Bertrand Millet : faute de mieux pour le Medef Lyon-Rhône

Bertrand Millet s’apprête à être réélu à la tête du Medef Lyon-Rhône. Son parcours et sa personnalité en font-il un « juste » représentant des entreprises et des patrons ? L’enquête conduite dans les milieux patronaux et auprès de ses plus proches collaborateurs chez Bailly-Comte – sa société vendue en 1999 – démaquille l’image publique et met en question sa crédibilité et son crédit.
©Stéphane Audras/Rea

Le 4 avril, le Medef Lyon-Rhône désignera son président. Sans surprise - il est seul candidat à sa succession -, Bertrand Millet devrait être reconduit pour un second et dernier mandat der trois ans. Bilan de sa première présidence ? A son image, policée : sans faute ni relief particuliers. «  Bon défenseur de ces adhérents, bon gestionnaire, il fait fonctionner le mouvement normalement...il fait ce qu'il faut », résume Robert Paris, président du Medef Rhône-Alpes. Les premiers arguments sont par défaut : « Il a été élu démocratiquement. Je n'entends pas de critiques si éreintantes. Il est un bon président car il n'a pas été dénoncé par les siens. Et il se bat convenablement pour défendre les entreprises », explique Jean-Paul Mauduy, président de la CCI de Lyon. Ce premier mandat fait essentiellement valoir la conclusion de l'accord avec la CGPME pour une liste commune aux élections de la CCI d'octobre 2004 ? Autant par pragmatisme - l'une des qualités caractéristiques de l'ingénieur Millet - que par peur de perdre ou de simplement engager le combat, le président du Medef Lyon-Rhône fut l'artisan principal de cette alliance « rivale » François Turcas. Un François Turcas qui, mariage oblige, ne cesse aujourd'hui de vanter les mérites de son allié - jusqu'à faire découvrir son vin du jura au millier de patrons invité aux vœux de la CGPME - mais qui, en coulisses, ne cache pas son contentement : Bertrand Millet ne contrariera pas son charisme et son leadership auprès des dirigeants de PME...

 

Trajectoire « dorée »

 

« Avec lui, nous pouvons avancer », fait remarquer Pierre-Alain Muet, vice-président du Grand Lyon en charge du pôle économique. Homme de consensus, Bertrand Millet en avait déjà fait la preuve lorsqu'à la tête du GIPRA (syndicat rhônalpin de la plasturgie) il avait orchestré sa fusion avec un autre mouvement professionnel, basé à Oyonnax. Pour autant, est-il l'homme de la situation ? Retraité à 52 ans après avoir vendu sa société Bailly-Comte en 1999 à l'américain ITW, il s'est, depuis, reconverti dans la gestion d'un petit domaine viticole du Jura (cinq hectares et un salarié) acquis  « environ 400 000 € » et, également via sa société Sofima, participe au fond d'investissements Evolem 2 - il est l'un des trois membres de son comité d'investissement, et la dirigeante Vanessa Rousset plébiscite ses « compétences » et sa « disponibilité » - et à des prises de participations « très minoritaires ». Son parcours d'entrepreneur, son profil, sa personnalité incarnent-ils les aspirations des chefs d'entreprise Lyonnais ? Dans les milieux patronaux, c'est la moue. D'aucuns soulignent une trajectoire « dorée » et déphasée avec les préoccupations quotidiennes des patrons - « l'échec d'une ou plusieurs récoltes ne devrait pas mettre en péril son patrimoine... ce confort personnel lui permet difficilement de comprendre les problématiques des patrons de PME », affirme François Turcas - . Son activité professionnelle relève « davantage du divertissement, et de la nécessité d'être en conformité avec le Medef ».Sa personnalité est jugée certes « cordiale, bien élevée, accorte » mais aussi « distante, hautaine, et cassante », et naturellement assimilée à l'image « monarchique et inaccessible » du baron Ernest-Antoine Seillière. Dont il se distingue, entre autre, par l'absence de « doigté » politique. Auto-description de Bertrand Millet : « je suis déterminé, je n'aime pas les gens tièdes et je n'aime pas perdre. Mes défauts ? Ce sont ceux de mes qualités. Je suis passionné, donc excessif et parfois je peux ne pas être suffisamment tolérant ». Enfin, sa « suffisance » et sa rectitude semblent a priori peu adaptées au style des patrons de PME qui constituent la grande majorité des adhérents directs et indirects (85% des entreprises membres du Medef Lyon-Rhône ont moins de 50 salariés)...Le président du Medef Rhône-Alpes le qualifie même de « psychorigide », et juge « préjudiciable » la qualité « contestable » de ses relations humaines.

 

« C'est déjà bien »

 

« Off », quelques édiles des instances patronales considèrent que pour toutes ces raisons « il n'est pas vraiment représentatif du patronat lyonnais ». Ce, alors que le mimétisme entre la situation du président et celle de ses adhérents  apparaît capital pour entraîner ces derniers. Pour Jean-Louis Courbon, secrétaire général des fédérations Rhône-Alpes du bâtiment et des travaux publics, Bertrand Millet « n'incarne pas » le profil et les aspirations des patrons de sa branche. Surtout, souligne le président de le Fédération française du Bâtiment Rhône-Alpes Bernard Fontanel, qu'au gré  de l'éloignement de son passé d'entrepreneur on s'affranchit progressivement de ce qui nourrit le quotidien des patrons : « les angoisses ». Pour autant, l'ostracisme jeté sur la condition de « retraité » des mandataires est-il pertinent ? « Absolument pas. Pourquoi faudrait-il cataloguer ainsi leurs expertises, leur disponibilité, leurs réseaux qui peuvent être utiles ? » répond Gilles Maurer, président de Syntec Rhône-Alpes. Le Pdg d'Aldes Bruno Lacroix, qui présida le syndicat patronal aux rangs lyonnais puis rhônalpins, dissèque les difficultés et les, paradoxes de la fonction : «  Avoir une réelle activité professionnelle est capital pour bien comprendre le quotidien et les enjeux des patrons. Mais il est compliqué de trouver des candidats capables de mener de front la gestion d'une entreprise - si possible patrimoniale - et la présidence patronale. Pour cette raison, il faut plutôt essayer de positiver que la situation personnelle de Bertrand Millet : il manque peut-être de pédagogie et de communication, mais il a accepté le mandat, il a été patron, il est passé par les organisations de branche et connaît donc la problématique des services aux adhérents, il a du temps à consacrer à l'organisation. C'est déjà bien. De là à vouloir qu'il ait en plus du charisme... ».

 

Symbole de la crise des vocations

 

Président par défaut, c'est ainsi que le mandat de Bertrand Millet semble se résumer. Lui-même, auto défini « militant syndical de l'entreprise », n'apparaît pas cheville à sa fonction : « Mes pairs m'ont demandé de venir. Et je n'ai jamais fait des pieds et des mains pour être choisi. Mais s'ils trouvent quelqu'un de plus représentatif, pas de problème, je m'en vais. Au moins, je ne suis pas réélu comme mon alter ego de la CGPME depuis quinze ans à main levée ». Il illustre la carence des vocations au sein des organisations patronales, caractérisée par le renoncement des dirigeants emblématiques à se mobiliser - en partie car la conciliation avec leur exercice professionnel est délicate -, et par la difficulté de faire occuper les 1200 mandats ( !) par des condisciples compétents et impliqués. C'est d'ailleurs autour de Jean-Paul Mauduy et de la CCI de Lyon qu'une vingtaine de grands patrons lyonnais et drômois - Christian Boiron, Olivier Ginon, Norbert Dentressangle, Alain Mérieux, Dominique Nouvellet, Thierry de la Tour d'Artaise...- a choisi de se rassembler. « Avec Bertrand Millet, on arrive au pire de ce syndrome de la crise des vocations », assène Jean-Louis Courbon.
La question et, souligne la représentativité de Bertrand millet dépasse sa propre personne et porte sur la configuration même du Medef. Cette sorte de holding coiffe une bigarrure hétéroclite de quarante et une branches, et est « structurellement » éloignée du terrain. Difficile dans ces conditions d'être représentatif des intérêts à la fois d'une multinationale informatique et d'une petite société de négoce de boulons, d'incarner le profil du dirigeant lyonnais d'un cabinet d'audit international et du patron autodidacte d'une entreprise métallurgique. «  D'autant plus », souligne Jean-Louis Courbon, que le mouvement patronal entend et intègre «  de moins en moins » ses branches. «  De toute façon, un président territorial n'a pas vocation à faire l'unanimité parmi ses adhérents » tranche un proche collaborateur de Bertrand Millet.
    

 




 

    


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