Réutilisation des eaux usées : « Il faut s'assurer qu'elles ne manqueront pas au milieu » (Pour Laurent Roy, directeur général de l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse)

ENTRETIEN. Pour atteindre l'objectif de réduction de 10% des prélèvements en eau d'ici à 2030, le ministre de la transition écologique Christophe Béchu a annoncé ce jeudi sur RTL qu'il allait autoriser « avant le 31 août » le décret facilitant les démarches administratives pour la réutilisation des eaux usées dans certains secteurs (usages publics ou agricoles). Dans un entretien à La Tribune, Laurent Roy, directeur général de l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse, qui accompagne les organisations du Sud-Est dans leurs projets de transition, détaille sa vision.
Laurent Roy - Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse
Laurent Roy est le directeur général de l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse depuis 2015. Cette année, 51 % des cours d'eau du secteur Sud-Est sont classés en « bon état écologique ».

LA TRIBUNE- Comment se comporte le bassin du Rhône cet été, après une succession des sécheresses estivales et hivernales ?

LAURENT ROY- Il faut aujourd'hui s'adapter à un contexte qui était déjà tendu auparavant. En 2015, 40 % du bassin avait été identifié comme déficitaire. À cela s'ajoute l'inégalité de la ressource en eau entre les Alpes et le pourtour méditerranéen : le littoral sud est plus sec, tandis qu'à Lyon, il pleut certes, mais plus de la même façon. On assiste aujourd'hui à une concentration des événements pluvieux, intenses, violents, le cas échéant catastrophiques. À l'inverse, les périodes de sécheresse sont plus longues et plus intenses. De la même façon, on assiste à une fonte tendancielle des glaciers alpins. La France a beaucoup vécu sur l'idée que la ressource en eau était abondante. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, il y avait le « château d'eau alpin », avec l'impression que grâce aux infrastructures alpines comme Serre-Ponçon, la Durance, le Verdon, la région resterait alimentée en eau. Mais on observe bien une baisse de la disponibilité de la ressource pour les différents usages, que ce soit l'agriculture, l'industrie, l'énergie, la navigation, mais aussi les milieux naturels eux-mêmes.

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Le Rhône est à ce titre investi par de très nombreux usages : agriculture, alimentation en eau potable, industrie, centrales nucléaires. Comment les concilier ?

Les débits estivaux du Rhône ont tendance à baisser : ils ont déjà perdu une quinzaine de pourcents par rapport à la période précédant le changement climatique. On peut s'attendre à ce qu'ils perdent 20% supplémentaires d'ici à 2050, ce qui représenterait un gros tiers de perte.

Depuis 2015, on utilise un outil  : le Projet de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), pour établir des diagnostics partagés entre les acteurs (pêcheurs, collectivités, industriels). Il en existe 65 dans notre secteur. On se pose les questions suivantes : qu'est-ce que la ressource en eau peut donner ? Quels sont les besoins des différents usages ? C'est sur cette base que sont menés des plans d'action avec, pour commencer, des économies d'eau tous azimuts : fuites, comportements individuels, modèles d'irrigation plus économes.

Le gouvernement annonce la publication, avant le 31 août 2023, d'un nouveau décret visant à simplifier les démarches administratives pour la réutilisation des eaux usées traitées (il faut actuellement passer par les préfectures et les Agences régionales de santé). Seul 0,3 % d'entre elles sont aujourd'hui réutilisées à d'autres fins en France (arrosage des espaces verts, nettoyages urbains, irrigation), selon Julie Mendret, maîtresse de conférences en génie des procédés de l'environnement à l'université de Montpellier. Pourquoi ces disposions sont encore très peu appliquées ?

C'est en effet une pratique encore minoritaire en France, alors qu'elle dépasse les 10 %, voire les 20 % dans des pays méditerranéens riverains comme l'Espagne ou l'Italie, voire même les 50 à 70 % à Malte ou en Israël. Il faut d'abord regarder le volet réglementaire, où il s'agit de concilier la bonne gestion de la ressource en eau avec la protection sanitaire des populations. Actuellement, certains usages agricoles restent compliqués, alors qu'on consomme très bien des produits importés qui ont été traités avec des eaux usées, venant d'Afrique du Nord par exemple. Si on peut consommer ces produits importés, pourquoi ne pas alléger la réglementation en France ? Sans rien renoncer à la protection sanitaire, il faut trouver le bon équilibre.

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Un autre aspect concerne le sens de ces projets dans les territoires, du point de vue géographique, écologique et économique. Quels sont leur potentiel dans le Sud-Est, le long du bassin du Rhône ?

Il faut déjà s'assurer que l'eau réutilisée ne manquera pas au milieu. Si le rejet de la station d'épuration se fait dans un petit cours d'eau, dont il constitue en été une part essentielle, alors l'enlever serait problématique, avec un risque que la rivière se retrouve à sec. D'où la nécessité des bilans hydrologiques : qu'est-ce qu'on décide de ne pas utiliser ? Et qu'est-ce qu'on va rejeter en moins ? Evidemment, en zone littorale, c'est l'idéal, puisque les eaux usées, si elles étaient rejetées, seraient immédiatement diluées dans l'eau de mer. Autant les réutiliser. Je prends l'exemple de l'arrosage du golfe d'Agde (Hérault), dont la population est multipliée par dix en été : on utilise désormais les eaux usées traitées pour l'arroser, alors qu'elles étaient avant pompées dans la nappe, qui par ailleurs est très sollicitée pour l'eau potable.

Prenons l'exemple de Lyon : ce genre de structure est-elle déployable à l'échelle métropolitaine ?

Le Rhône n'a pas besoin du rejet des stations d'épuration pour assurer son débit. Alors, pourquoi pas prélever une part de ces rejets, surtout s'ils se substituent aux prélèvements dans une nappe souterraine sensible, stratégique et prioritaire, comme celle de l'est lyonnais. Cela peut faire sens. Mais c'est un choix à faire au cas par cas, en comparant les points de prélèvements et de rejets pour évaluer le gain global, tout en regardant l'équilibre économique.

Le projet Jourdain, aux Sables d'Olonne (Vendée), permet de rendre à nouveau potables les eaux grises de la ville. Si le nouveau décret n'engage pas encore un déploiement de ces nouvelles voies de réutilisation, le projet a été soutenu par l'Etat. Celui-ci aurait-t-il également un sens dans d'autres territoires, en termes de viabilité technologique et économique ? Et à quelle échelle ?

Je vais prendre l'exemple des Pyrénées-Orientales, qui ont beaucoup souffert d'une sécheresse l'année dernière et cet hiver, avec des tensions à la fois sur l'eau potable, l'irrigation des vergers et les débits d'étiage. Dans ce cadre là, il est logique d'aller regarder comment développer des projets du même type que Jourdain. Le département se mobilise d'ailleurs actuellement pour favoriser l'émergence de plusieurs projets pilotes sur la question.

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D'autres formes de valorisation des eaux usées existent également, qu'elles soient énergétiques ou chimiques. Des projets émergent-ils dans le grand Sud-Est ?

On accompagne toutes les actions qui vont dans le sens de ce qu'on appelait la « station d'épuration du futur ». Aujourd'hui, elle sont bien concrètes, avec trois grandes dimensions : les eaux, comme on l'a vu, mais aussi la récupération de chaleur avec la méthanisation. Ici, on fait le choix d'aider uniquement sous la forme d'avance remboursable, et non de subvention, car le retour sur investissement est assez rapide. On accompagne tous les systèmes d'épuration autonomes, dont certains visent la zéro consommation nette, ou l'énergie positive.

Enfin, une partie concerne l'épandage des boues d'épuration. Vu de loin, ce système va dépenser par mal d'énergie et d'argent pour prélever des fertilisants qu'on va déjà chercher ailleurs. Mais à quel prix ? Je pense au cycle du phosphore : on va extraire les phosphates en Mauritanie, les mettre dans les plantes, qui nourrissent les animaux... Et on l'élimine. Si on peut le réutiliser, je trouve cela plutôt raisonnable. Mais ce n'est qu'une partie de la réflexion. Des collectivités travaillent par exemple à la récupération de l'urine pour ses propriétés fertilisantes. On entame d'ailleurs un programme sur ce sujet, plutôt avec des petites collectivités. La métropole de Lyon était également intéressée, mais nos modalités d'intervention ne permettaient pas de l'accompagner pour le moment. Ceci-dit, nous allons les retravailler pour l'horizon 2025. La récupération des urines fera aussi partie des questions qu'on devra se poser.

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Commentaire 1
à écrit le 26/08/2023 à 16:30
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" La France a beaucoup vécu sur l'idée que la ressource en eau était abondante." La classe dirigeante française et seulement elle.

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