Equitation : les impacts de la TVA commencent à se faire sentir

Par Marie Lyan  |   |  1245  mots
Un an après les manifestations contre l'équitaxe, les professionnels de la filière équine commencent à ressentir l'impact de la hausse de la TVA.
Un an après les manifestations organisées par les centres équestres pour protester contre la directive de Bruxelles qui demandait à la France d’aligner son taux de TVA avec d’autres secteurs à 20%, les acteurs de la filière équine se sont retrouvés au Salon Equita’Lyon avec le moral en berne. En Rhône-Alpes, si les centres équestres s’inquiètent de la baisse du nombre de licenciés, les éleveurs ont tendance à réduire leur production.

Après avoir connu 20 ans de progression et atteint le seuil des 700 000 licenciés au niveau national en 2012, le nombre de pratiquants de la Fédération Française d'Equitation (FFE) a recommencé à baisser. En 2013, le nombre de licenciés a enregistré -1,7% au niveau national, et -1,9% en Rhône-Alpes... "Mais malgré cela, on observait encore une augmentation du nombre de centres équestres en Rhône-Alpes et du nombre de licences en compétition", souligne Olivier Croze, directeur territorial Rhône-Alpes de l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE).

Un secteur pessimiste

Alors que l'année 2014 n'est pas encore clôturée, les professionnels restent pessimistes. "Alors que nous avions atteint les 700 000 licenciés au niveau national en 2012, nous sommes redescendus à 689 000 en 2014", note Philippe Buisine, président du Conseil de Filière Cheval Rhône-Alpes et délégué du Groupement Hippique National (GHN).

Si la crise économique y est pour quelque chose, l'impact de la réforme des nouveaux rythmes scolaires est également ressentie de plein fouet par les centres équestres.  "Avant, les jeunes montaient le mardi soir et le mercredi matin. Aujourd'hui, beaucoup ne viennent plus et ne rattrapent pas forcément à un autre moment de la semaine", rappelle Philippe Buisine, qui note qu'une journée de perdue peut facilement représenter un trou de 1 000 euros dans les caisses.

Une occasion de repenser le modèle ?

Si la hausse de la TVA de 7 à 20% pour les centres équestres n'est pour l'instant applicable que sur les contrats signés en 2014, "l'impact commence déjà à se faire sentir depuis la rentrée", estime Philippe Buisine, qui rappelle que les plus touchés seront surtout les centres équestres éloignés des grandes agglomérations, qui accueillent une clientèle à plus faible pouvoir d'achat.

"Le problème, c'est que certains centres équestres n'ont pas compris que cette mesure permettait de différencier l'accès aux installations, soumis à une TVA à 5,5%, et l'enseignement, qui passe lui à 20%. Certains ont donc tout passé à 20% !". Selon lui, cette nouvelle directive est une occasion de repenser le modèle économique de la filière, en proposant, d'un côté un abonnement fixe à l'année pour accéder aux installations taxé seulement à 5,5%, et de l'autre, un tarif à la séance moins coûteux mais taxé à 20%.

"Nous avons tout intérêt à nous rapprocher de cette possibilité, qui permettrait de faire des abonnements à la semaine, au mois ou à l'année, et même de différencier les jours de semaine ou de week-end. Ce qui permettrait aussi de proposer des séances à l'unité moins cher, entre 6 et 10 euros"

Une donne complexe

Un mode de calcul qui complexifie toutefois la donne pour les centres équestres. "Avant, nos tarifs tenaient sur une feuille A4. Aujourd'hui, je dois présenter aux clients plusieurs pages !", se soucie Jean-François Verguet, président du comité départemental d'Equitation (CDE) de l'Ain, qui parle également des retombées médiatiques. Il affirme que la rentrée est "molle" et s'attend à une baisse de l'activité d'au moins 10%.

"La hausse de la TVA a été une très mauvaise pub pour la filière, qui a fait perdre 20 ans de démocratisation du cheval. Alors que nous sommes loin d'être le sport le plus cher, puisqu'une heure de poney à 12€ revient à ¾ d'heure de piscine, sans compter la demi-heure d'avant et d'après où nous avons aussi les enfants"», estime-t-il. Pour lui, la mesure va directement épingler les caisses des clubs déjà difficiles à remplir : "Avant, si un club avait 5 à 7% de rentabilité après impôts, c'était déjà bien... "

Manifestation à Lyon contre la hausse de la TVA à l'automne 2013.

L'élevage durement touché

Du côté de l'élevage de chevaux, la situation est encore plus tendue. Alors que la filière disposait d'un taux réduit compris entre 2,1% à 5,5% en fonction des activités, seule la vente de chevaux destinée à l'élevage est restée à taux réduit. La vente de chevaux de sport et de loisirs, qui représente une grande partie de l'activité des professionnels, est passée depuis le 1er janvier 2013 à un taux de 20%. Un bond de 18% que les éleveurs ont du mal à répercuter, alors que leurs marges sont déjà au plus bas.

"Alors que l'élevage souffrait depuis 3-4 ans à l'échelle nationale, Rhône-Alpes continuait à progresser. 2013 est la première année de baisse, avec -8,5%", affirme Olivier Croze, qui rappelle que la plupart des éleveurs ont des structures de petite taille, ayant souvent dû développer une activité complémentaire comme de la pension ou de l'élevage de bovins.

"Si l'éleveur devait vendre ses chevaux au prix réel, en prenant en compte le prix du foncier, le coût de l'alimentation du poulain, du dressage, du temps passé, ce serait impossible... On fait juste un calcul de ce que ça nous a coûté !", estime Martine Moati, propriétaire de l'élevage de poneys Welshs Les Bertaines.

"Sur un cheval vendu à 7 000 euros HT, vous passez à presque 8 500 euros... Ce n'est plus du tout le même budget !", ajoute Philippe Buisine.

Moins de poulains à naître

Première conséquence directe : les éleveurs se sont donc serrés la ceinture et prévoient une baisse des poulains à naitre en 2014. D'après les statistiques publiées par les haras nationaux, le nombre de naissances d'équidés est déjà passé de 55 053 à 50 340 entre 2012 et 2013. Propriétaire d'un élevage de poneys en Bourgogne, Martine Moati a elle-même réduit sa production de moitié en 2014, en passant de 18 à 10 naissances.  "On est dans un engrenage car moins de licenciés dans les clubs signifie aussi moins d'acheteurs de chevaux", résume-t-elle.

Même situation du côté de l'Association des éleveurs de chevaux de race Camargue, qui regroupe près de 300 éleveurs. Thierry Trazic, trésorier de l'association, affirme que la filière, qui produisait 500 à 600 poulains chaque année, a réduit sa production d'un tiers en 2014. "Malheureusement, ce sont surtout les professionnels qui réduisent leur production car ils savent ce que ça coûte", rapporte-t-il.

Comme plusieurs éleveurs, il estime que le passage à 20% creuse l'écart entre les éleveurs professionnels, assujettis à la TVA, et les éleveurs amateurs, qui ne le sont pas. Sa consœur, Martine Moati, estime que la situation ne pourra pas s'améliorer tant que le statut d'éleveur sera accordé à toutes les personnes qui font naître un poulain.

Hausse des importations de chevaux

Autre conséquence de ce contexte fragile : l'importation serait également repartie à la hausse depuis le début de l'année, même si elle reste difficile à quantifier. "Depuis l'ouverture de frontières de l'Europe, on voit de plus en plus de marchands arriver avec des chevaux d'Irlande ou de Belgique qui font une concurrence directe aux éleveurs en cassant les prix, et en présentant des poneys qui ne sont pas vaccinés, vermifugés ni dressés", rapporte Martine Moati. Le Réseau d'Epidémio Surveillance en pathologie Equine (RESPE), a même détecté plusieurs cas de grippe équine importé en France par des poneys et chevaux d'Irlande.

Rhône-Alpes est la deuxième région de France qui compte le plus de pratiquants, puisqu'elle dénombre 67 481 licenciés en 2014, juste derrière l'Ile-de-France (96 464). D'après la dernière étude du Réseau économique de la filière équine (2011), la région compte près de 3 700 entreprises et 7 280 personnes rémunérées, pour un chiffre d'affaires (hors PMU) de 328 millions d'euros.