Gérard Collomb  : la fin de tout

Par Denis Lafay  |   |  1409  mots
(Crédits : DR)
Opinion. L'accord de Gérard Collomb avec Laurent Wauquiez, dans le cadre duquel il se retire de la candidature à la présidence de la Métropole de Lyon au profit de François-Noël Buffet et obtient en échange qu'à la Ville de Lyon Etienne Blanc s'efface en faveur de Yann Cucherat, provoque la sidération. Le souvenir de Charles Millon s'alliant avec le Front national pour obtenir en 1998 sa réélection à la Région Rhône-Alpes, resurgit. Non qu'il s'agisse d'assimiler LR au FN, mais parce que cette compromission initiée par l'ex-ministre de l'Intérieur apparaît aux plans moral et éthique tout aussi intolérable. Les répercussions délétères de cette entente collusive sont nombreuses, en premier lieu car elle empoisonne un peu plus encore une démocratie déjà moribonde. Pour le principal intéressé, c'est la fin de tout. Pas seulement de sa carrière politique. Notre enquête publiée il y a quatorze mois avait alors mis en lumière les signes avant-coureurs.

Sidération. Voilà la réaction spontanée que suscite l'alliance de Gérard Collomb, candidat LREM à la Métropole de Lyon, avec la liste Les Républicains de François-Noël Buffet. Une alliance à plusieurs étages, qui entremêle des arrangements que l'on croyait d'un autre temps : en contrepartie de son désistement, l'ex-ministre de l'Intérieur a obtenu que le candidat LR à la Ville de Lyon, Etienne Blanc, se retire au profit de son poulain Yann Cucherat, ex-champion de gymnastique.

Pour mémoire, Etienne Blanc, actuel 1e vice-président de la Région Auvergne Rhône-Alpes présidée par Laurent Wauquiez, avait obtenu 17,01% des voix au premier tour du scrutin municipal, et celui au profit duquel il s'efface, 14,92%. Pratiquer la politique, c'est accepter qu'il faut parfois avaler des couleuvres ; celle qu'Etienne Blanc, qui avait accompli une campagne et atteint un score plus qu'honorables dans le double contexte local et national, a dû ingérer a la taille d'un anaconda.

Sidération à la lecture des motivations, qui ne devraient pas duper grand monde ; prétexter la crise économique due à la pandémie n'est pas compréhensible, brandir l'épouvantail écologique alors qu'on n'a cessé de verdir son discours et son programme depuis les résultats du premier tour afin de combler son retard n'est pas audible.

Venin populiste

Sidération quant à l'histoire des relations entre Gérard Collomb et Laurent Wauquiez. Des relations au mieux froides, au pire éruptives, dont d'ailleurs le tissu socio-économique lyonnais avait durement pâti. Nombre de décisions mobilisant les deux collectivités, chacune dotée de compétences économiques, étaient otages de cette rivalité. Il faudra le départ du président de la Métropole place Beauvau, en juin 2017, pour que son successeur David Kimelfeld entreprenne l'apaisement avec l'exécutif régional et le dégel de blocages décisionnels.

Sidération quant à l'image que de fiançailles à ce point contre-nature et collusives projettent au sein de l'opinion publique, et sur une démocratie déjà si moribonde. La classe politique et l'exercice du métier politique éprouvent une crise de confiance chronique, que l'événement pandémique est susceptible d'aggraver plus encore. Partout dans le monde, dans l'Amérique de Trump et le Brésil de Bolsonaro, dans la Turquie d'Erdogan ou la Hongrie d'Orban, dans l'Italie de Salvini ou l'Inde de Modi, prospèrent jusqu'au sommet de l'Etat les théories populistes. Ce virus, qui germe et se propage grâce à l'instrumentalisation de cette défiance publique, n'épargne bien sûr pas la France. A son niveau, cet accord constitue un cluster redoutable.

L'agglomération lyonnaise va suivre le même chemin de croix que la France : elle entre dans une récession historique, en riposte à laquelle la vitalité et la légitimité de la démocratie locale sont cardinales. Commettre un tel sabordage est-il responsable ?

"La pire image que puisse donner un homme politique"

Sidération, enfin, dans le propre camp - actuel et passé - de Gérard Collomb, parmi ceux qui ont escorté son itinéraire politique. Un itinéraire d'abord longtemps laborieux, qui s'éclaire soudainement en 2001 lorsqu'à la faveur de dissensions au sein de la droite lyonnaise il obtient le poste d'édile, et qui depuis n'avait jamais cessé de briller au plan local. Sa revanche "nationale" contre les caciques de la rue Solférino (siège du PS) qui l'avaient toujours marginalisé, il l'obtiendra d'Emmanuel Macron dont il fut l'un des tout premiers soutiens.

Cette sidération est à la fois affective et idéologique. L'un de ses plus anciens compagnons de route et qui fut son premier adjoint à la Ville de 2001 à 2014, le député LREM Jean-Louis Touraine, résume le sentiment général :

"J'assiste avec une profonde tristesse à l'effondrement des valeurs de Gérard Collomb, qui passe par-dessus bord toutes ses belles convictions dans l'espoir de conserver un petit pouvoir".

Les déclarations de Georges Kepenekian, lui aussi ex-haut gradé dans l'armée de Gérard Collomb - il fut successivement adjoint à la Culture, 1er adjoint, et le remplaça dans le fauteuil de maire lorsqu'il fut nommé ministre - sont tout aussi explicites :

"Il décide de tourner résolument le dos aux valeurs progressistes et humanistes que nous partagions autrefois. C'est la pire image qu'un homme politique puisse donner, et qui donne raison à celles et ceux qui dénigrent la classe politique".

Prisonnier du pouvoir

Cette alliance que d'aucuns interprètent volontiers comme une trahison, soulève de nombreuses questions. Qu'a obtenu Gérard Collomb en échange de ce sacrifice personnel ? La direction nationale de LREM, qui par la voix de son délégué général Stanislas Guérini, a vivement condamné l'accord, et Emmanuel Macron ont-ils été pris par surprise ? Ou ont-ils "laissé faire", la rupture de cette digue ouvrant la voie à d'autres ententes d'ici au 2 juin, date de clôture de dépôt des listes ? Au profit de quels candidats les électeurs de Gérard Collomb voteront-ils le 28 juin ?

Au-delà, l'alliance que Gérard Collomb a nouée avec Laurent Wauquiez, l'un de ses adversaires les plus craints au plan politique et les plus éloignés et même incompatible au plan doctrinal, arrache, outre amertume, stupéfaction et colère, du dépit. Voilà une "bête politique" qui a, sans que quiconque puisse le contester, transformé la ville et l'agglomération pendant une quinzaine d'années. Une transformation économique, industrielle, urbanistique, culturelle, qui vaut à Lyon de figurer aujourd'hui en bonne place dans les classements internationaux d'attractivité, y compris touristique. Une « bête politique » qui en 2017 avait enfin obtenu le graal qui lui avait toujours échappé : un portefeuille ministériel, qui plus est régalien, celui de l'Intérieur. Il avait alors installé son dauphin désigné, David Kimelfeld, à la tête de la Métropole de Lyon. Alors âgé de 70 ans, il concluait en beauté une trajectoire politique exceptionnelle, et pouvait accompagner en douceur son successeur. Patatras. Sa démission du ministère au début de l'automne 2018, jugée dans les milieux économiques lyonnais au mieux incompréhensible au pire "traitre" et délétère, sonne le glas. Un déclin que paveront son nouveau 'traitement' de David Kimelfeld et Georges Kepenekian, les dérives népotistes de son épouse Caroline, l'affaire judiciaire impliquant une ex-compagne mère d'un de ses enfants soupçonnée d'avoir bénéficié d'un emploi fictif à la Ville de Lyon. Le premier tour du scrutin municipal et métropolitain aura scellé la déroute du maire sortant.

"C'est un cas d'école, détaille l'un de ses anciens proches condisciples passé dans le camp adverse. Gérard s'est révélé incapable de quitter le pouvoir. Il a pris le risque de tout perdre, jusqu'à vouloir anéantir celui qu'il avait pourtant choisi, plutôt que de se retirer de la scène triomphalement. Cet accord avec LR témoigne que sa détermination à faire le vide derrière lui est si forte qu'elle l'aveugle sur le sens et les répercussions de son acte".

Le spectre Millon

Ressuscite alors dans les mémoires le "cas" Charles Millon. 1998. L'ex-député de l'Ain et ministre de la Défense [1995 - 1997] est alors aux commandes de la Région Rhône-Alpes depuis dix ans. A son crédit, et alors que les dotations financières et les compétences des Régions sont encore embryonnaires, une indiscutable dynamique qui a pris plusieurs formes : notamment la création des "4 moteurs" (accord de coopération avec la Catalogne, le Bade-Wurtemberg et la Lombardie), le Permis pour réussir, la naissance du Mondial des métiers, la liaison Lyon - Turin, etc. Pour obtenir sa réélection en 1998, il accepte les voix du Front national. Une première en France, un véritable séisme, qui déclenchera son éviction de l'UDF et sa descente aux enfers politique. Aujourd'hui, que reste-t-il de Charles Millon ? Rien de ce qu'il avait accompli, seulement cette intolérable compromission.

L'entente de Gérard Collomb avec LR n'est pas comparable à celle de Millon avec le parti de Jean-Marie Le Pen. En revanche, outre qu'elle apparaît dans le camp de la gauche moralement inacceptable, elle pourrait trôner en tête et pour toujours au classement des souvenirs que le professeur agrégé de lettres classiques laissera dans "sa" ville. Il a osé, il pourrait tout perdre. Jusqu'à sa réputation.