La transition énergétique, nouvel eldorado pour le marché du silicone... et pour le lyonnais Elkem ?

Pour le chimiste lyonnais Elkem (ex- Rhône-Poulenc et Rhodia), la transition énergétique est une très bonne nouvelle. Car à mesure que grimpent les exigences en matière de décarbonation, le silicone se pose comme une alternative plus haut de gamme et « durable » que les matériaux plastiques dans un grand nombre de domaines (automobile, BTP, santé, etc)… De quoi nourrir un investissement de 36 millions pour doper ses capacités de production, tout en affichant des ambitions accrues en matière de recyclabilité, qui demeure encore cependant le principal point noir de cette matière.
Notre croissance est tirée par la transition énergétique et notamment l'électrification de l'automobile qui utilise de plus en plus de silicone, affirme le lyonnais Elkem, qui se prépare à investir 36 millions d'euros sur son site de Roussillon (Nord-Isère). A tel point qu'aujourd'hui, Frédéric Jacquin estime qu'une voiture sur six est équipée de ses silicones à travers le monde.
"Notre croissance est tirée par la transition énergétique et notamment l'électrification de l'automobile qui utilise de plus en plus de silicone", affirme le lyonnais Elkem, qui se prépare à investir 36 millions d'euros sur son site de Roussillon (Nord-Isère). A tel point qu'aujourd'hui, Frédéric Jacquin estime qu'une voiture sur six est équipée de ses silicones à travers le monde. (Crédits : DR/Nicolas Tourrenc Elkem)

Près de Lyon, le chimiste Elkem en est convaincu : « les silicones font déjà partie de la solution pour la réduction de l'empreinte carbone de nos sociétés, du véhicule électrique aux énergies renouvelables, en passant par la construction durable ou les villes intelligentes », affiche son directeur général, Frédéric Jacquin, mettant en avant les nombreuses propriétés de ce matériau, fabriqué à partir du sable : résistance aux hautes températures et aux intempéries, anti-adhérence...

Le chimiste lyonnais est d'ailleurs devenu l'un des rares acteurs mondiaux intégrés dans la production de silicones, avec des opérations allant de « la production à partir de quartz », jusqu'à « la synthèse des technologies silicones les plus avancées », en partie grâce à sa division sœur, Elkem Silicium.

Car après Rhône-Poulenc, puis Rhodia, le chimiste lyonnais était d'abord passé entre les mains du chinois Bluestar, avant que celui-ci ne choisisse de racheter également le numéro 2 du silicium mondial, le norvégien Elkem, en 2011. Depuis, la fusion des activités silicone d'Elkem et de Bluestar a donné lieu à Elkem Silicones, une société cotée en Bourse et dont le siège mondial demeure basé à Lyon.

« Nous sourçons le quartz en Norvège, France ou Espagne par exemple, à travers notre division sœur Elkem Silicium, qui transforme et purifie celui-ci pour en faire du silicium minéral, que l'on transforme ensuite dans notre brique de base, le siloxane sur notre site de Roussillon, qui est notre site amont pour l'ensemble de l'Europe et des Etats-Unis », expose Frédéric Jacquin, directeur général d'Elkem Silicones.

Avec ses 11 sites aval (héritiers de la branche silicones des groupes Rhône-Poulenc et Rhodia ndlr), Elkem transforme ensuite cette matière en plusieurs milliers de produits différents, qui lui permettent de couvrir l'ensemble des besoins de l'industrie : santé, automobile, cosmétiques, bâtiment, etc.

« Plus on électrifie de voitures, mieux ce sera pour notre business »

Ce n'est donc pas un hasard sur la plateforme chimique de Roussillon se retrouve au cœur de l'accélération du groupe :

« Notre croissance est tirée par la transition énergétique, et notamment l'électrification de l'automobile, qui utilise de plus en plus de silicone, à travers leurs câbles électriques ainsi que leurs batteries, où il est nécessaire de réguler la température et de protéger de l'humidité ». A tel point qu'aujourd'hui, Frédéric Jacquin estime qu'une voiture sur six est équipée de ses propres silicones à l'échelle mondiale.

Tandis qu'en moyenne, un véhicule électrique ou hybride comprendra ainsi trois à quatre fois plus de silicone qu'une voiture classique.

« Plus on électrifie de voitures, mieux ce sera pour notre business ». Elkem Silicones aurait-il donc trouvé la recette permettant de croiser à la fois les impératifs à la fois économiques et écologiques de la transition énergétique ? « On ne peut pas faire de transition verte avec des comptes de résultats dans le rouge », complète Frédéric Jacquin.

D'ailleurs, il observe que plus le pouvoir d'achat des populations augmente, et plus elles sont susceptibles de nourrir en retour son fichier clients : « il existe une corrélation étroite entre l'enrichissement d'une société et l'usage du silicone, puisque celui-ci promet une alternative plus écologique et performante que le plastique, qui provient du pétrole, mais aussi plus coûteuse, en vertu du procédé de fabrication lui-même. Car il est nécessairement plus compliqué de faire cuire de la pierre et la transformer en huile ».

Outre l'automobile, le silicone serait en passe de s'imposer sur un certain nombre de marchés : à commencer par celui des bâtiments autonomes en énergie (où on le retrouve dans les joints, double-vitrages, matériaux d'étanchéité, etc), mais également dans les semi-conducteurs, l'impression 3D, les dispositifs médicaux, le spatial, ou encore la défense... De quoi assurer une croissance de 6% du marché mondiale des silicones, que Frédéric Jacquin estime durable compte-tenu de la nature des besoins.

36 millions d'euros sur la plateforme de Roussillon

Résultat ? Elkem se prépare à investir 36 millions d'euros sur sa plateforme chimique de Roussillon (Nord-Isère) en vue d'augmenter à la fois sa compétitivité et ses capacités de production. Il ambitionne ainsi de passer ainsi de 20.000 tonnes à 80.000 à 100.000 tonnes produites à compter de septembre 2023. Une demande de subvention a d'ailleurs été déposée sur ce projet à France Relance, pour l'heure sans réponse à ce stade.

Alors qu'une grande partie des industries intensives pâtissent des coûts de l'énergie, ce n'est cependant pas le principal sujet du chimiste, puisque l'étape de transformation qu'il réalise aujourd'hui en France n'est pas la plus énergivore. « Pour nous, il est essentiel d'aller vite car l'industrie française a beaucoup d'atouts aujourd'hui et la croissance est déjà là », affirme Frédéric Jacquin.

Sa problématique n'est désormais « plus de trouver des clients, mais plutôt d'être suffisamment rapide dans le développement technologique et la mise en place de capacités, afin de répondre aux besoins exprimés. D'autant plus qu'il est de moins en moins possible de transporter les produits d'un endroit à l'autre du globe, avec des flux qui tendent vers la déglobalisation », souffle le directeur général.

Cet investissement lui servira d'ailleurs à améliorer son procédé réalisé en Nord-Isère, sur la partie de broyage en amont. Car à ceux qui parlent relocalisation, Elkem répond que le groupe a choisi de rester en France :

« Jusqu'ici, la France a toujours été compétitive pour la R&D grâce à des aides à l'innovation, qui ont permis à un groupe comme le nôtre de bénéficier d'une grande qualité en matière de recherche, en s'appuyant notamment sur les forces présentes en Auvergne Rhône-Alpes », annonce Frédéric Jacquin. Et d'illustrer ceci par un exemple qui peut paraître étonnant :

« Nous avons aujourd'hui deux centres de recherche de niveau mondial, l'un à Lyon et l'autre à Shanghai, et c'est le premier qui est le plus compétitif ».

Une feuille de route pour la neutralité carbone d'ici 2050

Une stratégie de croissance qu'il estime donc "compatible" non seulement avec les enjeux de transition énergétique, mais également avec sa nouvelle feuille de route, où le chimiste s'engage justement à « limiter l'augmentation de la température mondiale à un niveau nettement inférieur à 2°C - conformément à l'Accord de Paris - tout en poursuivant une croissance des ventes plus rapide que le marché, à un rythme de 5 à 10% par an ».

Pour y parvenir, il envisage entre autres de réduire ses émissions réelles totales de 28% entre 2020 et 2031, estimant que cela pourrait conduire à une amélioration moyenne de 39% de l'empreinte carbone de ses produits. Avec l'objectif à long terme d'atteindre la neutralité d'ici 2050.

Mais le silicone n'est pas tout à fait aussi vert qu'il n'y paraît : s'il n'est pas, à proprement parler dérivé de matières pétrosourcées puisqu'il est issu du sable, il utilise un intermédiaire de réaction chimique, le chlorométhyle, qui est lui-même dérivé du pétrole, et transformé à travers une réaction chimique réalisée à très haute température, et donc particulièrement énergivore.

Elkem travaille d'ailleurs, comme d'autres compétiteurs, sur des projets de recherche qui ont pris des allures stratégiques à ce sujet : « Tout l'enjeu sera aussi de travailler à l'amélioration des procédés de recyclage, notamment sous sa forme élastomère, qui demeure aujourd'hui plus difficile à recycler et qui nécessiterait un procédé de dépolymérisation », confirme Frédéric Jacquin. Elkem participe actuellement à un projet visant à réduire l'empreinte carbone moyenne de ses silicones d'au moins 65% grâce à un procédé de recyclage, chimique lui aussi.

Une problématique du recyclage qui intéresse largement

Contactée à ce sujet, L'ADEME Auvergne Rhône-Alpes n'a pas donné suite à nos demandes mais l'INSA de Lyon, par l'entremise du chercheur du CNRS François Ganachaud, constate en effet que la question du recyclage du silicone « est quelque chose de très en vue en ce moment, compte-tenu des volumes de production qui augmentent sensiblement. Tout le monde planche sur le sujet, des industriels aux acteurs de la recherche ».

Il cite notamment des travaux reposant à la fois sur procédés thermochimiques, « mais qui nécessitent de chauffer la matière à près de 300 degrés et d'utiliser des intermédiaires comme de la potasse caustique (l'hydroxyde de potassium), ou bien une méthode qui consisterait à brûler les silicones pour en extraire des céramiques. Certains évoquent des travaux visant un procédé à base d'enzymes, mais dont le fonctionnement demeure encore à prouver », complète-t-il.

Mais si la fin de vie de ce matériau, et notamment sa valorisation pour en extraire et recycler ses matières premières est étudiée, celle de son mode de fabrication est également en jeu, tout en demeurant à ce stade plus complexe à adresser : « Il existe des travaux visant à remplacer l'intermédiaire de réaction chimique en tentant de trouver des alternatives plus naturelles, mais qui restent à démontrer pour l'instant car il demeure pour l'heure difficilement remplaçable », ajoute le chercheur du CNRS.

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