En Auvergne-Rhône-Alpes, le fret ferroviaire pâtit encore de multiples freins au démarrage

Fer de lance dans la décarbonation des transports, le rail est également remis au goût du jour depuis quelques années dans le secteur de la distribution des biens. L'objectif fixé par l'Etat l'année dernière : atteindre une part modale de 18 % d'ici à 2030 dans l'Hexagone, en doublant le transport de marchandises en train. Un objectif cependant difficile à atteindre au regard de plusieurs points de tension : jugé encore peu attractif par les entreprises, le développement du fret pâtit aussi de la fermeture de la ligne ferroviaire franco-italienne et de la lente arrivée de nouvelles infrastructures. Exemple en Auvergne-Rhône-Alpes.
Inflation, mouvements sociaux, fermeture de la voie ferrée entre la France et l'Italie, discontinuité de Fret SNCF : 2023 a été une année noire pour le fret ferroviaire en France, revenu à son plus bas niveau depuis 1980 selon l'Autorité de régulation des transports.
Inflation, mouvements sociaux, fermeture de la voie ferrée entre la France et l'Italie, discontinuité de Fret SNCF : 2023 a été une année noire pour le fret ferroviaire en France, revenu à son plus bas niveau depuis 1980 selon l'Autorité de régulation des transports. (Crédits : Reuters)

Sobre, transeuropéen : si le fret ferroviaire a, sur le papier, de nombreux atouts afin de réduire l'impact carbone de la distribution et des échanges commerciaux, il souffre encore de grandes difficultés au démarrage sur le territoire français.

En Auvergne-Rhône-Alpes, région traversée par plusieurs axes forts, dont deux corridors européens (Édimbourg-Marseille et Madrid-Budapest), la question agite les acteurs publics et économiques qui se sont réunis pour la première fois en juin dernier à l'occasion d'un événement nommé « Régio Fret ».

L'objectif : identifier et enclencher des leviers afin de passer à la vitesse supérieure dans la première région industrielle de France. Et remplir l'objectif fixé par la loi Climat et Résilience : doubler la part du fret ferroviaire d'ici à 2030, afin d'atteindre une part modale de 18 %. Notamment en s'adressant aux entreprises afin de les inciter à passer le cap du transport ferroviaire de marchandises (un train représente environ 40 camions), malgré des contraintes persistantes.

En dix ans, le transport de marchandises divisé par sept dans la Plaine de l'Ain

Car pour elles, le fret ferroviaire peut encore sembler trop peu attractif en matière économique et de flexibilité, comme le remarque Emilie Brot, directrice générale du Parc d'activités de la Plaine de l'Ain (PIPA), regroupant 185 entreprises et 7.900 emplois à une demi-heure de Lyon : « Il existe un certain nombre de freins qui empêchent les entreprises de se projeter et passer le cap », estime la directrice générale du parc d'activité, par ailleurs propriétaire de 27 kilomètres d'une voie non électrifiée entre Saint-Denis-en-Bugey et la centrale nucléaire, située à Saint-Vulbas (Ain).

Voie à laquelle sont sous-embranchées 24 entreprises, dont seulement trois utilisent le rail comme mode de distribution de leurs marchandises, à raison d'environ 131.000 tonnes de biens transportés en 2023, en très grande majorité par l'entreprise Ceva Logistics.

Des quantités divisées par sept en dix ans, puisqu'en 2013, plus de 900.000 tonnes de marchandises étaient distribuées par le rail sur cette ligne traversant le PIPA.

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Une chute libre expliquée selon Emilie Brot par l'équation économique et logistique d'abord, mais aussi une certaine idée des « contraintes » liées à ce mode de transport. « Un train a besoin d'un volume et d'une régularité, mais ne peut pas gérer une saisonnalité. C'est une service intrinsèquement moins flexibles que le transport routier », constate-t-elle.

Un premier élément auquel s'ajoute la question des espaces de stockage disponibles pour les entreprises au moment du déchargement des matières premières et des marchandises et, derrière, du besoin de main d'œuvre qualifiée. Mais aussi de la maîtrise du transport, parfois délégué à d'autres organismes. Tandis que les coûts restent un frein face à ceux du transport routier.

Autant de facteurs ne facilitant pas, pour le moment, l'attractivité du rail selon la directrice général, qui relève également « le manque d'accompagnement et de connaissances face aux solutions existantes », ainsi qu'une certaine « image assez négative » des chargeurs vis-à-vis des entreprises ferroviaires. Notamment en raison de certains « désengagements » de l'Etat ces dernières années.

Une année 2023 « catastrophique » selon Fret SNCF

En effet, les transporteurs sortent d'une année 2023 particulièrement tumultueuse, marquée par le contexte inflationniste et les mouvements de grèves contre la réforme des retraites. Mais aussi, plus spécifiquement en Auvergne-Rhône-Alpes, l'éboulement d'août dernier en Maurienne (Savoie), ayant fait reculer de 12 % les trafics internationaux selon l'Autorité de régulation des transports.

Autant d'éléments qui ont marqué, en conséquence, « une chute annuelle de près de 17 % » du trafic de fret ferroviaire en 2023. Soit « le plus bas niveau depuis 1980 », ajoute l'autorité indépendante.

De même, l'opérateur historique national, Fret SNCF (50 % de parts de marché, 13 Mds de T/km transportées en 2023), est particulièrement affecté par la mesure de discontinuité mise en place par l'Etat en réponse à l'annulation de sa dette financière de 5,3 milliards d'euros, comprenant des aides et des avances de trésorerie versées entre 2007 et 2019 et estimées non conformes aux règles de l'UE par la Commission européenne.

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Une décision lourde de conséquences pour l'opérateur, qui doit céder à ses concurrents dans le courant de cette année 23 lignes de transport par fret et son activité de trains entiers, la plus rentable du secteur, pour se concentrer sur les wagons isolés, comme nous l'indiquions dans cet article publié fin 2023.

Un scénario noir, à la sortie d'une année déjà « catastrophique » souligne Gilles Cattani, directeur du développement chez Fret SNCF. L'opérateur, qui transporte près de 26 trains par semaine entre Sibelin (au sud de Lyon, dans la Vallée de la chimie) et Miramas (Bouches-du-Rhône), fait ainsi face à de lourdes incertitudes, mais continue à plancher sur le développement de certaines activités.

« Personnaliser » autant que possible l'offre de train

Car les plus grandes marges de manœuvre concernent les secteurs de la grande distribution et des biens de consommation estime Gilles Cattani, qui a monté en 2021 une équipe de douze prospecteurs autour de lui afin de s'adresser à ces marchés.

Il cite ainsi l'exemple d'un magasin d'une chaîne de la grande distribution qui n'a pas souhaité s'engager en raison d'un investissement « de 80.000 euros » sur son site.

Pour persuader ces entreprises, l'opérateur propose par exemple des études gratuites afin d'analyser les différents modes de transports adoptés (avec accord de confidentialité sur les données), et ce qui est susceptible d'être transporté en train. Sur 600 études réalisées chaque année par Fret SNCF, environ 7 % sont contractualisées.

« Il faut analyser la supply chain et donner des éléments aux entreprises, par exemple en regardant si les wagons qui sont chargés dans un sens peuvent l'être dans l'autre avec un autre client », détaille Gilles Cattani, qui estime par ailleurs que la « clé » réside en partie dans la personnalisation de l'offre ferroviaire. Du moins, autant que possible.

« Il faut aller écouter les gens, il faut essayer de montrer que finalement le transport routier et le transport ferroviaire ne sont pas si éloignés, même si le ferroviaire ne fera jamais aussi bien que la route en matière de flexibilité. Mais il possède bien d'autres avantages: le train consomme 14 fois moins de CO2 que la route. À l'avenir, le carbone vaudra plus d'argent qu'aujourd'hui, car des taxes devraient arriver », complète le directeur de projets.

En Auvergne-Rhône-Alpes, le transport de marchandises représente 13,5 % de l'ensemble des émissions de CO2 de la région.

Redynamiser les embranchements particuliers

Pour cela, encore faut-il réinvestir dans les infrastructures ferroviaires publiques comme privées, nécessitant l'alignement de multiples acteurs. Car « le monde du transport a été fait pour la route depuis 30 ou 40 ans, ajoute Gilles Cattani. Ce n'est donc pas en cinq ans que l'on rattrapera les quinze années de non-investissement dans les embranchements particuliers des entreprises ».

En attendant, une solution reste privilégiée : réaliser les derniers kilomètres en camions entre une plateforme de transfert du fret ferroviaire vers la route et les entreprises. Un transfert qui coûte en moyenne « +15 % sur la note » selon Fret SNCF, ce qui rend « le mode de transport ferroviaire moins compétitif ».

« Maintenant, nous plébiscitons les associations avec des transporteurs, des logisticiens, des entreprises qui sont embranchées pour pouvoir faire des transferts non loin des zones importantes », complète le directeur des projets de Fret SNCF, qui cite l'exemple de la plateforme fret de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), sur laquelle une « une action forte est menée avec la Préfecture et SNCF Réseau ».

Conçue en 1971 afin de développer le fret par le rail depuis plusieurs grands entrepôts logistiques aux portes de Lyon (parc d'activité de Chesnes), cette zone composées de 33 embranchements ferroviaires n'en compte plus que deux actifs selon Gilles Cattani : « Il y a des voies-mères qui ne sont pas entretenues, dans une zone qui est tout de même la première zone commerciale de France en termes de logistique, avec près de 2 millions de camions par an, soit près de 8.000 par jour ».

Désengorger le nœud ferroviaire lyonnais

Dans la région, de multiples zones sont dans le même état. À ce jour, SNCF Réseau dénombre une centaine d'industries embranchées en Auvergne-Rhône-Alpes. Béatrice Leloup, directrice territoriale de SNCF Réseau dans le quart Sud-est, qui fait « le trait d'union » entre les orchestrateurs de flux, identifie pour sa part plusieurs axes de développement.

Le premier, à court ou moyen terme, concerne notamment la réouverture annoncée à l'automne de l'axe franco-italien passant par Saint-Jean-de-Maurienne et Modane (Savoie), fermé depuis près d'un an en raison d'un grave éboulement.

De même, à plus long terme, le développement du réseau passera irrémédiablement par le désengorgement de l'étoile ferroviaire lyonnaise, qui concentre à ce jour la plupart des trafics Nord-Sud et Est-Ouest, à raison de 1.200 passages par jour dénombrés en 2021 (dont 600 TER, et plus de la moitié des TGV circulant chaque jour dans l'Hexagone). Le transport de marchandises représente, quant à lui, 10 % des trafics à Lyon en heure de pointe.

« Nous travaillons sur des projets de développement avec la création d'infrastructures nouvelles qui permettront à moyen et long terme de faire circuler encore plus de trains », complète Béatrice Leloup. « C'est notamment le cas du projet de contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise, qui vise à contourner Lyon et ainsi redonner de la capacité au sein de l'étoile ferroviaire pour les autres modes de transport ».

Enfin, un troisième point fort concerne l'articulation entre le lent développement de l'axe fluvial Méditerranée-Rhône-Saône (dit MERS, allant des ports de Sète et de Toulon, en passant par Marseille/Fos-sur-Mer jusqu'à la Bourgogne) et celui du fret ferroviaire, dans l'objectif d'investir dans des infrastructures de report modal.

Si l'actualité politique récente a empêché la tenue, prévue le 3 juin, du dernier Conseil de coordination interportuaire et logistique de l'axe MERS, plusieurs éléments se sont déjà dégagés des précédents échanges du mois de décembre 2023 entre les pouvoirs publics. Dont l'émergence du principe de « non-discrimination des coûts de manutention », afin d'harmoniser les coûts des différents modes de transports (comme le fait déjà Dunkerque). Ou encore des travaux sur le développement du trafic conteneurs, mais aussi un travail sur le schéma directeur de l'axe et sur le catalogue foncier lors d'implantation d'entreprises.

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