Affaire Benalla  : le point de rupture

Aux commandes du ministère de l'Intérieur jusqu'au 3 octobre 2018, épilogue de sa retentissante démission, le bilan de Gérard Collomb apparait contrasté. Sa gestion de "l'affaire Benalla", aux yeux de proches caractéristique de zones d'ombre de sa personnalité, cristallise la bascule vers l'incompréhension puis l'admonestation. Décryptage.
Affaire Benalla : Gérard Collomb s'apprête à être auditionné devant la commission d'enquête parlementaire.
Affaire Benalla : Gérard Collomb s'apprête à être auditionné devant la commission d'enquête parlementaire. (Crédits : PHILIPPE WOJAZER)

La démission de Gérard Collomb effective le 3 octobre 2018 conclut un parcours ministériel ambivalent. Au départ, analyse-t-on au sein de son équipe, un "raté", mêlant de manière paradoxale prudence - il ne souhaitait pas "vraiment" participer au gouvernement -, déception - de ne pouvoir accéder au poste de Premier Ministre - et erreur d'aiguillage.

Un grand portefeuille de la Ville, comparable à celui que Jean-Louis Borloo pilota de 2002 à 2004, aurait en effet davantage correspondu à ses compétences, et ses aptitudes en matière de communication et de rhétorique politique épousaient insuffisamment celles requises par la fonction de ministre de l'Intérieur.

Son bilan, bigarré, est teinté de doutes. Doutes sur sa capacité d'accomplir une responsabilité aussi envahissante, énergivore et stressante, doutes sur sa crédibilité au sein de la technocratie, doutes générés par son omniprésence à Lyon et par un indécrottable prisme local qui pouvait faire sourire ou lasser ses auditeurs.

"Ce fameux 1er mai 2018 qui révélera l'affaire Benalla était annoncé potentiellement très tendu à Paris. Etait-il normal que le ministre de l'Intérieur parade à Lyon ?", illustre un préfet.

Réorganisation des services

Au crédit de ce bilan, la réalisation des lois "anti-terroriste" (30 octobre 2017) et "asile immigration" (11 septembre 2018) - celle-ci, objet sur le fond de vives critiques, s'est révélée stratégiquement efficace pour assécher la droite -, la gestion des "dossiers" ouragan Irma, aéroport Notre-Dame-des-Landes, crise migratoire à Mayotte.

"Mais plus encore, souligne un bras droit, la réorganisation des services et la transformation interne du ministère", fruit d'une discipline et d'une méthode remarquées : "c'est un grand bosseur, et sur cet enjeu silencieux mais capital et qui profitera au-delà de son départ, il a travaillé avec sérieux et convictions. Sa technique : entrer par le biais "micro" très factuel, détaillé et opérationnel a, au départ, surpris, mais ensuite séduit les équipes et l'administration centrale".

"Déclaration de guerre"

Au débit, qui par un effet boomerang assombrit son image, surgit son traitement de "l'affaire Benalla", révélant chez les moins avertis des témoins interrogés et confirmant chez les plus proches, quelques désavantageuses facettes de sa personnalité : "manque de courage, déloyauté, égoïsme".

Cet événement devint le point de cristallisation paroxystique de ses divergences de fond avec l'exécutif, intervint comme le point de bascule de sa relation humaine avec Emmanuel Macron.

"Une déclaration de guerre", claque même un député encore proche du ministre.

Sa stratégie est stigmatisée. Notamment l'audition, le 23 juillet, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Un exercice éminemment complexe et à hauts risques, à l'issue duquel il est jugé s'être égaré voire fourvoyé dans d'absconses explications, ne pas s'être montré solidaire de ses troupes, s'être défaussé de ses responsabilités sur les services de l'Elysée.

"Mais cette affaire est bien celle d'un dysfonctionnement interne à l'Elysée, tient à corriger un acteur clé. C'est pour cela qu'il a regardé passer les balles et a déroulé un discours... dont les éléments de langage avaient été validés préalablement au sommet de l'Etat. Il s'est retrouvé exposé considérablement alors que sa responsabilité était nulle".

Confusion

Ainsi est-il apparu "étranger" au psychodrame, ainsi également serait-il "vrai" qu'il ne connaissait ni le nom ni le rôle de celui qui, pourtant, escortait Emmanuel Macron depuis la campagne électorale. Cette affirmation, abondamment commentée et mise en doute - "en l'écoutant dire ce qu'il a dit après avoir prêté serment, j'ai compris qu'il était capable de tout", illustre un député LaRem -, ce même ex-proche en fait une démonstration... psychologique :

"Gérard Collomb n'a de véritable considération humaine, ne porte vraiment de l'attention qu'à ceux qui servent son intérêt personnel, qui font profiter ses ambitions. Comment voulez-vous qu'il ait pu en manifester à l'égard d'un garde du corps ? Il ne "photographie" pas ces "autres" qui ne sont pas utiles à son dessein immédiat. Songez qu'il n'a eu de cesse, pendant toute la campagne, de "confondre" Julien Denormandie et Ismaël Emelien - devenus respectivement ministre chargé de la Ville et du Logement, et désormais ex-conseiller spécial d'Emmanuel Macron, NDLR -...".

Une "préfectorale" décontenancée

Reste, enfin, deux effets collatéraux qui lestent son bilan. D'une part, sa relation avec l'organe préfectoral, symbolisé par son important déphasage avec le préfet de police de Paris, Michel Delpuech lors des auditions.

Michel Delpuech et Gerard Collomb

Avec la " préfectorale ", une relation tendue (ici avec Michel Delpuech)

Une "préfectorale" déjà distante après qu'elle ait découvert, lors de la première réunion bimestrielle du corps ad hoc, son nouveau ministre de tutelle exprimer un éloge "presque intégralement" sur... Lyon dont il était "clairement orphelin" - "c'était symptomatique de l'écart qui allait se creuser entre lui et les corps d'Etat ", poursuit ce préfet - ; une "préfectorale" ébranlée ensuite par la brutalité avec laquelle son "patron" avait démis de leurs fonctions, le 11 octobre 2017, les préfets Henri-Michel Comet (Région Auvergne Rhône-Alpes) et Xavier Inglebert (secrétaire) suite à l'assassinat terroriste perpétré dix jours plus tôt à Marseille par Ahmed Hanachi.

En pleurs, celui qui depuis est devenu directeur général adjoint d'Aéroports de Paris déclarera, lors de ses adieux, "mettre au feu son uniforme". La crudité de ce limogeage, son "règne par la terreur", poursuivaient un double but, détaille un préfet : "afficher son autorité et bien montrer qu'il était le boss, d'une part aux Lyonnais, d'autre part à notre assemblée".

"L'exemple" Hernu

Le discrédit de Gérard Collomb au sein de cet aréopage solidaire et corporatiste constituait une entrave embarrassante. Mais il pèse moins comparé à celui que suscite "la" question morale : n'aurait-il pas du exercer le rôle de fusible pour protéger le chef d'Etat ?

"C'était très tentant, mais le retour de flamme aurait pu être majeur. N'oublions pas qu'Emmanuel Macron affirmait que la République ne pouvait être celle des fusibles", soutient un conseiller de l'époque.

L'un des vice-présidents de la Métropole de Lyon les plus emblématiques et vieux compagnon de route socialiste, résume un "autre" sentiment, largement partagé, et pour cela convoque la mémoire locale.

"Gérard avait tout à gagner à prendre ses responsabilités et à faire preuve de loyauté. Son devoir était de défendre Emmanuel Macron et de démissionner. C'est ce qu'on attend d'un ministre. Souvenons-nous de Charles Hernu. Il est aux commandes de la Défense lorsque l'affaire du Rainbow Warrior éclate - le 10 juillet 1985, NDLR. Alors que la décision de dynamiter l'embarcation de Greenpeace est très certainement venue de plus haut, il décide d'être l'ultime rempart devant le Premier Ministre et le Président de la République, et démissionne deux mois plus tard. Ce courage politique, les électeurs villeurbannais s'en souvinrent lors du scrutin législatif un an puis trois ans plus tard ; il fut triomphalement réélu".

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