Et si le libre arbitre n'était qu'illusion

Réunis à l'invitation du CIC et d'Acteurs de l'économie-La Tribune, sous l'égide de la fondation Neurodis, Angela Sirigu, directrice de recherches au CNRS, et Jean-Noël Dumont, directeur du Collège Supérieur de philosophie, ont tenté, ce lundi 30 mars, de déterminer si le libre arbitre était une illusion de notre cerveau. Leurré par un ensemble de biais, l'individu semble n'avoir qu'une illusion de libre choix.

Notre cerveau est un organe multidécisionnel, centre de nos intentions et de nos souhaits. S'il constitue la pièce maîtresse de nos émotions, qu'en est-il de nos décisions ? « Sommes-nous producteurs de décisions conscientes et libres ? », interroge Angela Sirigu, directrice de recherches au CNRS - Institut des Sciences cognitives Marc-Jeannerod. Elle était l'invitée, avec Jean-Nöel Dumont, philosophe, directeur du Collège supérieur, d'un débat placé sous l'égide de la fondation Neurodis, co-organisé par le CIC et Acteurs de l'économie-La Tribune, ce lundi 30 mars. La neuroscientifique doute de notre entière liberté, justifiant sa réserve par la multiplicité de « biais » auxquels notre cerveau peut être soumis et qui limitent d'autant « notre décision rationnelle », autrement dit « notre libre arbitre ».

Sirigu Dumont

Angela Sirigu et Jean-Nöel Dumont ont animé cette conférence.  (Crédit : Laurent Cerino/Acteurs de l'économie)

La première impression

En effet, notre cerveau, s'il fait sens du monde extérieur, ne le reproduit pas de manière exacte. « Nous interprétons la réalité et traitons certaines informations de façon inconsciente. » Et de prendre pour exemple les expériences menées par Alexander Todorov qui prouvent qu'il nous faut à peine 33 millisecondes pour juger quelqu'un digne ou non de confiance. Une « première impression » qui « peut interférer avec la prise de décision ». De multiples autres expérimentations ont permis de mettre en évidence l'existence de ces biais qui troublent notre processus décisionnel. « Il est même possible, par de simples impulsions électriques dans certaines régions cervicales, de manipuler les intentions d'action et les émotions d'un sujet », complète Angela Sirigu. Dès lors, le libre arbitre ne semble avoir que l'apparence de la liberté.

Angela Sirigu

Angela Sirigu, directrice de recherches au CNRS (Crédit : Laurent Cerino/Acteurs de l'économie)

Exploration et illusion

En laboratoire tout au moins, au sein duquel « on peut mettre en évidence tous les déterminismes », tempère le philosophe Jean-Noël Dumont, prompt à vouloir dissiper le « malentendu de la situation d'expérimentation ». Car dans la réalité, le sujet ne subit pas un test « mais explore. La réponse à cette exploration valide nos connaissances et fondent notre rapport au monde ». Et de poursuivre : « La notion d'illusion de la liberté donne tort d'abord à celui qui la dénonce. Elle suppose l'existence d'un point de vue objectif, supérieur dans sa vérité. Un point de vue « sans point de vue » ». « Une illusion », s'amuse le philosophe qui interroge enfin le rapport entre pensée et activité cérébrale, avec laquelle « elle ne se confond pas ».

Débat épistémologique

S'ensuivent des échanges épistémologiques passionnés entre la scientifique et le philosophe sur le contrôle des comportements expérimenté en laboratoire. « Le contrôle des variables » ? Inhérent à toute démarche scientifique, pour elle. « Réductionniste d'une situation », selon lui, car « la liberté ne se confond pas avec les enjeux mesurés d'une situation. Nous sommes là encore dans l'illusion, celle d'un observateur. »

Jean-Noël Dumont

Jean-Noël Dumont, directeur du Collège supérieur de philosophie (Crédit : Laurent Cerino/Acteurs de l'économie)

Jean-Noël Dumont se livre alors à un exercice de sémantique, distinguant la liberté, « capacité d'un individu à se reconnaître dans ses actes et à les confirmer », la décision, « processus conscient », et le choix, « acte inconscient ». Le processus décisionnel s'engage « après un traitement complet de l'information disponible par notre cerveau. En dépit de ce traitement, des biais peuvent interférer », insiste Angela Sirigu. « Un traitement effectué chacun selon sa culture », oppose le philosophe. La décision rationnelle est donc teintée de biais et se révèle proche de l'illusion. La liberté, conclut Angela Sirigu, « n'existe pas », même si nous sommes toujours libres de refuser d'agir. Le libre arbitre résiderait là, dans la liberté du refus d'action, pour elle, dans la possibilité qui est nôtre de dire non, pour lui.

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Commentaire 1
à écrit le 11/04/2015 à 17:22
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ce que vous dites est trop beau il faut agir et trouver une place pour tout un chacun

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