En Auvergne-Rhône-Alpes, la réutilisation des eaux usées à l'épreuve du « cas par cas »

En région Auvergne-Rhône-Alpes, le village de Saint-Marcel-d'Ardèche, célèbre pour son parc régional et sa grotte, a relevé le défi de réutiliser les eaux usées pour lutter contre les incendies, malgré la faible utilisation de cette pratique en France (moins de 1 %). Cette approche, soutenue par l'État dans son « plan eau », vise à réduire les prélèvements d'eau tout en considérant la viabilité locale. Cependant, la réutilisation des eaux usées suscite des débats au sein des collectivités, car elle peut entraîner des coûts environnementaux et énergétiques supplémentaires, et doit être envisagée au cas par cas en fonction des besoins locaux. Explications.
A Saint-Marcel-d'Ardèche, les eaux usées de l'activité touristiques sont filtrées et assainies dans cette nouvelle station, en vue d'être stockées en prévision de la lutte contre les incendies.
A Saint-Marcel-d'Ardèche, les eaux usées de l'activité touristiques sont filtrées et assainies dans cette nouvelle station, en vue d'être stockées en prévision de la lutte contre les incendies. (Crédits : Commune de Saint-Marcel-d'Ardèche)

Le gouvernement a présenté, à la fin du mois d'août 2023, les grandes lignes de son « plan eau », qui vise à réaliser 10 % d'économies d'ici à 2030. La réutilisation des eaux usées traitées, jusqu'ici rejetées en bout de course, fait partie des points majeurs de la feuille de route, via la simplification des démarches administratives pour l'arrosage des espaces verts, ou encore le nettoyage des tuyauteries. En France, à peine 1 % d'entre elles sont aujourd'hui réutilisées.

« A l'intérieur des terres, la réutilisation des eaux usées est à considérer selon le projet du territoire »

En région Auvergne-Rhône-Alpes, la mesure n'est que très peu appliquée. Et pour cause : la situation hydrique des territoires est le premier critère d'application. Car pour que le modèle soit viable, les eaux usées, normalement attribuées aux milieux naturels (nappes phréatiques et rivières), ne doivent pas manquer en aval des collectivités. Elles sont en effet souvent nécessaires au maintien des débits d'étiage, comme l'expliquait à La Tribune Laurent Roy, directeur général de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse : « Si le rejet de la station d'épuration se fait dans un petit cours d'eau, dont il constitue en été une part essentielle, alors l'enlever serait problématique, avec un risque que la rivière se retrouve à sec ».

Pour Julie Mendret, docteure en génie des procédés de l'environnement à l'université de Montpellier (Hérault) : « Les technologies sont mûres et disponibles. Mais elles vont dépendre des usagesPlus on va aller vers de la consommation humaine, plus le procédé sera intensif ». D'où la nécessité d'une vision au « cas par cas », relève la chercheuse : « A l'intérieur des terres, c'est à considérer selon le projet du territoire, à l'échelle de la gestion intégrée de la ressource en eau. Pour chaque station, il faut une configuration idoine, avec une proximité des zones à alimenter ou à irriguer. Le transport est vraiment à prendre en compte ».

En Ardèche, elles participent à la lutte contre les incendies

Le village de Saint-Marcel-d'Ardèche (2.379 habitants) avec son parc régional et sa grotte, fait figure d'exception dans la région. Site classé au patrimoine naturel national, visité par près de 80.000 estivants chaque année, la commune voit circuler une activité touristique conséquente, au risque d'être parfois un peu débordée. Car jusqu'en 2022, chaque jour en forte saison, les aménagements hydrauliques, sous-dimensionnés, devaient engloutir l'assainissement de quantités d'eaux usées supplémentaires. « Cela participait à la pollution des milieux », retrace aujourd'hui le maire, Jérôme Laurent (SE). Certes, l'idée censée de réutiliser les eaux usées a vite émergé dans les esprits. Reste que son application n'a pas été aussi évidente qu'escomptée, dans cette petite commune des Baronnies provençales, entourée par les pinèdes.

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A Saint-Marcel-d'Ardèche, la priorité est donnée à la lutte contre les incendies, mais pas uniquement. Pour l'édile, il s'agissait de « réinventer nos modes de fonctionnement par rapport à une activité touristique ». La nouvelle station d'assainissement, terminée au printemps dernier, utilise des sables filtrants et ne consomme que peu d'énergie. Les eaux, une fois traitées, sont ensuite stockées dans une réserve incendie de 120 m3, et peuvent aussi être rétribuées au milieu naturel en hiver, en période de moindre risque. La balance des coûts économiques et environnementaux est favorable à l'ouvrage, estime l'élu, dont la commune a investi 300.000 euros pour ce nouvel équipement, soutenu pour un tiers par l'Agence de l'eau. Et si le projet a trouvé un sens, c'est par la situation hydrique « équilibrée » de la commune selon le maire, malgré les sécheresses. Les débits des eaux usées ne manquent pas à l'aval. Tant et si bien que la collectivité vend même de l'eau à ses voisines.

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A Lyon, « une fausse bonne idée » selon la majorité

La question des coûts se pose dans chaque collectivité, quelle que soit son échelle. Dans la métropole de Lyon, Anne Grosperrin, élue EELV en charge du cycle de l'eau, pointe « la fausse bonne idée » de cette proposition. « Cela ne fait pas sens pour de nombreuses raisons. Utiliser les eaux usées, c'est de l'énergie en plus. Ce sont aussi des réseaux supplémentaires. Il faut un bilan complet en termes de coûts environnementaux

Le Grand Lyon, qui produit chaque année 82 millions de m3 d'eau potable, capte majoritairement les eaux de la nappe alluviale du Rhône, « l'un des plus grands champs captant d'Europe ». A elle seule, elle alimentait près de 3 millions d'habitants en 2010 (agglomérations de Lyon, de Valence et d'Avignon), précisait alors l'Agence de l'eau. Cette nappe, dépendante du fleuve, offre « un contexte territorial très particulier », remarque Anne Grosperrin: « l'eau, qui vient des glaciers alpins, est d'une très grande qualité. Elle est de surcroît filtrée par des sédiments. On a la chance aujourd'hui de ne quasiment pas la traiter : on met seulement l'équivalent d'une goutte de chlore pour le volume de cinq baignoires d'eau potable ».

En aval, les eaux usées sont rejetées dans le Rhône. Mais elles participent également au renforcement des rivières attenantes. Pour certaines d'entre elles, les débits d'étiage dépendant à 80 % de ces rejets d'eaux usées. « Ce qui veut dire, en clair, que sans ces rejets en milieux naturels, les cours d'eau s'assècheraient, et des écosystèmes seraient détruits », remarque Anne Grosperrin.

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Sobriété : « on doit s'assurer de l'économie de la ressource en eau ».

L'élue affirme qu'au regard de la diminution des débits du Rhône (un tiers de perte d'ici à 2050 par rapport à avant le changement climatique, relevait Laurent Roy), la sobriété devient non seulement la priorité, mais la charpente des politiques publiques du cycle de l'eau. Le schéma directeur métropolitain ambitionne de réduire de 15 % les volumes par consommateur d'ici à 2027. Dans les mesures clés portée par la majorité verte : la promotion auprès des particuliers, « l'accompagnement des hôpitaux, des commerces, des industries », mais aussi la perméabilité des sols pour capter les eaux pluviales. La Métropole prévoit, par ailleurs, de valoriser autrement les eaux usées, à travers leurs résidus : d'ici à 2026, le nouveau quartier de la Saulaie (Oullins), à l'ouest, serait alimenté en chauffage et en climatisation urbaine collective grâce aux calories des boues, issues du retraitement des eaux usées. Avec la méthanisation, elles participent à valoriser autrement le processus de retraitement.

Une réutilisation des eaux usées traitées plus efficiente en bord de mer

Là où les propriétés hydrographiques de secteurs continentaux constituent souvent un frein, la réutilisation des eaux usées revêt un véritable sens dans certaines zones littorales. Elles ne sont en effet pas indispensables aux milieux naturels lorsqu'elles partent directement en mer (sauf dans certains estuaires, pour limiter les remontées d'eau de mer dans les terres). Alors, face à leur potentiel, certaines collectivités s'en sont déjà emparées afin de diminuer leurs prélèvements. C'est déjà le cas à Agde (Hérault), pour l'arrosage du parcours de golf. Le département des Pyrénées-Orientales, qui souffre des conséquences de la sécheresse hivernale sur l'eau potable, travaille aussi à des applications locales. Tandis qu'aux Sables d'Olonne (Vendée), la collectivité porte le projet Jourdain, unique en France, afin de redistribuer aux habitants des eaux usées traitées, à nouveau potables. L'Etat, dans sa feuille de route, soutient ce genre d'initiatives. Un partenariat a d'ailleurs été noué en avril 2023 avec le Cerema et l'association nationale des élus du littoral en ce sens, doté d'une enveloppe annuelle de 2 millions d'euros pour soutenir des études de faisabilité. Le nouveau décret, publié le 29 août 2023, vise quant à lui à simplifier les démarches. Pour que les collectivités vérifient d'abord la compatibilité de cette solution, très limitée et coûteuse, avec leurs besoins.

Le nouveau décret du « plan eau » allège les formalités administratives

Le « plan eau », annoncé par Emmanuel Macron en mars 2023 sur les rives du lac artificiel de Serre-Ponçon, prévoit 10 % d'économies d'ici 2030. Et chaque secteur doit « prendre sa part », assurait le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, le 22 août dernier, lors d'une visite du site industriel du plasturgiste Kem One, dans l'Ain.

Sur les eaux usées, le nouveau décret, publié le 29 août, vise à simplifier les démarches administratives auprès des préfectures et de l'Agence régionale de santé.

Parmi les mesures annoncées : la suppression de la limitation des projets de réutilisation à cinq ans, une simplification de l'instruction des dossiers, mais aussi une augmentation des volumes d'eau réutilisables.

Jusqu'à peut-être, d'ici peu de temps, légiférer sur l'utilisation des eaux grises à destination d'usages sanitaires (chasse d'eau) ? Pour Christophe Béchu, cette dynamique participe à « une logique d'économie circulaire » et constitue « un levier incontournable pour concilier préservation des milieux naturels et besoins urbains, agricoles et industriels ».

Or, la question des usages fait débat. Anne Grosperrin, vice-présidente EELV en charge de l'assainissement et des milieux aquatiques pour la métropole de Lyon (Rhône), milite pour « une vision » autour du cycle de l'eau : « Cette lunette techniciste, sur la réutilisation des eaux usées, favorise deux choses : d'abord, les grands groupes, qui proposent des solutions technologiques, mais aussi le modèle agricole actuel, basé sur l'irrigation ». Aujourd'hui, l'agriculture est la première activité consommatrice d'eau en France (57 %), devant les usages domestiques (26 %), le refroidissement des centrales électriques (12 %) et l'industrie (5 %), indique le Ministère de la transition écologique.

Le nouveau ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau, précise quant à lui que « la balance bénéfice/risque change profondément d'équilibre. Depuis l'année dernière, nous avons adapté notre approche de la consommation d'eau potable. Cela passe désormais par une meilleure prise en compte de ce risque de rupture, car le manque d'eau potable est aussi important que celui du risque sanitaire ».

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