« Je suis un fervent défenseur de la territorialisation » (Jean-Luc Raunicher, président du Medef AURA)

ENTRETIEN. Présent à la Rencontre des entrepreneurs de France (REF), grand rendez-vous de rentrée du Medef à Paris, les 28 et 29 août 2023, Jean-Luc Raunicher, président de l'organisation patronale en Auvergne-Rhône-Alpes, fait le point sur les préoccupations des chefs d'entreprise de la première région industrielle de France (22 000 établissements). Le représentant s'inscrit dans la ligne de conduite historique du syndicat, tournée vers la compétitivité et la croissance économique face aux défis de la décennie, parmi lesquels les transitions écologique, énergétique, numérique et la réindustrialisation.
Jean-Luc Raunicher a succédé à Patrick Martin à la présidence du Medef Auvergne-Rhône-Alpes en 2023.
Jean-Luc Raunicher a succédé à Patrick Martin à la présidence du Medef Auvergne-Rhône-Alpes en 2023. (Crédits : DR)

Le gouvernement prépare son projet de loi de finances 2024 et cherche à faire 15 milliards d'euros d'économies sans augmenter les impôts. Pour les entreprises, la suppression de la contribution sur la valeur ajoutée (CVAE), prévue initialement l'an prochain, sera étalée d'ici à 2027. Pour autant, Elisabeth Borne a  réaffirmé un « cap pro business » et Emmanuel Macron a dit avoir besoin des chefs d'entreprise « pour gagner la bataille du chômage, pour continuer la transformation du pays ». Comment interprétez-vous la position du gouvernement ?

Depuis 2017, le gouvernement a plutôt mené une politique de l'offre. Le Président de la République, qu'on a entendu lundi, confirme, selon ses termes, la poursuite de cette politique, avec la volonté de n'augmenter aucun impôt, que ce soit pour les ménages ou pour les entreprises, en rappelant notamment la baisse d'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 %. Il s'agit aussi de poursuivre la baisse des charges sur les entreprises. On rappelle à ce stade, comme toujours, que les prélèvements obligatoires en France restent les plus lourds de tous les pays de l'OCDE. Nous sommes dans un marché international, hyperconcurrentiel, et les entreprises françaises portent toujours un fardeau plus lourd que les autres. Alors oui, il y a eu ces baisses de 10 milliards lors du premier quinquennat, auxquelles on peut ajouter 4 milliards supplémentaires en 2023. On attendait encore 4 milliards en 2024, pour la suppression de la CVAE, comme s'y était engagé le Président de la République et le gouvernement. Finalement, on nous a annoncé qu'elle serait soldée, au plus tard, en 2027. On continue d'insister et d'alerter, depuis des décennies, sur la charge de la dette. Je me suis entretenu la semaine dernière avec le ministre de l'Economie Bruno Le Maire à ce propos, lors de sa visite de l'entreprise Fournier (cuisiniste Mobalpa, SoCoo'c) en Haute-Savoie. J'ai redit notre souci de la compétitivité et l'impératif de désendettement de la France.

Lire aussiFiscalité : l'exécutif peine à rassurer les patrons

Sur la compétitivité justement, et l'enjeu de souveraineté face aux crises (climatique, géopolitique, sanitaire), quelle est la situation régionale ? Pouvez-vous nous dresser un panorama ?

La part de la région Auvergne-Rhône-Alpes (Aura) dans le PIB national est toujours comprise entre 13 et 15 %. Cette année, le taux de chômage y est environ de 6 %, contre 7 % dans l'Hexagone. On est dans une dynamique d'emploi plutôt forte. Même si globalement toutes les entreprises recrutent encore. Dans l'industrie, la politique régionale menée par Laurent Wauquiez est également extrêmement active et volontariste, d'abord pour réindustrialiser, mais aussi relocaliser des unités de production, ce qui n'est pas toujours simple. Si vous voulez implanter une entreprise, il faut du foncier, des infrastructures routières, de l'énergie, de l'eau, et des compétences. Ce n'est pas sans difficulté de faire venir de la main-d'œuvre et de créer un écosystème autour d'elle. Depuis 2021 et le lancement du projet régional, près de 200 relocalisations sont intervenues, au bénéfice de la création de 5.000 emplois.

Lire ici notre dossier Réindustrialisation  : un défi pour la France

La hausse des prix, notamment des matières premières et de l'énergie, est-elle un frein au développement régional ?

L'inflation est intervenue et contrarie toute cette dynamique. Elle a commencé avant la guerre en Ukraine, et même un peu avant le Covid. Il y a eu ensuite un phénomène de rattrapage, de surchauffe, notamment sur les matières premières. Aujourd'hui, la problématique se poursuit avec le nouveau contexte géopolitique, en particulier sur l'énergie. A la différence de la crise pétrolière de 1973, qui avait alors touché le monde entier, cette crise est aujourd'hui européenne et singulièrement française. Elle contrarie le projet de réindustrialisation de notre territoire, mais aussi la compétitivité de nos entreprises. D'où l'intérêt de supprimer la CVAE. J'y reviens en donnant l'exemple de l'industrie chimique, grande consommatrice d'énergie : l'activité a baissé cette année de 15 % sur la plaque européenne, pour augmenter ailleurs, aux Etats-Unis ou en Asie.

Sur quels axes construire une stratégie de développement aujourd'hui ?

Il y a bien eu une prise de conscience. Au niveau régional, je dirais qu'il y a « l'esprit » de Laurent Wauquiez, qui est de « chasser en meute », avec tous les partenaires économiques. Je peux donner l'exemple du lancement du « G6 de la relocalisation » en Auvergne-Rhône-Alpes qui réunit l'ensemble des acteurs, dont le Medef, l'agence économique Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises, la Chambre de commerce et d'industrie, la CPME et la Banque publique d'investissement. Il s'agit là de coordonner nos actions, que tout le monde ait les mêmes objectifs, et cela fonctionne.

Sur les transports, la Métropole de Lyon a légèrement revu à la baisse les modalités des Zones à faibles émissions (ZFE) en juin dernier, en décalant son calendrier d'application. Quels sont les effets sur les entreprises ?

Ces mesures m'inspirent une chose, comme le Zéro artificialisation nette (ZAN) d'ailleurs : bien sûr, il faut des actions concrètes pour lutter contre le réchauffement climatique et faire évoluer nos modèles de production et de vie. En revanche, il ne faut pas qu'elles partent d'une décision centrale, nationale, pour se décliner uniformément partout. On pense, au Medef, qu'il faut une individualisation des actions. Je suis un fervent défenseur de la territorialisation. Donc du pragmatisme et de la territorialisation dans les décisions, ce qui n'enlève rien au cap de la décarbonation, qu'il faut absolument atteindre. Vous connaissez notre slogan : « agir ensemble pour une croissance responsable ». Nous sommes absolument convaincus qu'une partie des solutions contre le réchauffement climatique viendront des entreprises. C'est une intime conviction. Et tout ça, avec de la croissance. Car la petite musique autour de la décroissance signifie aussi, derrière, un modèle social qui périclite.

La question portait davantage sur la sobriété. Les associez-vous ?

Non, la sobriété, c'est l'idée selon laquelle on peut réfléchir différemment, en étant plus sobre dans nos consommations, comme le chauffage ou le refroidissement. Elle passera, en revanche, par une croissance responsable, avec de la recherche et des innovations dont les entreprises sont la source.

La réforme des retraites a aussi soulevé la question du travail, tant dans son rythme (exemples du télétravail, de la semaine de quatre jours) que dans sa reconnaissance. Sont-ce des transformations structurelles à amorcer aujourd'hui ?

D'abord, je m'inscris en faux sur l'idée que seules les nouvelles générations donnent du sens au travail. Simplement, je pense que ce sens est aujourd'hui différent avec, dans les questions qu'on voit apparaître, la raison d'être de l'entreprise, ce qu'elle fait pour l'environnement et en matière de RSE. Il y a aussi des questions sur les conditions de travail, avec le télétravail et la semaine de quatre jours notamment, qui s'imposent aujourd'hui dans les entreprises. C'est un marqueur fort, mais les cartes sont encore en l'air, je pense qu'il ne faut pas se précipiter. Par exemple, on commence à voir certains retours en arrière sur le sujet, parce qu'on a besoin, dans une entreprise, de faire corps, de faire équipe.

Comment appréciez-vous le début de mandature de Patrick Martin, ancien président du Medef Aura ?

Le choix de Patrick Martin était pour moi un choix de cœur et de raison. C'est un ami et il a été président du Medef Auvergne-Rhône-Alpes, dont il est originaire avec son entreprise Martin Belaysoud Expansion, dans l'Ain. Il a surtout été un excellent candidat et sera un excellent président. Il a des convictions fortes chevillées au corps, tout en ayant des visions d'actions très précises parce que c'est un homme de terrain. Il aime le contact et possède un très bon sens économique en tant qu'industriel.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.