Polluants éternels (PFAS) : dans le Rhône, ces deux affaires qui pourraient faire avancer la jurisprudence environnementale

Le tribunal judiciaire de Lyon devrait rendre à partir d'aujourd'hui sa décision concernant la demande d'expertise indépendante de la Métropole de Lyon au sujet des pollutions aux substances perfluorés, au sud du Rhône. Une affaire qui complète d'autres actions en justice : parmi elles, il y a quelques semaines, le tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté préfectoral délivré en février au sujet de l'extension du site de Daikin, dans la Vallée de la chimie. Décision à laquelle s'oppose le ministère de la Transition écologique, qui se pourvoit devant le Conseil d'Etat. Point sur les affaires en cours.
Le 20 juin dernier, le tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté délivré par la préfecture du Rhône le 1er février 2024 à l'industriel Daikin pour la création il y a trois ans d'une nouvelle unité industrielle dite « pré-compound ».
Le 20 juin dernier, le tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté délivré par la préfecture du Rhône le 1er février 2024 à l'industriel Daikin pour la création il y a trois ans d'une nouvelle unité industrielle dite « pré-compound ». (Crédits : © Métropole de Lyon - Julien RAMBAUD - Alpaca Productions)

La décision du tribunal judiciaire de Lyon devrait tomber à partir de ce mardi 30 juillet : les magistrats vont s'exprimer sur la demande d'expertise indépendante, sollicitée en référé par la Métropole de Lyon, la régie publique Eau du Grand Lyon et le Syndicat mixte Rhône-Sud, au sujet de la pollution aux substances chimiques perfluorées (dits « PFAS ») au niveau du point de captage de Ternay (Rhône), alimentant en eau potable 163.000 personnes au sud de la Métropole.

Une assignation en référé, déposée en mars dernier contre les chimistes Arkema et Daikin, qui produisent tous deux des PFAS dans la Vallée de la chimie, au sud de Lyon. Et qui pourrait constituer une première brique vers l'application du principe de « pollueur-payeur », si des responsabilités étaient établies à l'issue d'une expertise indépendante d'environ un an, qui pourrait être diligentée par les magistrats dans les jours ou semaines à venir.

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La note de la dépollution des PFAS est en effet salée pour le Grand Lyon, car estimée à 6 millions d'euros d'investissements afin d'installer des filtres au charbon actif sur cette station de pompage de l'eau, mais aussi de raccorder des canalisations pour « diluer » l'eau polluée. Des coûts auxquels s'ajoutent également 500.000 euros de frais de fonctionnement annuels.

Lors de l'audience, qui s'est déroulée le 28 mai dernier au tribunal judiciaire de Lyon devant une dizaine de journalistes, les avocats de la partie civile ont notamment rappelé le contexte de ces pollutions, dans une région aujourd'hui considérée comme l'un des « hot spot » de la pollution aux PFAS en France : « La valeur de 0,1 mgL pour la somme de la somme de 20 PFAS a été imposée, à compter du 1er janvier 2023, dans tous les cas où la présence a été détectée (...) », a d'abord exposé Me Quentin Untermaier.

« Cette somme est à garder à l'esprit, notamment lorsque l'on se fonde aux dizaines de tonnes de PFAS qui ont été rejetés par la plateforme au cours des dernières décennies dans le Rhône et dans la nappe alluviale », a ajouté l'avocat.

La défense s'appuie sur la multiplicité des sources

Du côté des industriels, la défense s'appuyait sur les incertitudes portant sur le lien de causalité entre les usines d'Arkema et de Daikin et la pollution. Cela, en pointant « une combinaison complexe et multifactorielle » entre « les pollutions historiques, et pas uniquement », indiquait Me Elodie Simon, avocate d'Arkema, relevant « 30 sites potentiellement utilisateurs de PFAS autour de Pierre-Bénite », mais aussi « un sujet extrêmement global, qui ne se limite pas à Pierre-Bénite ».

Après avoir rejeté pendant des dizaines d'années plusieurs PFAS en grande quantité dans le Rhône, l'usine d'Arkema émet aujourd'hui seulement le 6:2 FTS dans le fleuve. Un rejet qui sera d'ailleurs prohibé à partir du 31 décembre prochain.

De son côté, la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) documente également la présence de ces substances chimiques dans l'eau autour des installations classées pour l'environnement (ICPE). Au printemps, elle révélait que 40 % des 135 premiers sites inspectés rejetaient des PFAS dans l'eau. Le site Arkema du Rhône détenait de loin la plus forte concentration de PFAS à la sortie de son système d'épuration, dans sa fosse de relevage, selon la DREAL.

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De même, la défense a pointé la différence de réglementation sur les PFAS entre la loi sur l'eau de consommation (et l'objectif de 0,1 microgramme par litre appliqué en France en 2026), et celle sur les eaux brutes (qu'il est possible de potabiliser, et pour lesquelles la limite pour les pesticides est fixée à 2 microgramme par litre pour chaque substance).

Pour Julia Gudefin, docteure en droit, chercheuse associée à l'institut de droit de l'environnement de l'université de Lyon 3, « la défense joue sur le lien de causalité et leurs incertitudes, mais aussi sur les mécanismes juridiques et la notion de responsabilité civile ».

« Le droit de l'eau est complexe : il dépend de la nomenclature et du type de régime. C'est comme naviguer dans des eaux très complexes. Les industriels peuvent s'appuyer sur cette complexité pour prêter à confusion ».

Cette affaire au civil vient s'ajouter à un ensemble d'actions en ce moment à l'œuvre sur le plan judiciaire. Notamment devant le tribunal administratif.

Un arrêté concernant Daikin annulé par le tribunal administratif

Le 20 juin dernier, le tribunal administratif de Lyon a en effet annulé l'arrêté délivré par la préfecture du Rhône le 1er février 2024 à l'industriel Daikin pour la création il y a trois ans d'une nouvelle unité industrielle dite « pré-compound ». Cela, en s'appuyant sur un référé déposé par les associations Bien vivre à Pierre-Bénite et Notre Affaire à Tous, soutenues par la commune d'Oullins-Pierre-Bénite.

Dans cet arrêté, la préfecture avait en effet modifié les prescriptions applicables au site et fixé des dispositions particulières à la nouvelle unité. Cela, sans estimer que ce projet nécessitait une nouvelle autorisation d'exploiter, ce qui aurait alors enclenché la tenue de nouvelles études environnementales.

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Dans son ordonnance, le juge administratif relève notamment que si les valeurs d'émission déclarées par l'exploitant à l'administration ne dépasseraient pas les valeurs de référence, « il y a lieu toutefois de tenir compte du fait que le site est implanté dans une zone densément peuplée dans le sud de l'agglomération lyonnaise, où sont installées des usines à l'origine, depuis des décennies, de très importantes émissions dans l'eau et dans l'air de PFAS ».

De même, le juge estime que les changements successifs apportés à l'ICPE ces dernières années ont conduit à l'augmentation des émissions de plusieurs produits toxiques. Produits « dont les effets sur la santé humaine, sans être certains, au regard des quantités émises, apparaissent néanmoins susceptibles d'avoir des effets négatifs notables, notamment par cumul avec les pollutions constatées dans le secteur et dont les effets sont durables ».

« Une décision assez emblématique »

Ces éléments seraient « novateurs », remarque Julia Gudefin, docteure en droit de l'environnement : « c'est une décision assez emblématique, car d'habitude, on se concentre plutôt sur les rejets de l'installation en elle-même, quantitativement et en tant que telle ».

« Ici, le juge a pris en compte l'ensemble des autres industries et le contexte local : nous sommes au sud de Lyon, dans la vallée de la Chimie, où l'on parle aujourd'hui d'un effet cocktail, jusqu'à l'embouchure du Rhône. Pierre-Bénite est la commune la plus polluée de France. Le juge administratif a pris en considération ces éléments pour juger utile et nécessaire de réaliser une étude environnementale ».

Au point que cette décision constitue une première pierre ? « La jurisprudence avance en matière environnementale, mais tout se joue au niveau politique, à travers des projets ou des propositions de lois », complète Julia Gudefin. « Nous sommes dans cette bataille-là. Car pour qu'il y ait des avancées législatives, il faut des avancées politiques. La jurisprudence, quant à elle, montre le chemin ».

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La société Daikin a, pour sa part, décidé de faire appel de cette décision. Tandis que le ministère de la Transition écologique a annoncé se pourvoir en cassation devant le Conseil d'Etat, ce qui n'est, sur la forme, pas exceptionnel lorsqu'une décision préfectorale est annulée.

Me Sébastien Bécue, avocat de l'association Bien Vivre à Pierre-Bénite, joint par France 3 en juillet, pointe pour sa part « une forme de connivence difficilement compréhensible de la part de L'Etat ».

« Le ministère redoute peut-être les conséquences administratives de la décision de justice. C'est la boîte de pandore : le risque de voir les études d'impact se multiplier pour toute modification d'une usine », dénonce l'avocat dans les colonnes de nos confrères.

 Julia Gudefin ajoute, enfin, qu'« en France, la charte de l'environnement a une valeur constitutionnelle (...) Les principes existent, mais là où tout se joue, c'est sur la mise en œuvre : on voit que certaines actions sont retardées. C'est là où la jurisprudence peut montrer la voie et produire des avancées ».

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Commentaires 3
à écrit le 31/07/2024 à 7:50
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A la vitesse d'un ongle qui pousse...

à écrit le 30/07/2024 à 15:06
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Je pense que la société Arkema qui exploite l'usine de Pierre Benite va finir par fermer cette usine, d'autant qu'elle a des usines aux USA et en Asie qui fabriquent les mêmes produits. Socialement compte tenu de l'effectif peu important de cett...

le 01/08/2024 à 10:40
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Les cancers de @ jeunes » et les maladies auto- immunes explosent depuis 20 ans, on applique des réglementations pour les particuliers alors que les industriels y échappent… de qui se moque t on ? Lemaire et les autres ministres du passé expliquez no...

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