Écharpe d'édile et costume de patron

Les chefs d'entreprise qui revêtent l'écharpe tricolore de maire ne sont pas nombreux. Quand certains attendent d'être à la retraite avant de briguer un mandat municipal, d'autres, une fois élus, se mettent en réserve de leur vie professionnelle. Tous accomplissent leur mandat avec les mêmes réflexes et exigences que ceux commandés par la direction de leur entreprise.

Chef d'entreprise et maire : mener en parallèle ces deux responsabilités suppose d'être bien organisé. Patrick Mignola, maire de La Ravoire, commune savoyarde de 9 000 habitants, a délimité, une fois pour toutes, le temps accordé à l'une et l'autre de ses fonctions.« Le lundi, je le réserve à la mairie. Mes collaborateurs dans l'entreprise savent qu'ils ne doivent pas me déranger. Le reste de la semaine est consacré à l'entreprise et les consignes s'appliquent de la même façon », énonce le patron, quadragénaire, de Mignola Groupe, une PME de 200 salariés spécialisée dans les revêtements (carrelages) et l'ameublement. Il reconnaît déléguer à ses adjoints et collaborateurs.

Négociation avec son associé

Pour sa part, Christian Denis, premier édile à Montchal, dans la Loire (476 habitants), tient permanence tous les jours - pendant 1 h 30 - à l'exception du mercredi. « Toutefois, je donne la priorité à l'entreprise qui me fait vivre », spécifie le dirigeant de Denis & Fils, un des derniers tisseurs de soie en France, pour des marques de luxe, qui emploie 49 personnes. Avant de se lancer dans la course à la mairie de Tarare (Rhône), en 2014, Bruno Peylachon (50 ans), a au préalable négocié avec son associé (à 50 %), son retrait opérationnel de l'imprimerie Barlerin, à Saint-Romain-de-Popey, commune située à quelques encablures. Et pouvoir ainsi être élu à plein temps. Arrivé à 8 h du matin, il quitte la mairie à 20 h 30, parfois 22 h 30, les soirs de réunion. Il est également premier vice-président de la communauté de communes de l'Ouest rhodanien.

Bruno peylachon

Bruno Peylachon (50 ans), maire de Tarare et co-dirigeant de l'imprimerie Barlerin.

« Mobilisable jour et nuit »

Marc Grivel se souvient encore des trois années délicates où il menait de front ses responsabilités à la mairie de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or (Rhône) - son élection date de 2008 - et à la tête de MCG Managers, sa société de 22 collaborateurs, cédée depuis. Paul Minssieux, fondateur du groupe Aquair (700 salariés et 120 millions d'euros de chiffre d'affaires dans le génie climatique et frigorifique) avait transmis les commandes de l'affaire à son fils Frédéric avant d'endosser l'écharpe de premier magistrat de Brignais (Rhône), en 2006.

« Je suis mobilisable jour et nuit », certifie l'ancien patron qui passe néanmoins quotidiennement dans l'entreprise dont il préside le conseil de surveillance. Selon les statistiques de 2008 (les dernières publiées) de l'Association des maires de France, les plus de 60 ans fournissaient 40 % des contingents de maire à l'époque. Mais le pourcentage n'a guère dû évoluer.

Des engagements profonds

Pourquoi les patrons sautent-ils le pas ? Leur mobile est-il politique ? Force est de constater que, pour la plupart, les maires de petites et moyennes communes n'ont pas d'étiquette. Bien qu'encarté UMP, Bruno Peylachon affirme se détacher des appartenances politiques : « Ce  sont les Tarariens  qui m'intéressent », répète-t-il.

Les élus interrogés témoignent d'un besoin profond de s'engager au service des autres. « J'étais sapeur-pompier volontaire dès l'âge de 16 ans. Quand, en 2006, avec Gérard Lhermat, nous avons repris les actifs de l'imprimerie Barlerin où nous étions cadres, c'était pour sauvegarder les 25 emplois de l'époque. Et le défi a été relevé », rappelle-t-il.

De son côté, Marc Grivel évoque de nombreuses années de bénévolat dans des associations au bénéfice de l'enfance et de l'adoption. Ces mandats municipaux peuvent aussi s'inscrire dans une tradition familiale : « Mon père avait été maire de Montchal », confirme Christian Denis. Paul Minssieux atteste d'une forme d'atavisme familial « qui m'a poussé vers l'intérêt collectif ». C'est naturellement à Brignais, où se situent ses racines, qu'il a implanté en 1971 ce qui est devenu le groupe Aquair, et 350 des 700 salariés de cette ETI travaillent dans cette localité.

Christian Denis

Christian Denis, maire de Montchal (Loire) et dirigeant de Denis & Fils (49 salariés)

L'expérience de patron au profit de la municipalité

Patrick Mignola, lui, a d'abord commencé par la « politique ». Ancien délégué national de l'UDF (et toujours fidèle de François Bayrou), ce diplômé de Sciences Po Paris entre en 1995, à 23 ans, au conseil municipal de La Ravoire dont il sera élu maire en 2001. Sept ans plus tard, il prend les rênes de l'entreprise paternelle, achetée avec ses deux sœurs, et abandonne alors son mandat de conseiller départemental.

Qu'ils soient toujours en activité, ou non, les chefs d'entreprise qui ont enfilé l'écharpe tricolore - ils ne sont pas légion en France - reconnaissent avoir séduit leurs administrés par leur profil de gestionnaires. C'est une certitude affichée par Bruno Peylachon :

« J'ai été très sollicité pour conduire la liste « Tarare passionnément » car, pendant la période où j'étais dans l'opposition (de 2008 à 2014, NDLR), j'ai apporté la preuve de la mauvaise gestion de la ville et de ma capacité à rétablir la situation. À la fin de l'exercice 2015, nous y serons parvenus et pourrons enfin mettre en œuvre notre programme d'action. »

Chose promise, chose due, le nouvel exécutif tararien a d'emblée réduit de 20 % les indemnités des élus, soit « une économie de 50 000 euros par an », indique Bruno Peylachon. Parallèlement, « nous avons passé en revue l'ensemble des contrats : assurance, téléphonie. Sur ce dernier poste, nous avons gagné 7 000 euros ». Les dépenses de gestion ont été abaissées de 5 à 8 % dès 2014, avec l'objectif de ramener  « les frais de personnel (160 agents équivalents temps plein aujourd'hui) en dessous de 50 % ». Certains postes de contractuels n'ont pas été renouvelés et chaque fois qu'un agent part à la retraite, la question de son renouvellement est posée.

Ne pas bousculer la vocation d'une collectivité

Autre méthode transférée à l'univers de l'entreprise :

« Nous avons progressivement amélioré tous les ratios de fonctionnement depuis 2008. Le magistrat de la chambre régionale des comptes qui nous a contrôlés était étonné de notre capacité d'anticipation, laquelle nous rend plus sereins pour faire face à la diminution des dotations de l'État », observe le maire de Brignais (250 agents municipaux).

Autre exemple avec Patrick Mignola, qui applique aux agents la même consigne de management en vigueur dans son entreprise : « Un collaborateur qui vient pour exposer un problème sait qu'il doit se présenter en ayant réfléchi à trois solutions. » De même il a fait appel à un cabinet de consultants qui pose un regard extérieur sur la gestion des compétences. Ce qui n'est pas fréquent dans une commune de 9 000 habitants.

« Certes, les modes opératoires de l'entreprise apportent beaucoup pour gagner en efficacité. Toutefois, il ne faut pas bousculer la vocation d'une collectivité publique qui doit être au service du public, le plus large possible, met en garde Marc Grivel. Il faut accepter aussi de gérer le temps d'une manière différente. Les rythmes de l'entreprise ne peuvent être importés dans une collectivité publique au risque de courir à l'échec. »

Patrick Mignola, patron du PME de 200 salariés et maire de La Ravoire.

Le savoir-faire du maire aide le chef d'entreprise

La force des réseaux : ancien exploitant agricole et responsable d'un abattoir à Grenoble, Gérard Seigle-Vatte, maire de Paladru, sait qu'il peut activer ses relations professionnelles quand il en a besoin pour résoudre des problèmes. Et « c'est important dans une fonction de maire », juge-t-il. Si le savoir-faire et l'expérience de chef d'entreprise se révèlent donc utiles pour diriger une commune, l'inverse l'est tout autant.

Être dans le vif de la gestion du social ou du développement durable, « donne une conscience supérieure en matière de RSE (Responsabilité sociale et environnementale). Je comprends mieux les difficultés que peut rencontrer un carreleur de ma société en début de carrière dont le salaire est de 1 200 euros par mois. De même, je suis plus attentif aux questions de traçabilité des produits, par exemple », reconnaît Patrick Mignola. Pour sa part, Bruno Peylachon a pu toucher du doigt la rigueur des procédés utilisés par les collectivités en matière d'appels d'offres. Et il ne peut qu'exhorter les entreprises à prendre le temps nécessaire pour y répondre.

Pascal Gustin, Pdg d'Algoé Consultants, cabinet lyonnais de conseil en management, en est convaincu :

« Si davantage de dirigeants avaient des responsabilités dans les collectivités locale, l'économie s'en porterait mieux. D'une part, leur expérience est précieuse en matière de contrôle de gestion, de modèle économique ou de valeur ajoutée. D'autre part, leurs liens au territoire seraient plus forts. »

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