Une Epoque formidable 2021 : "S'il y a une chose à imaginer, c'est le rêve d'après, pour les autres"

UEF2021. Installé au Théâtre des Célestins, le forum Une Epoque Formidable, organisé par La Tribune, soulevait ce 27 septembre la question, cardinale : "Maintenant, on fait quoi ?". Quinze invités issus de diverses disciplines sont intervenus pour dix heures de dialogue et de débats. Innover, manager, s'engager, témoigner, bâtir, être juste, croire et rêver : comment envisager ces (inter)actions, selon la « bonne intelligence » que dicte la réalité sanitaire, sociale, environnementale, climatique, et même civilisationnelle ?
Cette année encore, les quinze invités (historiens, magistrats, artistes, mathématiciens, patrons, philosophes, paléoanthropologues, scientifiques...) ont pris de la hauteur sur les enjeux dessinés par la crise actuelle : Aujourd'hui ça veut dire quoi : être innovant, manager, s'engager, témoigner, bâtir, être juste, croire et rêver ?.
Cette année encore, les quinze invités (historiens, magistrats, artistes, mathématiciens, patrons, philosophes, paléoanthropologues, scientifiques...) ont pris de la hauteur sur les enjeux dessinés par la crise actuelle : "Aujourd'hui ça veut dire quoi : être innovant, manager, s'engager, témoigner, bâtir, être juste, croire et rêver ?". (Crédits : DR)

Lundi 27 septembre s'est tenue la 7e édition du forum Une époque formidable, organisé par La Tribune, au Théâtre des Célestins. Elle est venue compléter six premières années d'échanges et d'émulations avec des intervenants de tous bords, mais également s'est inscrite comme la deuxième année consécutive placée sous le signe du Covid-19 - ce qui force un peu plus encore à la remise en question et à la transformation.

Malgré l'omniprésence de la crise sanitaire dans nos esprits et nos vies, les questions soulevées à l'occasion de ce Forum avaient vocation à retentir bien au-delà de cette période. Les maux sociétaux l'ont précédé et lui succéderont, l'heure est donc à la transformation globale, avec ou sans Covid-19.

Cette année, les quinze invités (historiens, magistrats, artistes, mathématiciens, patrons, philosophes, paléoanthropologues, scientifiques...) ont affiné la réflexion de l'an passé "Et maintenant on fait quoi ?", en la déclinant en plusieurs champs d'action. "Aujourd'hui ça veut dire quoi : être innovant, manager, s'engager, témoigner, bâtir, être juste, croire et rêver ?". Au total plus de 900 personnes ont assisté à l'évènement, dont nombre d'étudiants, et plus de 150.000 vues ont été enregistrées lors du direct ou sur les réseaux sociaux, avant même la diffusion, cette semaine, des podcasts. 

Selon une étude parue dans The Lancet planetary health mi-septembre, sur 10 000 jeunes de 16 à 25 issus de dix pays du Nord au Sud, 75 % des jeunes jugent le futur effrayant, 56 % estiment que l'humanité est condamnée et 39 % hésitent à avoir des enfants.

L'avenir fait peur, « il est empoisonné », alors comment faire pour l'éclaircir ? Najah Albukaï, Johann Chapoutot, Priscille Deborah, Jean-François Delfraissy, Catherine Destivelle, Thierry Frémaux, Étienne Klein, Julie Neveux, Charles Pépin, Pascal Picq, Nathalie Roret, Jean-Dominique Senard, Renaud Van Ruymbeke, Catherine Marchi-Uhel et Cédric Villani ont ainsi proposé des pistes de réponse.

A rebours de l'injonction à l'innovation

Pascal Picq, paléoanthropologue, Priscille Deborah artiste peintre et "première femme bionique française", ont ouvert le bal avec la question "Aujourd'hui, être innovant, ça veut dire quoi ?". En avant-propos vidéo, la linguiste Julie Neveux précisait que le verbe innover était à l'origine intransitif, soit "un verbe qui s'accomplit dans son objet". On pouvait alors innover une mode comme un chapeau. Il est ensuite devenu intransitif, "on est innovant tout court", jusqu'à la dérive actuelle : "il y a une injonction d'être innovant." Dans la course effrénée à l'innovation, où les startups génèrent une multitudes de concepts, prendre un temps de recul peut s'avérer salvateur.

Selon Pascal Picq, il faut avoir l'humilité de se laisser porter et de laisser faire « la magie de la vie ». Et d'ajouter : "Inventer ce n'est pas innover. La nature innove depuis quatre milliards d'année, sans finalité. Pourquoi il y a des changements sans qu'il n'y ait de projet ?"

Le paléoanthropologue propose également une analyse plus large du contexte : "Nous vivons dans  un monde darwinien, il y a une culture de l'essai-erreur, le monde de la startup, c'est darwinien. Une invention peut changer le monde."

Une possibilité offerte de changer le monde

Un monde darwinien, non pas au sens de la "loi du plus fort ", mais plutôt "un monde où apparaissent de nouvelles idées, de nouveaux caractères, sans projet. S'ils ne sont pas sélectionnés, ça ne change rien, s'ils sont sélectionnés, ça peut changer le monde."

"Si l'innovation est là pour contraindre, dominer et rendre plus difficile la vie de ceux qui nous entourent, elle doit être rejetée absolument", préviendra lors de son intervention Jean-Dominique Sénard, président de Renaud, en écho.

Mais les techniques et les avancées, aussi incroyables soient-elles, peuvent-elles se suffire ? Priscille Deborah a apporté ici une nuance. Et l'humain, sa capacité réflexive dans tout ça ? L'artiste décrit elle-même avoir une "vie inventée", après avoir été amputée des deux jambes et du bras droit : tout était à reconstruire.

"J'ai pris le temps d'observer le monde et trouver ma place. Ce n'est pas l'innovation technique qui a amenée à ma résilience, c'est me concentrer sur le présent", affirme-t-elle.

"Je ne suis pas une ressource, comme du charbon ou du bois concassé, je suis un humain"

Le facteur humain , justement, ou même la "ressource humaine", paramètre indispensable au développement d'une entreprise et qu'il faut, dans notre configuration actuelle, "manager". C'est sur ce thème qu'est intervenu Johann Chapoutot, professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne, spécialiste de l'histoire de l'Allemagne et du Nazisme. A l'heure où les termes se vident de sens et les travailleurs souffrent de burn-out (ou à l'inverse de bore-out), l'humain dans l'entreprise peut être analysé par le prisme de l'Histoire.

"Les Nazis parlaient de matériaux humains", avance Johann Chapoutot. "Il y a une notion de performance et les Nazis évaluaient le rendement et la productivité. Ils sont révélateurs de quelque chose qui habite notre monde et qui ne n'est pas volatilisé après 1945."

La productivité, mesurée principalement à la quantité, demeure au centre des préoccupations des entreprises. Les instances décisives sont alors dans la gestion des ressources, dont l'humain. L'historien fustige l'utilisation de ce terme qu'est "ressources humaines" : "Je ne suis pas une ressource, comme du charbon ou du bois concassé, je suis un humain."

"Calculer la quantité c'est facile, la qualité, c'est beaucoup plus dur. Le recours au chiffre est la chose la plus bête et la plus accessible", ajoute l'historien.

Un retour à l'essentiel, formule aussi galvaudée parfois qu'indispensable, semble donc être la seule solution. "Quand on pense à l'Italie du 17e siècle, on pense à la Renaissance, aux arts, à ce qui nous nourrit artistiquement, et non pas à la personne qui a inventé la comptabilité...", rappelle l'auteur de « Libres d'obéir » (nrf Gallimard).

UEF 2021 - 2

Tenir ses responsabilités

Ce retour à l'essentiel devra lui aussi se traduire par une prise de responsabilité de la part des entreprises. Aujourd'hui très attendues sur la gestion sociale et environnementale de leurs activités, elles doivent aussi faire preuve de plus de transparence, idéalement, vis-à-vis de leurs concitoyens.

"Idéalement", car en 2021, certaines entreprises ne respectent toujours pas les droits humains et environnementaux, en ayant recours au travail des Ouïghours par exemple, tout en affichant des valeurs humanistes. "Transition", répond Jean-Dominique Senard, ce type de contradiction est de moins en moins acceptée, de plus en plus dénoncée.

Alors, plus simplement, comment faire pour continuer à envisager un futur, quand cette transition n'est pas terminée, et les conditions climatiques, sociales et financières ne sont pas des perspectives réjouissantes ?

"S'il y a une chose à imaginer, c'est le rêve d'après pour les autres", affirme en ce sens Thierry Frémaux, directeur de l'Institut Lumière de Lyon et délégué général du festival de Cannes. De quoi clôturer et ouvrir les horizons après une journée riche en échanges, où la magie du présentiel semble avoir opéré à nouveau.

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