Soyons honnêtes : la métropole de Lyon, pour n'évoquer qu'elle, avait repéré bien d'autres centres d'intérêt naturels dans la dot que lui apporta l'ex-Département du Rhône au moment de convoler le 1er janvier 2015. Pauvres, exclus, sans diplômes, "mal nés", réfugiés, "gueules cassées" par une existence jonchée d'accidents matériels ou affectifs... constituent une population à soutenir nettement moins "motivante" - au moins en apparence - qu'un écosystème composé d'étudiants, de professions dites intellectuelles et d'entreprises high tech. Investir dans la réparation et la catharsis plutôt que dans le développement et le rayonnement : qui donc pourrait y souscrire ?

Mais puisqu'il faut "faire avec", autant s'y investir de manière singulière et ambitieuse. Cette formule semble refléter l'état d'esprit de la gouvernance de la Métropole, si l'on en juge l'éventail des actions engagées ou en devenir, peut-être aussi la détermination et même la foi que d'aucuns y consacrent. D'un fardeau, veut-on et peut-on faire une opportunité ?

Un nouveau marqueur

Cette question est centrale pour cerner l'envergure des enjeux et la manière de les conduire. Mais aussi pour que la nécessité de faire profite à "celui", en l'occurrence à "celle" : la métropole de Lyon, qui s'en acquitte. Il est trop tôt pour établir une photographie précise de cette détermination, mais les pièces qui, dans l'effervescent monde associatif et aussi, de plus en plus, dans la sphère privée, commencent méthodiquement de prendre forme et de s'assembler pourraient, à terme, composer une mosaïque. Laquelle, alors, pourrait devenir un nouveau marqueur de l'agglomération. Un marqueur d'identité, autant intra qu'extra territorial, susceptible de constituer un complément de "réputation" aux traditionnelles filières du cinéma, de la gastronomie, des biotechs, de la pharmacie, du sport ou du numérique.

Susceptible aussi de nourrir un double sentiment d'appartenance et de fierté pour tout citoyen mais aussi toute entreprise - à l'égard de son corps social comme de ses clients - sensibles à une "cause humaine" différenciante et convaincus des vertus socio-économiques d'un tel "investissement."

Bon pour les territoires

Cette réflexion fait extraordinairement écho aux propos qu'Alain Touraine tient dans l'ouvrage Macron par Touraine (Editions de l'Aube, parution janvier 2018) présenté en avant-première dans le n°138 d'Acteurs de l'économie - La Tribune. A quoi le sociologue conditionne-t-il le "succès" du quinquennat du Président de la République ?

A la résurrection de ce qui fait cruellement, même dramatiquement défaut à l'action politique et plus globalement à la société française : le sens. Et ce sens, dans quel terreau exhorte-t-il Emmanuel Macron à l'ensemencer ? Dans l'universalisme des droits humains fondamentaux, dans la quête obsessionnelle d'une reconnaissance, d'une considération : celles de la dignité. "Voilà un vrai programme politique", soutient Alain Touraine, à même de réveiller au fond des consciences individuelles puis dans une dynamique collective, ce sens éteint par des décennies de compromissions et de lâchetés, d'indigence et d'abdication autant intellectuelles que morales. "Ce que j'ai réussi dans ma commune, ma circonscription ou ma région est un laboratoire pour la France", aiment à déclamer les élus locaux empreints ou rongés d'ambition nationale.

Pour une fois, ce qui serait "bon" pour la France ne pourrait-il pas l'être pour les territoires ?