Jean-Philippe Lefrançois (Alpina Savoie)   : "Valoriser la qualité, du champ de blé à la cuisine de nos clients"

Dix ans après avoir été placée en sauvegarde puis reprise par le groupe Galapagos, l’entreprise chambérienne Alpina Savoie est à nouveau sur de bons rails. La firme créée en 1844 s’est détournée résolument des volumes pour se consacrer à des niches de marché, plus en rapport avec ses savoir-faire.
(Crédits : DR)

Qu'est-ce qui a changé quand le groupe Galapagos a repris Alpina Savoie ?

Jean-Philippe Lefrançois : L'objectif premier était de remettre Alpina Savoie dans un état de fonctionnement plus stabilisé. Au début des années 2000, l'entreprise avait tenté de se positionner sur des marchés de volumes. Mais le repreneur, Christian Tacquard, a voulu concentrer l'entreprise sur ses savoir-faire et sur ses réseaux de distribution. Cette stratégie a conduit à des changements dans l'organisation, dans les façons de fonctionner, dans la politique commerciale...

C'est l'esprit de Galapagos que de faire s'exprimer les savoir-faire locaux tout en modernisant l'outil de production.

Quels ont été les résultats de ce virage ?

En dix ans, nous sommes passés d'un volume annuel de 52 000 tonnes à 33 000 tonnes, en raison du recentrage sur des activités de niches avec une plus forte valeur ajoutée.

En abandonnant des niveaux de rentabilité faibles, voire négatifs, nous avons pu progressivement réinvestir des bouts de lignes de production.

Au final, notre chiffre d'affaires est passé de 50 à 45 millions d'euros au cours de la dernière décennie.

Concrètement, comment s'est traduite cette réorientation ?

Nous avons commencé par redonner du sens, en travaillant ensemble sur le projet de l'entreprise. Nous devions corriger nos points faibles, ce qui s'est traduit par une réorganisation industrielle en unités autonomes de production.

Nous avons mis en avant un management stimulant : il s'agissait d'impliquer les salariés et de leur donner un fort niveau d'autonomie.

Concrètement, les 140 salariés sont passés de cinq niveaux hiérarchiques à trois échelons. Cette évolution s'est accompagnée d'évolutions professionnelles : les opérateurs sont devenus conducteurs de machines sur des lignes très automatisées. Parallèlement, nous avons renforcé notre engagement historique avec nos fournisseurs.

Que rapporte cet engagement à vos fournisseurs ?

Nous passons un contrat gagnant-gagnant avec les agriculteurs. Il faut savoir que nous sommes l'un des cinq moulins de blé dur en France.

Depuis 1844 et sa création par Antoine Chiron, quand la Savoie n'était pas encore en France, l'entreprise est liée au monde agricole.

Ce lien fait partie de notre stratégie actuelle, qui réaffirme notre engagement dans l'amélioration des filières de blé dur, notamment biologique.

Nous imposons des contraintes aux agriculteurs quant à l'emplacement des champs, la proximité de centres industriels, l'interdiction de l'épandage et l'absence de métaux lourds. La méthode de récolte doit préserver la faune. Nous veillons à ce que le blé soit à l'abri des résidus de pesticides.

En contrepartie, nous rémunérons les agriculteurs en nous engageant sur trois ans. Cela permet de se déconnecter du prix du marché. Cette rémunération, supérieure de 50% au cours mondial du blé, permet de garantir le niveau d'approvisionnement avec la qualité exigée. Pour les 60 agriculteurs avec lesquels nous entretenons un partenariat, c'est la garantie de ne pas subir les affres du cours mondial du blé.

Parvenez-vous à assurer un approvisionnement local pour tous vos intrants ?

Nous travaillons en local, sauf pour le bio parce que l'offre de blé biologique est insuffisante en France. Sinon, tous nos intrants viennent de France, dont une grande partie de la région qui nous entoure.

Après, le défi est de valoriser ces produits de qualité sur nos marchés. Nous nous appuyons sur le processus traditionnel de transformation : nous avons su conserver les compétences internes liées à ce savoir-faire.

Comment mettez-vous en avant cet engagement auprès de vos clients ?

Nous promouvons notre savoir-faire, y compris en facilitant la vie de nos clients.

Par exemple, nous avons développé la gamme les Astucieuses, auprès des restaurateurs. Ces pâtes sont réhydratables à froid, ce qui évite de travailler en double cuisson. Le cuisinier doit juste mettre les pâtes à l'eau la veille, et le lendemain ils peuvent réchauffer sans avoir à cuire puis refroidir. Sans parler du lavage de vaisselle dont on peut alors se dispenser.

Ce type de gamme est développé en partenariat avec des restaurateurs locaux. Ils nous font des retours sur des concepts que nous leur faisons tester. Ils nous accompagnent sur des salons.

Comment ont évolué vos différents marchés ?

Les marques de distributeur sont passées de plus de 50% de notre chiffre d'affaires à 8%. Et nous ne travaillons plus qu'avec des marques de distributeur valorisées, du type Nos régions ont du talent, ou C'est qui le patron. Nous avons rejoint cette marque récemment pour lancer une gamme de pâtes.

La grande distribution, sous notre marque, représente 30% de notre activité, tout comme la fourniture de couscous pour Martinot et Fleury-Michon. Nous ne sommes pas dans le couscous premier prix.

Nous répondons quand il y a une exigence de bonne tenue des ingrédients dans les salades et dans les mélanges.

L'export et la restauration hors domicile représentent chacun 12% de notre chiffre d'affaires.

Alpina Savoie vient d'obtenir le label E+E. Qu'est-ce que cela signifie pour votre entreprise ?

Le label E+E correspond à ce que l'on est, à notre volonté de conserver les emplois tout en nous développant avec nos partenaires locaux.

Les oeufs de nos pâtes viennent d'élevages en plein air, tous situés en région Auvergne-Rhône-Alpes. La farine vient de Savoie. Les cartons nous arrivent de la cartonnerie de La Rochette, également en Savoie. Les encres végétales des emballages viennent de Saint-Étienne. Les épices, du sud de la France...

Ce label nous permet d'intégrer une communauté d'entreprises qui vivent comme nous.

Cela permet de se challenger, mais aussi de communiquer sur des engagements essentiels... sur lesquels nous avions peu l'habitude de communiquer. Or, les consommateurs et les médias sont aujourd'hui plus sensibles aux valeurs que nous portons.

Quelle est la prochaine étape de votre engagement ?

Nous voulons aller plus loin dans la valorisation de la filière locale et bio, tout en répondant aux attentes des clients, qui sont en constante évolution. Nous ne ferons pas de révolution.

Mais la tendance des consommateurs à consommer durable et équitable peut nous ouvrir de nouveaux horizons. On voit ces demandes changer, notamment dans l'approvisionnement des cantines scolaires.

Afin de répondre à ces tendances, nous améliorons de manière continue notre impact environnemental : les prochaines récoltes seront de niveau supérieur.

Quels seront vos objectifs commerciaux dans les prochaines années ?

L'avenir sera à la valorisation de nos produits en facilitant la vie de l'utilisateur. Comment concilier la qualité du produit avec la facilité d'utilisation ? Notre service de recherche-développement - passé de deux à quatre employés au cours des cinq dernières années - sera amené à travailler de plus en plus avec nos partenaires locaux pour répondre à cette question.

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