Parc OL : le zoo des temps modernes

Le match retour en Turquie offrira-t-il le même spectacle, apocalyptique, que la confrontation aller à Lyon ? Alors que les joueurs de l'Olympique Lyonnais et de Besiktas s'affrontent ce jeudi 20 avril dans ce qui qualifie le mieux le football moderne : un combat, tous les enseignements du désastre une semaine plus tôt au Parc OL n'ont pas été tirés. Certains même dépassent le strict cadre d'un événement incroyablement mal géré, et questionnent le sens de la contribution publique à ces réminiscences des jeux du cirque. La société, dont les électeurs vont déterminer une partie de l'avenir dans trois jours, a-t-elle davantage besoin de santé, de culture, d'éducation ? Ou de terrains d'affrontements pour des humains capables de se transformer en "bêtes" ?

Ce soir, sur la pelouse du stade de Besiktas, ils vont livrer un combat. Oui, un combat pour préserver l'avantage du match aller et se qualifier pour les demi-finales de la Ligue Europa. Un combat pour faire face à la démesure d'une arène réputée pour la fureur de ses spectateurs. Un combat pour faire barrage aux ressentiments vengeurs de supporters co-coupables des scènes de guérilla qui émaillèrent la rencontre aller du 13 avril au Parc OL, et que le scrutin du 16 avril conférant à Recep Tayyip Erdogan les pleins pouvoirs et fracturant la société en deux aura un peu plus hystérisés. Enfin, un combat qui survient quatre jours après l'invraisemblable et insupportable scénario du stade bastiais de Furiani - tristement célèbre pour la catastrophe du 5 mai 1992 (18 morts, plus de 2 300 blessés) -, au cours duquel les joueurs lyonnais auront été victimes d'agressions perpétrées sur le terrain...et jusque par des officiels du club !

Démesure, fureur, vengeance, guérilla, agression... et donc combat : voilà le glossaire qui sied à la description du football au XXIe siècle. Et de devoir espérer pour les sportifs lyonnais qu'ils aient le courage nécessaire pour être à la hauteur dudit combat qui les attend, de trembler pour leur intégrité physique, fait froid dans le dos.

Effroi

Froid dans le dos : c'est aussi ce que les spectateurs du match aller à Lyon ont éprouvé tout au long d'une rencontre où les émotions rivalisaient : de l'incompréhension à la peur, du désarroi à l'effroi. Ce devait être un jour de fête ; ce ne fut que spectacle de tensions, de provocations, de bagarres, de haine. Il n'y avait qu'à observer les visages, les regards, les expressions, les attitudes des belligérants pour ressentir, un peu, de leur folie.

Pour qui siégeait près du fameux virage sud d'où éclatèrent les émeutes postérieures à celles qui quelques heures plus tôt avaient embrasé les extérieurs du stade, la moindre nouvelle étincelle semblait promettre le chaos total, semblait annoncer la reproduction de drames aussi effrayants que celui du Heysel. Ainsi cerné par des dizaines de milliers de guerriers, qui encerclaient à droite, à gauche, au-dessous, au-dessus, ainsi exposé aux fumigènes et aux bombes agricoles, ainsi vulnérable au moindre mouvement de foule cherchant qui à enflammer qui à fuir l'horreur, l'impression de suffocation envahissait.

Cratère

Suffocation mais aussi stupéfaction. D'abord devant une telle concentration de ce qui s'apparente à des bêtes humaines. Métamorphosés par l'événement, endoctrinés par les fantasmes ou l'irrationalité que représentent le pouvoir et la puissance, l'exhibitionnisme et le narcissisme du football professionnel, trouvant dans le stade l'exutoire de leurs frustrations personnelles et l'opportunité d'exprimer leur ennui, leur insatisfaction, leur haine, et surtout leur absolue débilité, ces individus coupables de comportements animaux - qui heureusement ne reflètent pas l'ensemble des supporters, faut-il le rappeler - sont-ils révélateurs de la civilisation contemporaine ?

Ils le sont en tous les cas des syndromes du football moderne, qui mêle sous la même bannière affective du club : des promoteurs mercantiles et habiles "réinventeurs" des antiques jeux du cirque, des joueurs rémunérés individuellement l'équivalent de 250 infirmières ou enseignants, des supporters pour certains rivés à des quotidiens désolants et à des avenirs sombres, espérant cultiver dans celles d'un club l'identité et la reconnaissance perdues dans la société. De quoi assurer à l'arène d'être un cratère, d'où jaillissent de temps en temps des éruptions aussi dévastatrices que celle du 13 avril à Lyon.

Comptes à rendre

Ce jour-là, ils portaient des tuniques blanches (lyonnaise) et noires (stambouliote), ils s'acharnaient indistinctement sur les "ultras" adverses et les paisibles familles, ils avaient été "incroyablement" mélangés dans les travées du stade, ils rajoutaient à la rivalité sportive (sic) celles de l'identité, de la nationalité, de la religion, et des idéologies politiques. Ainsi les ultra turcs, culturellement très à gauche, surplombaient les ultra lyonnais du virage sud, extrêmement à droite. Pour qui était contraint de cohabiter avec ce spectacle, l'oppression était à son comble. Insupportable.

La stupéfaction était donc aussi d'ordre "organisationnel" : comment dans un stade aussi moderne et censé avoir tiré les enseignements de tous les manquements sécuritaires passés, il était possible de permettre une telle configuration, de laisser passer des spectateurs munis de fumigènes, d'autoriser certains d'entre eux à forcer les barrages ? Les dirigeants de l'Olympique lyonnais - duplices et partiaux au moment de juger les faits - tout comme les pouvoirs publics devront rendre des comptes. Et peuvent se réjouir qu'une fois encore, l'issue du spectacle soit miraculeusement circonscrite à des dégâts matériels et à quelques hématomes.

600 millions d'euros...

Mais, au-delà, c'est le sens et l'utilité mêmes de cette aussi magnifique que démesurée infrastructure du Parc OL qui peuvent poser question. L'édification du stade et de ses accès aura coûté 600 millions d'euros : 410 M€ apportés presque exclusivement par le club (135 M€ de fonds propres, 112 M€ d'émissions d'obligations et 145 M€ d'emprunts auprès des banques) pour la construction de l'enceinte, et 200 millions d'euros financés par les collectivités territoriales pour l'accessibilité. Passent les 410 premiers millions, qui concernent la seule responsabilité économique et morale des actionnaires et des dirigeants du club - auxquels il faut reconnaître une audace et une vista entrepreneuriales hors du commun. Mais les 200 autres millions...

... dont 200 publics : quel sens ?

200 millions d'euros publics, c'est-à-dire supportés par les contribuables, pour permettre certes l'édification d'un symbole fort de l'agglomération, d'un levier d'identité et de visibilité significatif, et d'un possible gisement d'emplois pérennes ; mais aussi pour favoriser l'organisation de spectacles aussi désolants, pour bâtir une sorte de zoo où s'affrontent des individus guère plus "cérebrés" ou guère moins sauvages que certains animaux le peuplant habituellement, posent bel et bien question.

Particulièrement dans le contexte politique du "moment" du scrutin présidentiel, que cristallisent la menace d'abstention élevée, le risque de victoire populiste et extrémiste au premier tour, la volatilité et l'indécision des intentions des électeurs désarçonnés par la superficialité de la campagne, par la faible visibilité des programmes, par l'ampleur des "affaires". Ou plus exactement par le sentiment que la "compétence politique" aussi bien domestique qu'internationale pèse de moins en moins sur la détermination et la mise en œuvre desdits programmes - lesquels ont été d'une consistance et d'un intérêt en réalité plutôt grands, proposant un véritable éventail de projets de société.

Financer le sport. Mais pas n'importe lequel

Une menace, un risque, une volatilité, une indécision qui traduisent aussi et surtout un moment de l'histoire contemporaine où l'absence de sens et d'utilité, notamment de la "chose publique", est criante. La mondialisation matérialiste, marchande, consumériste détournant de l' "essentiel", la population est d'autant plus en droit d'espérer des institutions publiques qu'elles affectent leurs arbitrages budgétaires sinon à "compenser" cet état de fait, au moins à servir véritablement l'intérêt général, là où il contribue aussi à cimenter le faire commun, les citoyennetés individuelles et collective : la santé, l'éducation, la connaissance, la culture. Et le sport. Mais le sport lorsqu'il émancipe, révèle, fait grandir, rassemble. Pas lorsqu'il abrutit, abêtit, divise, ensorcelle, détruit.

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