Après le retournement du marché bio, L’Eau Vive cherche des fonds pour tourner la page

Une seconde période d’observation s’ouvre pour l’enseigne iséroise de magasins bio. Face à une conjoncture difficile marquée par l'inflation et une offre devenue trop importante par rapport au marché, L'Eau Vive, qui s'est placée sous la protection du Tribunal de Commerce de Grenoble, veut déployer un nouveau concept de magasins, avec des produits plus vertueux et qualitatifs. Pour cela, elle aura besoin de fonds : l'enseigne isérois débute donc une recherche active de financeurs et détaille le projet qui doit la remettre sur les rails.
L'Eau Vive, qui compte désormais 40 magasins (dont 27 en propre), a besoin de « plusieurs millions d'euros » pour tourner la page sur ces trois dernières années difficiles qui ont conduit le groupe isérois à se placer sous la protection du Tribunal de commerce de Grenoble en juin 2023.
L'Eau Vive, qui compte désormais 40 magasins (dont 27 en propre), a besoin de « plusieurs millions d'euros » pour tourner la page sur ces trois dernières années difficiles qui ont conduit le groupe isérois à se placer sous la protection du Tribunal de commerce de Grenoble en juin 2023. (Crédits : DR)

Prise de participation majoritaire ou ouverture plus limitée de capital, l'actionnaire majoritaire du réseau de magasins bio, Didier Cotte, est ouvert à toutes les options.

Dans tous les cas, L'Eau Vive a besoin de « plusieurs millions d'euros » pour tourner la page sur ces trois dernières années. Trois années difficiles pour le groupe isérois qui l'ont conduit, en juin 2023, à se placer sous la protection du Tribunal de commerce de Grenoble, dans le cadre d'une procédure de sauvegarde.

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Après une première période d'observation de six mois, le Tribunal de commerce a accordé à l'Eau Vive, il y a quelques semaines, une seconde période d'observation  reconduite jusqu'en juin prochain.

A cette échéance, trois options pourront s'ouvrir pour le réseau de distribution bio : une troisième période d'observation, une transformation en redressement judiciaire ou, et c'est bien ce que vise l'Eau Vive, une sortie par le haut de la sauvegarde, grâce notamment à l'arrivée au capital de potentiels nouveaux actionnaires.

Fermeture de 15 magasins ces derniers mois

L'enseigne, actrice pourtant pionnière de la distribution de produits bio depuis sa création en 1979, souffre depuis 2021. Une année qui a marqué le retournement du marché du bio en France après une décennie de croissance qui s'était conclue par une envolée forte pendant la crise Covid. Envolée retombée subitement, écrasée (notamment mais pas que) par l'inflation et les arbitrages de pouvoir d'achat auxquels ont dû se livrer les consommateurs.

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L'Eau Vive a vu son chiffre d'affaires se rétracter, passant de 48,7 millions d'euros en 2022 à 43,6 millions d'euros en 2023, revenant à son chiffre d'affaires de 2019. Face à la conjoncture, elle a entrepris de recentrer son réseau en fermant ses magasins les plus en difficulté. Alors qu'elle avait pu compter jusqu'à 70 boutiques à ses beaux jours (en propre et en franchise), elle s'appuie désormais sur une quarantaine d'établissements dont 27 magasins en propre, les autres étant des franchisés.

En 2022, elle a ainsi fermé quatre magasins (dont deux en propre) et 13 en 2023 (dont quatre en propre). Deux autres ont suivi le même chemin ce début d'année, à Echirolles en Isère et à Lyon. Le résultat net n'est pas communiqué mais s'est affiché en négatif sur 2023.

Le marché du bio au ralenti

Le réseau Eau Vive n'est pas le seul à traverser difficilement cette période post-covid. C'est tout le secteur du bio qui est aujourd'hui en position délicate.

« Elles n'ont pas toutes le même degré de difficulté, mais la grande majorité des enseignes spécialisées dans le bio sont en souffrance. Que ce soit Naturalia, La Vie Claire, Biocoop, Les Nouveaux Robinsons, etc. Toutes se sont trouvées confrontées à un brutal retournement de marché, certaines résistent mieux comme Biocoop mais toutes ont dû faire face à cette situation. C'est brutal mais l'offre était devenue trop importante par rapport au marché, les enseignes ont ouvert trop de magasins et trop vite », analyse Franck Rosenthal, expert en marketing du commerce.

Les chiffres pour toute l'année 2023 ne sont pas encore connus mais selon l'Agence Bio, le premier semestre 2023 a été marqué par une baisse de la consommation alimentaire bio des ménages de -2,7% (en valeur) par rapport au premier semestre 2022, un chiffre dont la profondeur est masquée en partie par la hausse des prix. Plus précisément, dans les magasins bio, qui détenaient 26,9% des parts de marché de l'alimentaire bio en 2022, la baisse de chiffre d'affaires s'était établie à -3,8% (contre -15,1% sur le premier semestre 2022 par rapport à la même période de 2021).

En synthèse, note l'Agence Bio dans son analyse du marché alimentaire, « les ventes des magasins spécialisés se sont encore repliées au premier semestre 2023 après le coup d'arrêt historique de 2022. Cependant, le recul est moindre que celui de l'année 2022 ».

Dans ce contexte, l'Agence Bio encourageait, en juin dernier, le circuit spécialisé bio à s'engager sur trois chemins : la différenciation (par l'innovation notamment) avec les grandes surfaces, la construction d'une gamme de prix large et équilibrée et le replacement du conseil au cœur des magasins.

« Revenir au cœur du bio »

C'est peu ou prou, justement, ce qu'entend mettre en place l'Eau Vive avec le nouveau concept de magasin qu'elle veut déployer sur l'ensemble de son réseau d'ici 2026 et pour lequel elle doit lever des fonds.

« Nous avons réalisé un travail très approfondi afin de bien comprendre les difficultés de l'enseigne et les évolutions des attentes des consommateurs. Nous voulons revenir à la base de ce qui avait fait le succès du bio et qui a pu être oublié pendant les années d'hypercroissance », explique Nicolas Penelle, tout nouveau directeur général de l'Eau Vive, nommé en début d'année après une longue expérience dans l'agroalimentaire notamment bio (directeur régional Lavazza, directeur de business Unit Daunat, DG d'Olga, de Reitzel, et dernièrement de Saint-Mamet).

Tout n'est pas encore clairement défini, et le sera avec les nouveaux partenaires financiers attendus, mais en synthèse, il s'agit de se repositionner comme un vrai spécialiste du bio, avec des produits plus qualitatifs, plus vertueux avec une traçabilité mieux identifiée, des produits moins transformés, assortis de ce que Nicolas Penelle appelle un « juste prix », à savoir un prix raisonnable pour le consommateur mais rémunérant correctement toutes les parties. Le tout accompagné d'une expérience clients revue, avec plus de conseils et la constitution de communautés locales via notamment la mise en place d'ateliers culinaires.

A court terme, les efforts de l'enseigne vont se concentrer sur le renforcement de l'offre fruits et légumes, frais et pains en s'appuyant sur son propre outil de production de pains et viennoiserie, situé dans les Alpes, et qui approvisionne l'ensemble de son réseau. Ces efforts devraient se traduire, prévoit l'enseigne, par un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros pour 2024, assorti d'un retour à l'équilibre.

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Une stratégie qui va dans la bonne direction selon Frank Rosenthal, même s'il souligne la difficulté actuelle des enseignes bio traditionnelles pour attirer des investisseurs :

« Les consommateurs comprennent la valeur ajoutée du bio en matière de santé et de préservation de l'environnement mais pour qu'ils acceptent d'acheter plus cher, en réseau spécialisé notamment, il faut aussi qu'ils y prennent du plaisir et qu'ils voient vraiment la différence avec les rayons bio des grandes surfaces ou, plus généralement, les autres rayons alimentaires. Et ça, les enseignes bio l'ont laissé trop longtemps de côté en proposant une expérience client trop sobre, parfois même trop militante qui peut effrayer des nouveaux consommateurs qui ne sont pas des archi fans du bio. Beaucoup de ces magasins ont en réalité du mal à faire vraiment du commerce mais ce n'est pourtant que comme ça qu'ils pourront attirer de nouveaux clients. On voit émerger des expérimentations retravaillant ce sujet de l'expérience client, et qui ont l'air de fonctionner comme Naturalia par exemple avec son concept la Ferme ».

Selon le 21e baromètre de perception et de consommation des produits biologiques en France, que vient de publier l'Agence Bio, 30% des Français consomment du Bio au moins une fois par semaine. C'est 4% de moins que sur le dernier baromètre 2023. Le prix étant le premier frein mais pas le seul : un Français sur deux exprime des doutes sur la véracité du bio. En raison de la multiplicité des labels et allégations commerciales, 62% estiment que le bio, c'est surtout du marketing.

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