Gravir ensemble des sommets

Sous l'œil lumineux et généreux du parrain de la cérémonie Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, huit entrepreneurs régionaux ont été distingués, mercredi 13 juin dans le cadre du Salon des entrepreneurs de Lyon, lors de la 12e édition du Prix de l'esprit d'entreprendre, organisée par Acteurs de l'économie-La Tribune, en partenariat avec emlyon business school. Qu'ils éduquent, mobilisent, partagent, révolutionnent ou rebondissent, chacun donne du sens à son engagement. Des lauréats aux parcours singuliers qui forcent l'exemple et invitent à la réflexion sur la place de l'esprit d'entreprendre dans nos sociétés.
(Crédits : Laurent Cerino / ADE)

"Replacer l'entreprise au cœur de la vie politique et sociale." C'est le souhait qu'a formulé Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, en préambule du Prix de l'esprit d'entreprendre 2018. Un souhait en forme d'exhortation qui marque profondément la trajectoire des sept lauréats de cette nouvelle édition que le dirigeant présidait.

Révolutionner, mobiliser, éduquer, rebondir, partager, enrichir, créer... autant d'engagements affirmés par une sélection d'entrepreneurs atypiques portés par l'ambition de répondre aux défis de notre société. "Replacer l'entreprise au cœur de la vie politique et sociale." C'est également tout le sens de la réflexion menée par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat dans un rapport mandaté par le gouvernement.

"Nous voyons se développer des mouvements assez radicaux qui prospèrent sur une forme de méfiance envers l'entreprise. Si cette confusion perdure, alors nous nous préparons à un avenir assez compliqué. C'est ce qui m'a décidé à agir pour changer le regard sur l'entreprise, avance le président de Michelin.

Montée du populisme, dérive du capitalisme, durcissement de l'organisation du commerce mondial, etc. Le contexte actuel rend l'exercice de l'entrepreneuriat particulièrement difficile. Mais Jean-Dominique Senard a tenu à saluer le courage des dirigeants présents : "Il faut être solide pour tenir le cap." Dans ce rapport co-écrit avec l'ancienne secrétaire générale de la CFDT, le président du géant mondial du pneu y défend un libéralisme apaisé.

Et exhorte les membres de l'Union européenne à se ressaisir :

"Je ressens une forme de révolte qui me fait penser que nous ne sommes pas à la hauteur. Si l'Europe continue dans cette voie, nous allons être broyés par des pays qui n'ont aucun scrupule à venir imposer leurs lois. Nous, chefs d'entreprise, avons un rôle à jouer. Il faut s'engager !"

S'engager, quitte à bousculer les codes, un déterminisme que mène avec passion Arnaud Meunier, directeur de la Comédie de Saint-Etienne (prix Révolutionner). Ce diplômé de Sciences-Po dirige une quarantaine de salariés et gère un budget de 6,5 millions d'euros :

"Mon quotidien consiste à animer une ruche de comédiens créatifs. Je suis entrepreneur, mais je reste avant tout metteur en scène."

Arnaud Meunier a bousculé le monde du théâtre en créant il y a quatre ans un programme en faveur de l'égalité des chances dans les écoles d'art dramatique :

"Chaque année, nous sélectionnons des jeunes sur entretien de motivation et critères sociaux pour les aider à préparer les concours."

Depuis, 18 d'entre eux ont été admis dans l'une des neuf prestigieuses et très sélectives écoles nationales d'art dramatique. "Nous en sommes très heureux. L'égalité des chances fait partie de la responsabilité sociale de l'entreprise."

Eduquer à entreprendre

Mobiliser : "C'est un défi quotidien", assure Jean-Dominique Senard. Roger Blanc, président d'honneur du Sommet de l'élevage de Clermont-Ferrand (prix Mobiliser), a réussi ce challenge.

En pleine crise de la production laitière, il a su rassembler toute une filière pour la sauvegarder. Il est parvenu à fédérer responsables professionnels et producteurs de lait pour valoriser le savoir-faire du secteur de l'élevage.

"Avec l'instauration des quotas laitiers, nous ne pouvions plus développer notre production. Il fallait trouver le moyen de valoriser et de faire connaître notre métier", explique l'éleveur auvergnat, fondateur du sommet.

En moins de 30 ans, l'événement est devenu un rendez-vous incontournable qui fait rayonner son territoire dans le monde entier, de l'Iran à Cuba en passant par la Mongolie. Mais le challenge le plus déterminant pour préparer les futures générations d'entrepreneurs demeure l'éducation.

"Il est essentiel de plonger nos jeunes le plus tôt possible dans le monde économique", affirme le président de Michelin. Un défi relevé par Véronique Rizzi. Co-fondatrice d'Imagineo (prix Eduquer), elle encourage le pouvoir d'agir des jeunes. Son association stimule l'esprit critique des enfants :

"Nous travaillons sur la notion d'engagement citoyen. Nous devons préparer la nouvelle génération à passer de la consommation à la contribution. Nous voulons rendre les enfants auteurs de leur vie, acteurs de la société, en faisant émerger des initiatives de quartier. Toutes ces démarches permettent à chacun de développer des idées en groupe. Eduquer devient alors synonyme d'accompagner. C'est être bienveillant envers soi-même et les autres pour grandir, faire face aux défis de demain, oser se tromper pour mieux rebondir", affirme la docteure en psychologie.

Rebondir, parce que la vie est faite d'inattendus et d'échecs. "Il y a une crispation dans notre société autour de la peur de faire une erreur", regrette Jean-Dominique Senard qui a imposé dans son groupe "le droit pour tous à une seconde chance".

L'association 60 000 rebonds, présidée par Guillaume Mulliez (prix Rebondir)  permet ainsi à 95 % des personnes accompagnées de rebondir après 6 à 18 mois de suivi.

"Quand ils arrivent, ils sont KO, il faut leur redonner de l'énergie, leur montrer qu'ils ne sont pas seuls", souligne l'entrepreneur qui donne la métaphore des "boxeurs-entrepreneurs".

Issu d'une famille de "serial-entrepreneurs", Guillaume Mulliez aime à rappeler que son arrière-grand-père Louis a fait faillite deux fois avant de lancer à Roubaix un petit atelier de filage de laine. "Ce qui a donné naissance à Phildar", s'exclame-t-il fièrement. Puis aux supermarchés Auchan quelques années plus tard.

Entreprendre et partage

Comme lui, Christine Janin  aide les autres à se relever et à gravir des sommets. Médecin de formation, elle accompagne des femmes et des enfants dans leur parcours de guérison. À travers son association "A chacun son Everest !", cette alpiniste de passion guide sur le toit du monde ceux qui ont connu le cancer.

"La vie est un chemin fait de rencontres, de découvertes et d'épreuves. On connaît tous des moments difficiles. Il faut pouvoir les transformer pour qu'ils nous rendent plus forts", affirme la lauréate du prix Enrichir.

Elle a accompagné 4 375 enfants et près de 1 000 femmes après un cancer du sein. "Je leur propose un sas de décompression à travers un séjour d'une semaine en montagne pour marcher, respirer, se recentrer, faire du yoga. Je ne suis qu'une guide qui les aide à être plus fort maintenant qu'avant", souligne-t-elle, humblement. Et Christine Janin l'assure : "Quand on donne beaucoup, on s'enrichit."

S'enrichir en partageant des compétences pour avancer ensemble définit Minalogic, pôle de compétitivité dans le domaine du numérique. "Agréger les talents est notre ADN", résume Isabelle Guillaume, déléguée générale de Minalogic, lauréate du prix Partager.

"Le partage doit être à mon sens bidirectionnel : c'est le besoin d'être inspiré par les autres et être soi-même inspirant. Un entrepreneur est un peu comme un chef d'orchestre. Il ne sait pas jouer de tous les instruments, mais il doit savoir mettre en musique. Le collectif fait la force", explique cette violoncelliste, qui a toujours réussi à garder une place pour la musique.

Eux, cela fait plus de 30 ans qu'ils innovent ensemble, partagent leur quotidien, infatigables. "Laurent ne dort jamais, il arrive toujours le matin avec trois nouvelles idées", plaisante Christian Donzel, co-président avec Laurent Fiard de Visiativ, contraction de vision collaborative, lauréats dans la catégorie Créer.

Visiativ accompagne les entrepreneurs dans la transformation numérique de leur société.

"Depuis le début, on casse des silos en interne, on innove sous toutes les formes. Nous voulons être fédérateurs de mouvement", explique Laurent Fiard.

"On demande à tous ceux qui ont des idées de les exprimer dans des groupes de travail", poursuit Christian Donzel. Au sein de l'entreprise lyonnaise, la notion de transformateur est d'ailleurs préférée à celle de collaborateurs, résumant ainsi l'esprit visionnaire des deux hommes.

Sept verbes pour illustrer sept façons d'entreprendre. Huit parcours atypiques et exemplaires. Pour Patrick Martin, dirigeant de Mabéo Industries, président du Medef Auvergne-Rhône-Alpes, ces prix de l'esprit d'entreprendre sont autant de "belles histoires et de belles personnes", à l'instar de Jean-Dominique Senard, très ému de recevoir en clôture de cette soirée le Grand prix de l'esprit d'entreprendre, "pour son courage, sa pugnacité et sa conviction à faire progresser l'esprit d'entreprendre".

Retrouvez la réaction des lauréats avec TLM :

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