Les Tissages de Charlieu s’attaquent au défi du tri des vêtements en fin de vie

La PME ligérienne va exploiter, d’ici cet été, une unité pilote de tri automatisé des textiles usagés. Elle doit permettre de mettre au point un process efficient de tri afin de répondre à la complexité du recyclage de milliards de vêtements aux couleurs et compositions hétérogènes.
Nos armoires sont des champs de coton, pointe Eric Boël, le dirigeant des Tissages de Charlieu.
"Nos armoires sont des champs de coton", pointe Eric Boël, le dirigeant des Tissages de Charlieu. (Crédits : Adobe Stock)

704.834 tonnes de textiles (vêtements, linge de maison et chaussures) ont été mises sur le marché en 2021 en France, représentant 2.765 millions de vêtements et chaussures (soit +3% par rapport à 2020), selon les derniers chiffres de l'Ademe.

Cela représente un peu plus de dix kilos par an et par habitant. Après une année de chute brutale du nombre de vêtements et chaussures vendus en 2020 (685 tonnes), pour cause de Covid, la consommation de vêtements est repartie à la hausse et devrait dépasser rapidement son niveau de 2019 (792,6 tonnes).

Plusieurs défis

De son côté, avec près de 46.000 points d'apport volontaire, le taux de collecte des textiles usagés (c'est-à-dire la proportion du volume de textile mis sur le marché qui est détournée des ordures ménagères) progresse également : 33% en 2021 (contre 28% en 2020 et 31% en 2021) mais reste loin des objectifs de la filière (50% en 2021, 60% en 2028 fixés en novembre 2022 par le nouveau cahier des charges donné par l'État à la filière REP textile). Le challenge de la collecte est donc encore bien loin d'être relevé.

Mais à celui-ci s'en ajoute un second... peut-être encore plus ardu : celui de la revalorisation. En 2021, toujours selon le dernier bilan de l'Ademe, sur les 153.000 tonnes triées, 86.483 tonnes ont été réutilisées, 50.983 tonnes ont été recyclées, 1.394 ont été utilisées pour produire de l'énergie (CSR), 1.034 ont été utilisées comme combustibles, 142 ont été incinérées et 451 ont été enfouies.

Avec une problématique dont la filière commence à percevoir les enjeux : une part très importante des textiles collectés en France sont destinés au grand export. Plus de la moitié, selon François-Marie Grau, délégué général de la fédération de prêt-à-porter féminin. Pour des dons à des populations moins dotées que les Français ou pour être démantelés sur place. « Cela semble une solution pratique et efficace, mais cela soulève des questions éthiques et environnementales » pointe ainsi le délégué général, soulignant notamment l'impact carbone important de ces voyages du textile à travers le monde, mais aussi l'impact potentiellement négatif de cette abondance de textiles à bas prix pour les populations locales, les privant de la possibilité de développer une industrie locale. Sans compter l'exportation de ces textiles en fin de vie dans des pays qui ne sont pas dotés de filières de recyclage. « Les images des décharges du Kenya ou des plages du Ghana sont là pour en témoigner », regrette ainsi François-Marie Grau.

Et d'enjoindre les entreprises de la filière « à adopter des pratiques de recyclage et de réutilisation locale, tout en promouvant des normes éthiques et environnementales élevées dans l'ensemble de l'industrie. Il faut rechercher des alternatives plus durables et responsables pour la gestion des textiles en fin de vie ».

Des champs de coton dans les armoires

C'est exactement dans cette logique que s'inscrit Eric Boël, dirigeant depuis 27 ans de la PME ligérienne Les Tissages de Charlieu, (120 salariés avec un CA en 2022 de 12 millions d'euros) et fervent défenseur du made in France à travers tous les mandats qu'il a exercés (Unitex, Fédération française de tissage de soierie etc).

« 96% des volumes de textile achetés en France sont importés. On en collecte moins du tiers en fin de vie dans les filières dédiées. Et, cerise sur le gâteau, tout ce qui n'est pas exploitable tout de suite repart à l'autre bout du monde pour du réemploi ou pour être démantelé. La France est devenue un simple pays de transit pour le textile. Ce qui explique que le nombre d'emplois de notre filière ait été divisé par 10 en 30 ans. Il est vrai que nous ne pouvons pas cultiver de coton en France pour alimenter nos filatures mais nos armoires représentent en réalité de champs entiers de coton. Encore faut-il réussir à passer du vêtement usagé à une fibre de bonne qualité... ».

Selon lui, il manquait jusqu'ici deux maillons essentiels en France pour que le recyclage du textile puisse réellement se développer localement. Le premier concerne la possibilité technique de transformer une fibre textile en fin de vie en nouvelle fibre pouvant être utilisée en filature pour produire de nouveaux vêtements. Le second concerne l'étape de tri. « Certaines enseignes de fast-fashion, comme Shein, sortent chaque année des centaines de milliers de nouveaux articles. Pour la plupart des grandes marques, on est au moins à plusieurs milliers par an. Avec des mélanges évidemment toujours différents de couleurs, de matières etc. Cela génère une complexité folle pour le tri. Or, pour revaloriser une fibre, pour qu'elle soit de nouveau exploitable en filatures, il faut qu'elle soit homogène en composition et en couleur. Manuellement, il est impossible économiquement de trier des centaines de milliers de tonnes », explicite l'entrepreneur.

Une unité pilote de tri automatisé opérationnelle d'ici cet été

Les Tissages de Charlieu se sont attaqués au sujet sur les deux fronts. L'entreprise ligérienne s'est associée début 2022 avec la PME TDV industrie (fabricant de tissus techniques pour les vêtements de travail) et Mulliez-Flory (vêtements professionnels) pour créer Renaissance Textile et lancer, près de Laval, une unité industrielle d'effilochage. Grâce à une R&D conjointe, celle-ci est capable de produire de nouvelles fibres de qualité à partir des vêtements usagés afin de fournir les filatures françaises et européennes. Une première ligne est déjà opérationnelle. Deux autres devraient être mises en route d'ici 2025 pour le traitement de 10.000 tonnes de textile par an. 25 millions d'euros seront investis d'ici deux ans.

Nouveau pas d'importance, Les Tissages de Charlieu vont désormais prendre à bras le corps la question du tri. La PME, appuyée dans cette démarche par les fabricants de machine Andritz-Laroche (69) et Pellenc (84) s'est associée à Synergie TLC (spécialiste de la valorisation des textiles) pour développer une ligne industrielle automatisée capable de trier les textiles afin de créer des volumes homogènes à recycler.

Ensemble, ils créent une nouvelle société « Nouvelles fibres textiles ». Les deux actionnaires vont investir 4 millions d'euros dans une première unité de tri pilote qui sera implantée à Amplepuis (69) d'ici l'été et qui sera capable de traiter 20.000 tonnes de textiles par an avec une dizaine de salariés. « Elle va nous permettre de parfaire la technique et les process. Ensuite, d'ici deux ans, nous construirons une unité industrielle sur 10.000m² avec une soixantaine de collaborateurs ». Cette première usine de tri (accompagnée par des financements Ademe et PIA) sera dans la région mais Eric Boël pense déjà au coup d'après : « le besoin est d'une unité par région. Il sera évidemment plus efficient économiquement et écologiquement de trier au plus près des collectes ». Le chiffre d'affaires escompté n'est pas encore communiqué.

En parallèle de ces nouveaux développements, Les Tissages de Charlieu poursuivent leur croissance autour de la fabrication de sacs de caisse en tissu recyclé. Projet soutenu par Auchan et Super U notamment qui se sont engagés, l'année dernière, pour plusieurs années. 20 millions d'euros sont investis par LTC dans de nouveaux équipements industriels et une extension afin de produire en 2023, 60 millions de sacs de caisse. 60 personnes supplémentaires devraient être recrutées d'ici la fin de l'année.

« 10 millions de sacs en textile recyclé, c'est 1.360 tonnes de plastiques et 52.000 tonnes de CO2 économisés, soit 2 millièmes de l'impact carbone de la filière textile française. Ce n'est pas négligeable... », conclut Eric Boël.

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