Démission du ministère de l'Intérieur  : une tache indélébile

Par Denis Lafay  |   |  921  mots
Passation de pouvoir glaciale avec Edouard Philippe (Crédits : Reuters)
Le feuilleton à l'issue duquel le 3 octobre 2018 Gérard Collomb a démissionné du ministère de l'Intérieur, continue, quatre mois plus tard, de marquer les esprits. Et constitue le point d'entrée des vitupérations dont la communauté des décideurs accable le candidat à la Ville ou à la Métropole de Lyon. Récit et enseignements.

La manière dont Gérard Collomb a démissionné de sa responsabilité de ministre de l'Intérieur et numéro 2 du gouvernement concentre, au sein du cénacle décisionnel, davantage que de l'incompréhension ; la colère, à peine refroidie quatre mois après son irruption. Rappel des faits et décryptage.

Sa "première" démission - et simultanément sa déclaration de candidature aux futures municipales -, il l'annonce dans l'Express, le 18 septembre, et la programme au lendemain du scrutin européen du 26 mai 2019. Première "faute majeure" assène un proche collaborateur, car de facto, elle paralyse l'action du ministère et le crédit du locataire pour huit mois.

A l'heure où la démocratie représentative est en crise, où la défiance à l'égard de la classe politique est immense - le rapport 2018 du Cevipof révèle un degré de "dégoût" record -, et où la sécurité intérieure constitue un enjeu prioritaire des Français, il apparaît "insupportable" de revendiquer un temps partiel, et délétère de défier ainsi l'autorité.

"A-t-on déjà vu un salarié décider du moment où sa démission sera effective ?", s'étonne-t-on chez les patrons, incrédules.

Edouard Philippe humilié

Le 29 septembre à Villeurbanne, Gérard Collomb orchestre, aux côtés de la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les hommes et les femmes Marlène Schiappa, un meeting LaRem baptisé "La rentrée des territoires".

L'assistance est glaciale et peu copieuse : aux yeux des Lyonnais, il n'est peut-être plus l'indispensable, l'incontournable édile, et estime que plus il tardera à exercer à temps plein sa candidature, plus son objectif de reconquête s'avérera périlleux.

La décision, à laquelle son épouse Caroline a largement contribué (lire par ailleurs), d'hâter son départ de la place Beauvau prend forme dans le week-end. Le 1er octobre, il remet sa démission à Emmanuel Macron qui la refuse. Le lendemain, il convoque le maire de Lyon, Georges Kepenekian, à qui il a fait signer sa lettre de démission, reçoit en sa présence des journalistes du Figaro auxquels il réaffirme sa détermination.

Concomitamment, à l'Assemblée nationale, lors du traditionnel exercice des questions au gouvernement, le Premier Ministre Edouard Philippe - avec lequel il entretient d'exécrables relations, rechignant au lien de subordination - est interpellé par le député (LR) Eric Ciotti sur l'issue de ce qui s'apparente à un psychodrame incontrôlé.

"Chaque ministre qui compose ce gouvernement doit se consacrer pleinement à sa tâche", lui répond l'ancien maire du Havre... au moment où parait la dépêche du quotidien.

Humiliation supplémentaire.

Edouard Philippe humilié à l'Assemblée nationale

"Trahison"

Une "loyauté" qui surprend de manière inversement proportionnelle à la proximité et à la longévité de la relation entretenue par les témoins - toujours sensibles à l'oscillation "opportuniste" de ses soutiens : auprès de Strauss-Kahn, Royal, Valls, Hollande... L'un de ceux qui l'ont cornaqué au plus près à la tête de la Ville, rumine :

"Il conçoit la relation humaine presque uniquement dans le rapport de force. Un rapport de force binaire - dans sa logique, "on" est avec lui ou contre lui - et calculateur : il s'emploie à rendre les autres débiteurs".

"Au sommet de ses intérêts trône le sien, corrobore l'une de ses principales éminences. Ceux de l'Etat et de la nation peuvent ainsi, mécaniquement, en pâtir. Son acte m'a profondément choqué, mais donc nullement étonné". Acte que les décideurs interrogés assimilent, en substance, à une "trahison", résultant de la mise en scène théâtralisée et des déclarations perfides à l'égard du président de la République distillées les semaines précédentes - des "tentations de l'hubris" au "manque d'humilité" - qui, rétroactivement, révèlent un minutieux travail préparatoire et l'exploitation de son déclin de popularité.

Pour beaucoup, une démission synonyme de trahison à l'égard d'Emmanuel Macron.

"Peut-être, sans doute même" par sa situation privilégiée à la tête des services de renseignements policier et gendarme, "savait-il" ce que le mouvement des gilets jaunes se préparait à devenir.

"Un vrai conflit de valeurs", déplorent des patrons.

"Comment, dans le contexte de tension nationale et de risque terroriste, peut-on déserter le poste ? Comment peut-on sacrifier l'intérêt supérieur de la nation et l'honneur d'une aussi haute responsabilité au profit de son strict intérêt personnel ?", fulminent-ils. Et les sympathisants d'Emmanuel Macron de renchérir :

"Comment a-t-il pu tromper celui qu'il a accompagné vers la victoire et qui lui a offert une fin de carrière prestigieuse, à laquelle il courrait depuis une décennie et qu'il n'envisageait plus ?".

L'un des plus fidèles du Président de la République et réputé pour sa stature d'Etat, confie son désarroi : "Jamais, dans la Ve République, on n'avait assisté à un manquement de ce type".

"Tu as trahi Emmanuel" : c'est en ces termes, confie une source proche du couple, que Brigitte Macron l'aurait même admonesté.