Territoires Zéro Chômeur : à l’aube de l’élargissement du dispositif, EmerJean "a réussi à capter 25% de son public"

Il a fait partie des dix premiers territoires expérimentaux depuis le lancement du dispositif. A Villeurbanne, le quartier Saint-Jean dispose, depuis début 2017, de son projet Territoires Zéro Chômeur Longue Durée (TZCLD) qui a donné lieu à la création de la société EmerJean. Alors que le gouvernement a annoncé la généralisation de ce dispositif à 60 nouveaux territoires d’ici cet automne, quel a été l'impact de la société à but d’emploi (EBE) EmerJean, créée spécifiquement a cette occasion ? Réponse en chiffres.
« L'ambition de ce projet était d'innover dans la résorption du chômage de longue durée, à travers une approche micro territoriale, engagée au sein d'un quartier de 4.000 habitants, et en mobilisant directement les compétences des demandeurs d'emploi », rappelle le fondateur d'EmerJean, Bertrand Foucher.
« L'ambition de ce projet était d'innover dans la résorption du chômage de longue durée, à travers une approche micro territoriale, engagée au sein d'un quartier de 4.000 habitants, et en mobilisant directement les compétences des demandeurs d'emploi », rappelle le fondateur d'EmerJean, Bertrand Foucher. (Crédits : DR)

Son objectif n'était pas moins que de « supprimer le chômage de longue durée dans les territoires qui se mobilisent pour développer le plein emploi volontaire ». Comme neuf autres territoires sélectionnés durant la première vague de l'appel à projets Territoires Zéro Chômeur de longue durée (TZCLD), le quartier Saint-Jean de Villeurbanne nourrissait de grandes ambitions.

Il faut dire que sur place, le taux de chômage de longue durée (12%) était quatre fois plus élevé que la moyenne de la commune lors du lancement de l'expérimentation.

Car si Villeurbanne, 19e ville de France avec ses 150.659 habitants, comptabilisait déjà 18.320 personnes en situation de chômage (toutes catégories confondues) en juillet 2019, contre 17.520 en juillet 2021 post-crise sanitaire selon les chiffres de l'INSEE, les données du quartier Saint-Jean le plaçaient en effet comme un quartier prioritaire. Avec, pour 4.265 habitants, près de 400 personnes considérées en situation de chômage longue durée (de plus d'un an).

Près de cinq années plus tard, alors qu'un vote à l'Assemblée nationale a acté de l'élargissement du dispositif, passant de 10 à 60 zones, il est temps pour Bertrand Foucher, président de cette société à but d'emploi (EBE) EmerJean, de partager son premier bilan.

A l'échelle nationale tout d'abord, ce sont près d'un millier de CDI qui ont ainsi été créés par les treize structures de l'économie sociale et solidaire créées spécifiquement pour le dispositif Territoire Zéro Chômeur. Comme EmerJean, elles ne ressemblent à aucune autre puisque l'Etat leur a octroyé un statut particulier : ces « entreprises à but d'emploi » (EBE), fonctionnent majoritairement sous statut associatif, avec des salaires dont le financement est assuré par la réaffectation des indemnités de chômage ou du RSA. Et une vocation : proposer des services non couverts par le secteur privé, au sein des bassins d'emploi concernés.

« Le quartier Saint-Jean était un bon terrain d'expérimentation, car il existait sur place un engagement politique fort, porté par la première adjointe qui a su fédérer l'ensemble de la société civile et du tissu des entreprises locales au sein de ce projet », explique Bertrand Foucher, président de la société à but d'emploi (EBE) EmerJean.

« On y croisait également plusieurs enjeux puisque que le quartier se trouve en plein renouvellement urbain, avec l'arrivée prochaine du T9, la réhabilitation et création d'une nouvelle ZAC... Mais cela ne résolvait pas les problématiques sociales pour autant ».

90 salariés, et une cinquantaine de recrutements

Alors que les candidatures issues des quatre coins de la France affluent depuis quelques semaines pour élargir l'expérience (près de 161 dossiers seraient en cours de préparation dont 8 en zones lyonnaise comme Lyon 8, Givors-Grigny, Lyon, Rillieux-la-Pape, Saint-Fons, Vénissieux ou à nouveau Villeurbanne), l'EBE créée à Villeurbanne dès 2017 affiche sa satisfaction : elle compte désormais près de 90 salariés en CDI, tous anciens chômeurs du quartier Saint-Jean.

Avec près de 100 personnes déjà passées par le dispositif depuis son démarrage, et une cinquantaine de nouveaux recrutements envisagés d'ici les 18 prochains mois, le dispositif va conduire à la création de deux nouvelles entités EBE pour absorber ces développements.

Pour le maire (PS) de Villeurbanne, Cédric Van Styvendael, dont la première adjointe Agnès Thouvenot était à l'initiative du projet avant son arrivée -et qui a pris en charge la rémunération de chargés de projet afin d'accompagner ce dispositif-, son impact est incontestable :

"Lors de son démarrage, nous avions estimé à 400 les personnes privées d'emploi en ajoutant celles inscrites à Pôle Emploi, à la Mission locale et celles qui n'étaient inscrites nulle part. Or, l'EBE a permis de rediriger vers l'emploi une centaine de personnes. On peut dire que notre dispositif a touché 25% de sa cible !".

Difficile de mesurer selon lui les impacts collatéraux positifs, comme le fait d'avoir profité de ce dispositif pour réorienter des demandeurs vers d'autres programmes.

De son côté, Pôle emploi Auvergne Rhône-Alpes, que nous avons contacté, confirme de son côté que le dispositif TZCLD "fonctionne", rappelant qu' "Emerjean continue à renforcer ses équipes avec des perspectives d'embauche sur la fin de l'année 2021 et l'année 2022, qui sont soumises au développement de nouvelles activités." Ses conseilleurs de l'agence de Villeurbanne interviennent notamment sur le sourcing des demandeurs d'emploi et la mobilisation d'aides au recrutement, comme la Préparation Opérationnelle à l'Emploi (POE).

Le taux d'échec de TZCLD serait même, selon Bertrand Foucher, très faible : « Nous avons dû procéder à quelques licenciements, mais ils se comptent sur les doigts d'une main, uniquement dans des cas graves et en dernier recours ».

Et pourtant : l'idée de l'expérimentation est bien de proposer des emplois en CDI au SMIC sans sélection, en construisant sa fiche de poste en fonction de deux critères : les compétences du candidat d'une part, et les besoins du territoire de l'autre.

Réaffecter les enveloppes destinées au chômage longue durée

Son modèle économique repose aussi sur un levier inédit : la réaffectation des enveloppes destinées au chômage et au RSA, pour couvrir les deux tiers des dépenses générées par l'EBE, qui complète ainsi le tiers de son budget restant par le chiffre d'affaires réalisé à travers ses prestations de services.

« Nous proposons ainsi des services à une trentaine d'entreprises et collectivités, dont des TPE mais aussi des grand groupes, allant des activités de blanchisserie à l'accompagnement à la transition écologique, de la conciergerie de quartier, du soutien scolaire, de la retouche couture... », détaille Bertrand Foucher, dont l'entreprise créée n'a ainsi plus une seule mission, mais « un double objectif de répondre aux besoins de son territoire, tout en créant de l'emploi ».

« L'idée étant de se demander si l'on préfère avoir du chômage de longue durée, dont le coût n'a jamais diminué, ou bien de dépenser collectivement l'équivalent de 18.000 euros par an et par poste ».

Même s'il est conscient que le modèle est toujours sujet à débat, le président d'EmerJean rappelle qu'une étude a été commandée au sein du dispositif TZCLD afin de déterminer quel est le coût réel de la privation d'emploi et des dépenses à couvrir.

« Nous sommes engagés dans une seconde phase de cette expérimentation amenée à se prolonger sur les cinq prochaines années, et dont l'enjeu sera de parvenir à pérenniser notre mode de financement », ajoute-t-il.

Pour autant, Bertrand Foucher rappelle que ce dispositif ne constitue pas « une aide » ou une « indemnité » aux personnes concernées, qui disposent au contraire d'un statut de salarié au sein d'une EBE, dont l'activité est apparentée, aux yeux de l'Etat, à celle d'une entreprise classique. « Il ne s'agit pas d'assistanat ni de charité, car ce dispositif remet justement les personnes en difficulté au cœur du travail ».

L'avenir est envisagé d'ailleurs sous différentes formes : au cœur de l'EBE pour ceux qui souhaitent y demeurer, mais aussi en dehors, pour ceux qui veulent s'en servir d'une passerelle pour rejoindre ensuite le secteur privé, une expérience en poche.

Un levier pour transformer le monde de l'entreprise ?

Pour mettre sur pied ce projet, près de 70 parties prenantes ont participé au montage du dossier. Une « coalition » territoriale, rassemblant collectivités, services de l'emploi, bailleurs sociaux, PME, entreprises sociales, etc et sans laquelle le président d'EmerJean estime que le dispositif n'aurait jamais pu aboutir.

Selon lui, une telle démarche commence même à faire bouger les lignes dans le monde du recrutement : « J'ai reçu le dg de Leroy Merlin qui, après être venu visiter l'entreprise, s'est aperçu que l'organisation du travail et les modes de recrutements pouvaient répondre à une partie de ses propres problématiques, sur un marché du travail où les entreprises passent beaucoup de temps à devoir sélectionner des compétences, conserver des personnes en poste, etc. L'EBE peut donc constituer un levier pour transformer aussi le monde de l'entreprise ».

De là à dire que TZCLD peut être, comme certains l'espèrent, une réponse à la question du chômage longue durée ? « Il est un peu prématuré de répondre à cette question, qui concerne près de 5 millions de personnes au total, avec seulement 1.000 emplois créés à l'échelle nationale. Pour autant, c'est une manière de démontrer que tout le monde est employable et que chacun peut avoir sa place si l'on s'intéresse à ce que les personnes savent et peuvent faire ».

D'ailleurs, le maire de Villeurbanne est déjà candidat à une seconde expérimentation au sein du dispositif TZCLD, sur le quartier des Brosses, qui compte quant à lui près de 5.000 habitants.

Des oppositions locales

Récemment, une sortie de la CGT a pourtant fait grand bruit à ce sujet, puisqu'un communiqué de l'antenne lyonnaise s'avérait très critique vis-à-vis d'un projet de Territoires Zéro Chômeur, qui pourrait voir le jour dans le 8e arrondissement de Lyon.

Selon l'union locale, « les tâches effectuées (...) relèvent des agents territoriaux ou du tissu économique déjà présent localement" alors que celle-ci souhaiterait plutôt une "embauche massive dans les entreprises publiques ou privées du territoire".

Elle dénonce également l'absence de convention collective au sein des Entreprises à but d'emploi (EBE) ainsi que le financement du dispositif par les organismes publics. « Cette position n'est pas partagée par l'ensemble de la CGT, puisque son président, Philippe Martinez, a plutôt été un fervent soutien au dispositif. La CGT fait par ailleurs partie du comité local depuis le début aux côtés d'autres syndicats », affirme pour sa part Bertrand Foucher.

Quant à l'absence de convention collective évoquée, il précise en effet qu'il n'existe pour l'heure aucun document de ce type compte-tenu du caractère multi-activités de l'EBE, mais qu'un travail national a été lancé afin de négocier des accords-cadres à ce sujet.

De son côté, le président LR de la Région Auvergne Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, qui a fait du "travail" un marqueur de son second mandat, ne partage pas non plus l'intérêt d'un tel programme, sur lequel il a émis de fortes réserves lors d'une interview récente à La Tribune.

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