Ce sont des pierres vert-bleu aux multiples nuances. Des saphirs qui dorment par milliers dans le lit d'une rivière du Livradois, dans le Puy-de-Dôme, un lieu tenu secret tant le gisement est rare et précieux. Ces gemmes, d'origine magmatique, sont issues d'un volcan auvergnat. Elles ont été transportées par le cours d'eau, puis retenues à l'entrée d'une gorge, dans un périmètre restreint de quelques kilomètres carrés seulement. Un gisement unique qui se trouve sur la propriété de Bernard. Cet exploitant agricole a fondé, il y a un an, la société Rivière de France afin de promouvoir et valoriser ces pierres précieuses. Et la toute jeune entreprise s'est fixée des règles précises : ne pas détériorer le site et prélever ces corindons - nom scientifique du saphir et du rubis - dans le respect de la nature. Pas question de perturber notamment la reproduction des truites. Les pierres sont extraites de juin à septembre à la pelle et au tamis.

« Notre exploitation respecte l'environnement et surtout elle est éthique et équitable. Nous reversons 45% du prix de vente de la pierre à la personne qui a découvert le saphir. Ils sont une dizaine de préleveurs autorisés à travailler pour la société. Nos pierres ne sont ni chauffées ni traitées, ce qui fait que nos saphirs sont 100% naturels. Pour tout ça, nous pouvons dire, aujourd'hui, que nous révolutionnons le modèle minier et la joaillerie » estime le directeur de Rivière de France, Erik (qui préfère garder l'anonymat dans un souci de discrétion).

C'est lui qui a alerté Bernard, le propriétaire, en 2018 que des chercheurs « grattaient » sa rivière en quête de saphirs. « Ensemble, nous avons décidé de mettre fin à ce pillage et de valoriser ce trésor » poursuit ce passionné de minéralogie. Depuis, une étude géologique a démontré que le site contenait une forte densité de saphirs. Surtout, ces pierres ont peu de défauts. Selon Rivière de France, une pierre sur 10 prélevée dans le cours d'eau est exploitable contre une sur 100 à Madagascar, gros producteur mondial de saphirs.

« Aujourd'hui nous sommes les seuls à pouvoir commercialiser de manière totalement légale ces saphirs d'Auvergne et à pouvoir prouver leur origine » précise Bernard.

Une centaine de bijoux par an

L'entreprise ne compte pas vendre ses pierres à de grands noms de la bijouterie. Non, elle veut devenir une Maison de joaillerie à part entière et produire ses propres bijoux. Mais pas plus d'une centaine par an, ainsi qu'une trentaine de montres. Car l'idée est aussi de prélever ces gemmes de manière raisonnée et raisonnable. Rivière de France ambitionne de fabriquer ses premiers bijoux dès la fin de l'été (avec de l'or éthique) et de les commercialiser dès le début de l'année prochaine : des bagues, des colliers, des boucles d'oreilles et des montres d'exception. Des pièces qui ne seront pas vendues en dessous de 10.000 euros. « La spécificité, c'est que c'est le bijou qui va se plier à la pierre et pas l'inverse. Ce sera la forme originelle du saphir qui déterminera quel type de bijou sera fabriqué » détaille Erik.

Et la société veut mettre l'accent sur la transparence et la traçabilité de ses gemmes. Tout est certifié explique l'entreprise. Un laboratoire de gemmologie atteste la qualité de chaque pierre. Elle est numérotée par un expert, taillée par l'un des trois lapidaires auvergnats choisis (artisans tailleurs de pierres) et coffrée dans une banque à Vic-le-Comte. Rivière de France va même proposer un certificat unique avec la référence cadastrale correspondant à la parcelle de découverte du saphir, les signatures du préleveur et du propriétaire du terrain ainsi que la photo du corindon brut.

« On peut vous raconter toute l'histoire de chaque pierre. C'est aussi cette certification qui donne de la valeur au saphir », vante le directeur de Rivière de France.

Un musée autour du patrimoine minéralogique auvergnat

Une certification utile et nécessaire car Rivière de France entend bien, dans un second temps, faire du saphir d'Auvergne un produit d'investissement et de placement.

« Notre actif rare et précieux, et le certificat qui l'accompagne, intéressent les financiers, au même titre que le diamant. J'ai notamment reçu un appel d'un spécialiste londonien des pierres d'investissement » détaille Erik, juriste de formation.

Rivière de France compte présenter sa première collection, Place Vendôme, dans les prochains mois en même temps qu'un « bijou historique » qu'elle est en train de constituer. Cette pièce sera confectionnée à partir de paillettes d'or issues de rivières françaises, de cuivre et d'argent extraits de mines françaises. Toutes les étapes sont supervisées par un huissier de justice de Clermont-Ferrand. Ce bijou devrait être exposé au Muséum National d'Histoire Naturelle à Paris avant d'effectuer une tournée dans différents musées français. Les deux associés rêvent d'ailleurs de créer leur propre musée autour des richesses minéralogiques d'Auvergne.

« Au-delà du projet de joaillerie, nous avons aussi un projet touristique qui mettrait en avant notre territoire. Il n'y a pas que le Saphir en Auvergne, il y a aussi des améthystes et plein d'autres minéraux. Ce musée pourrait voir le jour d'ici 5 ans sur notre site d'exploitation » raconte Bernard, qui compte bien valoriser son Livradois natal, un territoire rural peu connu.