Pierre Gattaz, le caméléon

A 53 ans, trente ans après son père, le patron de Radiall veut prendre la tête du Medef. Que sait-on de l’un des favoris à la succession de Laurence Parisot, à l’aise dans tous types de milieux ? Comment l’Isérois est-il perçu dans les milieux parisiens ? A-t-il la carrure pour présider le syndicat ?

Sur cette dernière ligne droite avant l'élection du président du Medef, prévue en juillet, Pierre Gattaz ne ménage pas sa peine. Multipliant les rencontres avec les chefs d'entreprise dans toute la France, l'homme reste toutefois peu connu du grand public. Dans le monde patronal, Jean Vaylet, ex-président du Medef Isère et actuel président de la CCI de Grenoble, est l'un de ceux qui le connaît le mieux. "Nous nous sommes rencontrés il y a une quinzaine d'années dans le cadre de la Fédération des industries électroniques (Fieec). Nous avons sympathisé car nous avions les mêmes valeurs : celles du respect et de l'écoute des autres. De plus, ce n'est pas quelqu'un qui se prend au sérieux. Il a le sens du contact et va spontanément au-devant des gens."

 

Fils de ?

Après un Baccalauréat C mention bien, Maths sup et spé, Télécom Bretagne, et 18 mois d'études aux Etats-Unis, il passe cinq ans chez Dassault Electronique, avant d'être "chassé" par Dynaction spécialisée dans le redressement de PME en difficulté. La présidence du Medef? Pour Jean Vaylet, c'est la suite logique dans le parcours de Pierre Gattaz: "Il a pris les rênes de la Fieec, puis celle du Groupe des fédérations industrielles (GFI). Dans ces différentes instances, il a souhaité recentrer la réflexion sur du concret. C'est un pur opérationnel." Son moteur? Sans doute la reconnaissance et un certain goût du pouvoir. "Quand vous avez été en première ligne, vous n'avez plus envie d'être numéro deux", déclare-t-il. De la détermination, donc. "Il faut agir pour le pays, pour que nos enfants soient fiers de
nous. Je vais faire mon maximum sur cinq ans, car je ne veux pas accomplir deux mandats et être dans une fonction." Mais peut-être aussi une revanche à prendre sur son père, selon Jean Vaylet : "Il a une grande admiration pour lui, ainsi que la volonté d'assurer l'héritage familial", confie-t-il. Fils d'Yvon Gattaz qui a fondé Radiall en 1952 avec son frère Lucien, il lui a en effet fallu faire sa place et imposer un prénom face à un père peu coopératif. D'autant qu'Yvon n'a pas seulement fondé Radiall, dont il est toujours président du conseil de surveillance. Il a aussi été président du CNPF (ancêtre du Medef) de 1981 à 1986. En son
temps, sous le premier mandat de François Mitterrand, son père avait alors mené une bataille sans merci contre le passage aux 39 heures, les "nationalisations confisquant le capital", l'impôt sur les grandes fortunes et la loi d'amnistie, mais aussi sur la montée "himalayenne" des charges des entreprises. "Le fait que son père ait été président du CNPF à l'époque est
presque un inconvénient. Beaucoup n'hésitent pas à mettre en avant le côté succession et 'fils de'", juge Bernard Gaud, président du Medef Rhône-Alpes, qui l'a connu sur les bancs du Medef. Enfin, Yvon Gattaz est le père des ETI. C'est lui qui a fondé ETHIC (Entreprises de taille humaine indépendantes et de croissance), puis l'Association des moyennes entreprises patrimoniales (ASMEP) pour permettre la transmission, donc la pérennité de ce type d'entreprise, devenue en 2009 ASMEP-ETI, le syndicat des Entreprises de Taille Intermédiaire qu'il préside toujours. "Mes détracteurs utilisent le terme d'héritier, alors que cela fait 30 ans que je suis dans le business", se défend Pierre Gattaz qui tient à rappeler que son père et son oncle l'ont appelé au moment de la chute du mur de Berlin pour opérer le
repositionnement stratégique de la société. Cette PME familiale spécialisée dans les
équipements électroniques fabriquait au départ des connecteurs pour l'industrie de la télévision. Devenue internationale, elle dispose désormais de sites sur quatre continents et travaille pour de nombreux secteurs tels que l'aéronautique, l'automobile, la défense, le médical, le spatial ou la télécommunication. "Beaucoup de gens le qualifient d'héritier car il a un nom. Mais il est arrivé dans l'entreprise quand la situation était mauvaise", confirme Bernard Gaud. "Il a tout d'un 'fils de', mais n'en est pas un car il n'en n'a pas le comportement, résume Jean Vaylet. Son père a 87 ans. C'est un très grand personnage, toujours actif, qui s'occupe de l'insertion des jeunes et défend l'entreprise patrimoniale. Pour autant, Pierre est quelqu'un de simple. Quand il venait à Grenoble, il dormait dans un hôtel 2 étoiles." Une simplicité confirmée par Bernard Gaud. "Il n'est pas du tout dans l'ostentation
et n'aime pas l'arrogance. Même si c'est le patron d'une grande ETI, il peut se retrouver dans un bistro autour d'une bière avec quelques copains."

 

Ni social, ni ultra-libéral

A en croire Eric Jourde, délégué général de la Fieec, Pierre Gattaz est un homme de
conviction. "C'est un vrai patron, très exigeant avec lui-même et ses collaborateurs". Et Jean Vaylet de louer un entrepreneur de terrain, proche des réalités de ses pairs. "Il est à l'écoute des salariés. Dans une négociation, il expliquera pourquoi il ne peut pas donner
d'augmentation de salaire, prendra le temps de convaincre. Ce n'est pas un gars qui va dire 'c'est comme ça' !" Ce dernier souhaiterait d'ailleurs que chaque chef d'entreprise enrichisse son programme, notamment grâce à son site internet lui permettant une approche "bottom-up".

Un homme de terrain, donc? Pas si sûr… "Pierre Gattaz a toujours un mot gentil, prend des nouvelles. Il est très accessible. Mais on ne le voit pas beaucoup", reconnaît Patricia Gerinte, secrétaire du CE de l'établissement de Rosny-sous-Bois. "Il est relativement ouvert, mais peu présent sur notre site de Château-Renault. Les occasions de le voir sont assez rares. Une ou deux fois par an", témoigne Renaud Alexandre, secrétaire du CE. "Quand il vient à Voreppe, il donne l'impression de ne pas être chez lui. Je l'ai toujours connu comme ça. Parfois, il vient en voiture de location et se gare à l'extérieur de l'entreprise. Peut-être que du fait de la présence de la CGT, il a peur de se faire interpeller", confie un syndicaliste. "Il n'aime pas trop être pris au dépourvu, confirme Pascal Bonnardel, secrétaire CGT du CE à Voreppe. D'ailleurs, on l'a déjà vu s'énerver à la télévision, où il avait été mis à bout d'arguments, face à un radical de gauche."

Un côté autoritaire, avoué à mi-mots par Bernard Gaud: "Il est parfois un peu impatient. Son ardeur, sa volonté et sa détermination lui font parfois réaliser de petites maladresses. Et sa spontanéité au sein de milieux très policés peut surprendre et quelque peu détonner."

 

Détricotage

D'aucuns voient d'ailleurs son côté provincial comme un frein. "Sa simplicité contraste un peu avec le parisianisme, où l'aspect vestimentaire est important, reconnaît Jean Vaylet. Cela dit, en quinze ans, je l'ai vu évoluer sur sa manière de s'habiller et il y accorde désormais beaucoup plus d'importance." Et celui-ci de souligner l'expérience internationale de Pierre
Gattaz, notamment avec des clients américains ou asiatiques. "Il voyage beaucoup et parle
anglais couramment". Si beaucoup disent de lui qu'il incarne plutôt la ligne "dure" du patronat, lui s'en défend. "C'est une étiquette qu'on essaie de me coller. Je suis pour un Medef de conquête, de combat positif contre la crise, contre le chômage et l'emploi. Un Medef de pédagogie, mais aussi de fermeté. Pas dans le sens dur et radical. Si j'étais un ultra-libéral, je
n'aurais plus d'usine en France." "C'est une fausse image, assure Jean Vaylet. Il est du côté de la branche industrie, toujours considérée comme plus dure. Et le soutien de Denis Kessler
accentue ce sentiment." Toujours est-il qu'il entend bien en découdre avec le gouvernement
socialiste et s'employer activement au détricotage d'un certain nombre de règles, notamment en droit social. Il milite ainsi ouvertement pour la fin des 35 heures et la suppression de la durée légale du temps de travail. Et se dit aussi davantage en faveur des accords d'entreprises que des grands accords interprofessionnels. "Les patrons ont besoin d'un guide qui a un cap ferme, tout en restant branché sur le terrain", affirme Bernard Gaud. Reste maintenant à convaincre la majorité des grands dirigeants français.

 

 

 

 

 

 

 

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