Politique de la ville : les maires de banlieue appellent au sursaut trois mois après les émeutes

À une semaine du prochain comité interministériel de la ville (CIV), plusieurs fois reporté, les élus locaux avertissent l'Etat sur le difficile dialogue autour de la politique de la ville. L'association Ville & banlieue a profité de son congrès ce 18 octobre pour alerter du risque de « sortie du droit commun » des quartiers prioritaires.
La ministre déléguée aux collectivités territoriales et à la ruralité, Dominique Faure, s'est rendue au congrès des 40 ans de l'association Ville & banlieue à Lyon, le 18 octobre 2023.
La ministre déléguée aux collectivités territoriales et à la ruralité, Dominique Faure, s'est rendue au congrès des 40 ans de l'association Ville & banlieue à Lyon, le 18 octobre 2023. (Crédits : Emma Rodot - La Tribune AURA)

L'appel de Grigny (Essonne), en octobre 2017, « n'a pas pris une ride » table son maire, Philippe Rio (PCF). Ce sommet, alors inédit tant il réunissait presque toutes les tendances du spectre politique autour d'une même feuille de route pour les quartiers populaires, semble toujours d'actualité.

Ses « objectifs » et « solutions », alors portées par Jean-Louis Borloo l'année suivante, n'ont pas changé selon l'élu, les « urgences » qu'il dénonçait non plus. Les 19 propositions du plan ont en effet été selon lui « mises à la poubelle » par Emmanuel Macron en 2018. Malgré tout, avec du recul, Philippe Rio lui trouve plusieurs apports : « il faut le voir comme une séquence politique et une victoire médiatique ».

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Six ans plus tard, à Lyon, l'association Ville & banlieue a profité de son congrès, célébrant ses quarante ans, pour alerter du risque de « sortie du droit commun » des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Un « appel de Lyon », le tout, sous les yeux de Dominique Faure, ministre déléguée aux collectivités territoriales et à la ruralité, à une semaine du prochain Comité interministériel de la ville (CIV), prévu le 27 octobre après plusieurs reports que beaucoup d'élus ont jugé regrettables.

« Pourquoi c'est si grave qu'un CIV soit constamment reporté ? C'est qu'entre-temps, nous ne rédigeons pas le nouveau contrat de ville. Et il est important, parce qu'aujourd'hui nous observons les premières violences sociales sur la transition écologique, qui viennent précisément pénaliser les quartiers populaires là où il faut les embarquer. Nous avons une demande de participation des habitants, au moment même où l'universel perd du terrain partout. Nous avons un besoin et une demande d'égalité. »

Renaud Payre, vice-président de la métropole de Lyon, délégué à l'habitat

Car ces renvois - lui qui était initialement prévu en janvier - ont échauffé certains maires. D'autant que si une réunion a bien eu lieu le 4 juillet, au lendemain des émeutes, seules des « mesurettes » y ont été présentées selon Gilles Leproust, maire PCF d'Allonnes (Sarthe) et président de l'association.

Anne-Claire Boux, adjointe à la maire de Paris (EELV), enchaîne : « Ce gouvernement, sur les quartiers populaires, c'est soit l'indifférence, soit la stigmatisation. Le report du CIV est aussi d'une grande violence symbolique. Depuis un an, nous proposons des solutions sur l'éducation, la transition écologique, l'emploi. Pourtant, la politique de la ville, aujourd'hui, c'est toujours 1 % du budget de l'Etat, pour 8 % des habitants ».

« Ne pas opposer les bourgs et les tours »

Le ton est donné et les attentes aussi. Pourtant, le projet de loi de finances 2024, dont les débats venaient de débuter à l'Assemblée nationale, prévoit l'augmentation de 220 millions d'euros de l'enveloppe budgétaire des dotations globales de fonctionnement dirigées vers les communes et les intercommunalités (30 millions supplémentaires).

Mais le souci concerne son « alignement » selon Philippe Rio : « Nous avons le sentiment que l'Agence nationale de cohésion des territoires a peu à peu glissé vers Action cœur de villes et la ruralité », dépeint le maire de Grigny, qui invite la ministre à « ne pas opposer les bourgs et les tours ».

L'édile pointe ici l'écart de 10 millions d'euros prévu dans le projet de loi entre la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU - 90 millions d'euros), dirigée vers les quartiers populaires, et la dotation de solidarité rurale (DSR - 100 millions d'euros). Lamine Naham, maire divers gauche de Trélazé (Maine-et-Loire) et membre de la commission économique de Ville & banlieue, craint quant à lui une « opposition » budgétaire entre quartiers populaires et campagne :

« Nous demandons juste que les deux dotations évoluent de la même manière. L'année dernière, déjà, la DSR avait beaucoup plus évolué, partant du principe qu'on avait mis trop d'argent dans les quartiers prioritaires et qu'il fallait compenser. Nous n'étions pas d'accord. Cette année rebelote. Le gouvernement essaye d'opposer financièrement les villes rurales des villes urbaines. »

L'élu ajoute à cela l'exonération de taxe foncière du logement social par l'Etat, « anormale en termes d'équité fiscale des villes en fonction de leur taux de logements sociaux ». En conséquence, les élus locaux tentent de faire pression. Damien Allouch, maire PS d'Epinay-sous-Sénart (Essonne), prévient : « Si jamais ce CIV ne correspond pas à nos attentes, la colère exprimée s'entendra, se verra et se sentira. Il faudra s'organiser pour se faire entendre plus fort. C'est l'avertissement de ce qui arrivera ».

Si « tout n'a pas été fait » pour la ministre, « il faut du temps au temps »

À cela, Dominique Faure, confirme la date du prochain comité et affiche une démarche « d'écoute », quand bien même « les réponses que vous attendez ne viendront pas d'un côté ou de l'autre. Il faut donner du temps au temps, sans pour autant l'amnésie de la nation ». Elle cite le dédoublement des classes de CP et CE1, le renforcement des forces de l'ordre, des maisons France services...

Des cités éducatives aussi, au nombre de 208 dans 380 des 1.500 quartiers prioritaires de la ville en France. Cités qui seront « progressivement généralisées à l'ensemble des QPV jusqu'en 2027 », tel qu'inscrit dans le projet de loi de finances pour 2024, avec 28 millions d'euros supplémentaires.

« Le plan de quartiers 2024-2030, c'est une ouverture des collèges de 8 h à 18 h, une scolarisation dès deux ans, le déploiement des forces d'action républicaine, l'investissement dans 5.000 équipements sportifs », énumère Dominique Faure, afin « que les habitants aient envie de rester dans les quartiers, mais aussi d'y partir, et d'avoir envie d'y venir ».

La ministre engage-t-elle même un mea culpa au nom de l'exécutif ? « Je trouve l'Appel de Grigny extrêmement pertinent. Tout n'a pas été fait », assure-t-elle en tout cas devant les maires, à l'aube d'un rendez-vous qui s'avère corsé.

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Commentaire 1
à écrit le 20/10/2023 à 6:59
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Non pas des émeutes des révoltes sociales.

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