

« La plupart des machines concurrentes offre un rendement de 10% de revalorisation de la chaleur fatale, incluant une perte de 90% au cours de la revalorisation. Ce qui donne un retour sur investissement de 10 ans. Alors qu'avec notre procédé, nous abaissons cette durée à 3 ou 4 ans » , soutient Frédéric Thevenod. Qui poursuit : « sur un 1 gisement de 1 MWh, on valorise 100 kWh en électricité et 600 kWh en énergie thermique donc au global, on économise 700 kWh ».

Un chiffre qui se traduit en économie d'énergie et donc en crédit carbone. En moyenne, chaque machine permet d'économiser 1.000 à 1.500 tonnes de CO2 par an. Or, « le prix d'une tonne de CO2 évité est d'environ 100 euros, ce qui permet d'obtenir environ 100.000 euros de crédit carbone par machine et par an ». Auxquels s'ajoutent le dispositif des certificats d'économie d'énergie.

Hevatech propose également de financer le dispositif avec des investisseurs, l'industriel rachetant alors l'électricité produite directement à Hevatech.

2 millions de chiffre d'affaires en 2024

Grâce à l'enveloppe de France 2030, dont le montant n'est pas divulgué, l'entreprise va pouvoir développer sa collaboration avec le monde universitaire mais également recruter et financer du matériel. Grâce à ce dispositif, elle espère pouvoir élargir son panel de clients.

Et le potentiel est là : en 2022, le secteur de l'industrie était responsable d'environ 14% des émissions de CO2 en France, selon l'AIE. D'où le rôle clé que les industriels ont à jouer et leur intérêt de plus en plus marqué pour des solutions, leur permettant de décarboner leur process et faire des économies d'énergie. Ce, d'autant que le coût de l'énergie a connu une hausse au cours des dernières années.

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Hevatech entend bien capitaliser sur cette prise de conscience et les obligations réglementaires pour se développer. A la fois en développant de nouveaux services, mais également en poursuivant sa croissance externe afin d'étendre son spectre d'action à des gammes de température plus basses. En octobre dernier, la société a déjà racheté H2P.

Après s'être concentrée sur la France, l'entreprise entend également partir à la conquête de ses voisins européens : Italie, Espagne, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas et Allemagne. Soit des « pays où on recense beaucoup de chaleur perdue à haute température », précise Frédéric Thevenod avec la présence d'industries dans l'acier, le verre, les métaux spéciaux ou encore les déchets des stations d'épuration ou les boues des déchets industriels.

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« Notre objectif est de passer à l'échelle, confie Frédéric Thévenod. Nous visons un chiffre d'affaires de quelques dizaines de millions d'euros dans les cinq ans et de deux millions d'euros cette année, avec la commande de plusieurs machines. »

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