Affaire Pérol : une tempête dans un verre d'eau ?

Le 24 septembre, le tribunal correctionnel de Paris doit rendre son jugement dans le procès fait à François Pérol, président de BPCE, pour "prise illégale d'intérêt". 30 000 euros d'amende, deux ans de prison avec sursis et l'interdiction définitive d'exercer toute fonction publique ont été requis. L'analyse de Michel Crinetz, ancien superviseur financier.
François Pérol est à la tête du groupe fusionné BPCE, et président du conseil d'administration de Natixis.

L'article 432-12 du code pénal dispose que "le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique [...] de prendre, recevoir ou conserver, [...] un intérêt quelconque dans une entreprise [...] dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, [...] est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction."

Un rôle d'information ?

Déjà en 2004, François Pérol, conseiller du ministre Sarkozy, s'était occupé de la cession de la banque Ixis aux Caisses d'épargne. Ensuite, associé-gérant de la banque Rothschild, il conseille le patron des Banques populaires à propos de la fusion d'Ixis et de Natexis pour créer Natixis, filiale commune du groupe mutualiste et des Caisses d'épargne. Puis, secrétaire général adjoint de la Présidence de la République, il instruit la fusion de Caisses d'épargne et des Banques populaires. Il est finalement nommé à la tête du groupe fusionné, BPCE, et président du conseil d'administration de Natixis. Sur plainte de deux syndicats de la banque, il est renvoyé en correctionnelle et, après instruction, fait l'objet des réquisitions ci-dessus. Pour sa défense, il fait valoir qu'il n'aurait eu qu'un rôle « d'information » du Président.

A-t-il "transgressé l'impartialité" ?

Certains commentateurs déplorent la porosité entre hauts fonctionnaires et milieux dirigeants de la banque, et plus encore les allers et retours entre le privé et le public, qualifiés de "portes tournantes". La procureure du parquet national financier a reproché à M. Pérol d'avoir "transgressé la valeur fondamentale [...] qui est l'impartialité de celui qui agit dans la sphère publique au nom de l'intérêt de l'Etat". Que l'intéressé ait "pris un intérêt" dans une entreprise dont il a eu à s'occuper dans une fonction publique, cela n'est pas contesté.

Était-il pour autant "dépositaire de l'autorité publique" ? Il le nie, et il appartient au tribunal de trancher, et, le cas échéant, à la cour d'appel.

A-t-il pour autant "transgressé l'impartialité" ? L'instruction étant secrète, difficile de se faire une opinion. Le parquet ne semble pas avoir précisé de quelle manière il aurait été partial.

A-t-il, en traitant ce groupe, songé qu'il pourrait en prendre la tête ? Peut-être, mais sa propre nomination n'était pas en son pouvoir ; à ceci près, bien sûr, qu'il aurait pu - qu'il aurait dû, selon la procureure - refuser cette nomination.  À supposer que ce fût le cas, dans quel sens cette éventualité aurait-elle influencé son "information" au Président ? Cela n'est pas dit.

Un réquisitoire affaibli

En droit strict, la seule infraction formelle de l'article 232-12 du code pénal suffit à justifier une condamnation. La procureure a plutôt affaibli son réquisitoire en dénonçant une  "partialité" qu'elle ne documente pas, en évoquant un "conflit d'intérêt" sans expliquer quels intérêts étaient en conflit.

Son éventuelle condamnation, même de principe, serait suivie d'un appel, et n'entraînerait pas légalement son départ de la banque ; mais le conseil de surveillance peut en décider autrement. Pour le remplacer, les candidats de valeur, internes et externes, ne manqueraient pas, et le paysage bancaire français n'en serait guère changé, puisqu'il vient de quitter la présidence tournante de la fédération bancaire française. Finalement, une tempête dans un verre d'eau ?

Pas question de juger "un système"

Cette justice purement formelle et anecdotique se dispense d'aller au fond, et même se l'interdit : pas question de juger ici "un système", a ordonné en préambule le président du tribunal. Hors sujet la possible collusion d'intérêts entre les sphères publiques et privées.

La collusion, c'est l'entente entre deux parties au détriment des tiers. Collusion qui, hormis des infractions formellement caractérisées comme "corruption", "trafic d'influence", et "prise illégale d'intérêt" justement, ne constitue pas un délit en soi, ce qu'on peut regretter.

Y a-t-il collusion habituelle, "systémique", entre décideurs publics et privés, au détriment de l'intérêt général, en matière bancaire et financière ? Détriment qu'il faudrait en outre évaluer.
On disait jadis que ce qui est bon pour General Motors est bon pour les États-Unis d'Amérique ;  est-ce qu'à présent ce qui est bon pour les grandes banques françaises est bon pour la France ? On laissera au lecteur le soin d'en juger...

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