Marc Uhry : "La défiscalisation pousse les prix à la hausse"

Par Propos recueillis par Jean-Baptiste Labeur  |   |  792  mots
Marc Uhry est responsable Europe de la fondation Abbé Pierre.
Manuel Valls a opéré un changement de cap sur la politique du logement. S'il satisfait les investisseurs et les professionnels du BTP, le pack de nouvelles mesures annoncé vendredi, inquiète d'autres acteurs du logement comme les associations. C'est notamment le cas de la Fondation Abbé Pierre et de son responsable Europe : Marc Urhy.

Acteurs de l'économie : Avez-vous été surpris de voir le gouvernement vouloir aussi vite revenir sur la loi Duflot ?

Marc Uhry : Nous sommes surpris qu'une même majorité détricote ce qu'elle a mis en œuvre précédemment. La loi Duflot avait été longuement préparée et débattue. Surtout l'argumentaire a de quoi surprendre. Une loi promulguée en avril dernier aurait des effets sur la production de logement en baisse depuis déjà plusieurs années ? Donc elle aurait eu une force rétroactive... Or la loi Duflot impacte peu la construction neuve, elle interfère surtout avec l'existant. L'hypothèse que l'encadrement des loyers ait une influence sur la construction est idéologique. Il n'y a aucune cohérence à revenir sur la limitation des loyers à Paris, où ils sont déjà exorbitants et où il n'y a pas vraiment d'enjeu de production, parce qu'il n'y a pas la place.

On ne comprend pas bien le projet. On ne comprend pas le cap. Veut-on voir les prix remonter à la hausse ? Veut-on des ménages qui ne peuvent plus payer ? Tout le monde est d'accord sur la nécessité de relancer la construction, mais ces dernières années, avec les mêmes outils fiscaux que ceux prévus par le Premier Ministre, on a construit surtout là où on n'en avait pas forcément besoin. Et cela n'a pas réglé le problème des zones en tensions.

Que pensez-vous des mesures annoncées par Manuel Vals et notamment la possibilité pour un propriétaire de défiscaliser l'achat d'un bien en logeant ses enfants ?

Sous prétexte d'encourager la production, c'est une prime à la thésaurisation. Qui va pouvoir acheter un appartement à ses enfants pour les loger ? Cela va concerner des classes supérieures parisiennes. On encourage de fait la concentration des patrimoines.

Pour lutter contre la chute de la production, le gouvernement opte pour de nouvelles mesures de défiscalisation.

Ce n'est pas ainsi qu'on fera repartir la construction. La défiscalisation est un système qui pousse les prix à la hausse. On risque à terme de faire sortir davantage de ménages du marché, qui n'auront plus la capacité d'acheter. On prend le risque de réduire la capacité d'achat d'une classe moyenne déjà fragilisée.

Ce système nous a justement conduit là où nous sommes. Cela fait 30 ans que l'on voit les effets des défiscalisations. On doit trouver un système qui encourage la production de logement tout en limitant les privilèges de la rente. Ce sont les particuliers qui peuvent relancer la production. Je rappelle qu'en France 56 % des ménages sont propriétaires. Ce sont eux qui font tourner la machine. Ceux-là peuvent flancher si l'on parie sur les seuls investisseurs.

Enfin défiscaliser, a un coût pour la collectivité, puisque ce sont des impôts qui ne rentrent pas. Et est-ce que les allocations logement vont suivrent elles aussi ? Rien n'est moins sûr.

Pour faire baisser les coûts de la construction et sa relance qu'auriez-vous proposé ?

Il y a avait quand même d'autres mesures envisageables. Par exemple, la collectivité peut acheter le sol, ensuite proposer le terrain à la construction, sans le faire payer à un promoteur en échange de son engagement à maintenir des marges raisonnables. On baisse le coût de la construction. Pour l'État, c'est de l'argent simplement immobilisé, à l'inverse de la défiscalisation qui va peser sur la dette. Et on maîtrise l'usage des sols dans la durée.

Pour la réduction des normes qui sont trop coûteuses ?

Ce sont des hypothèses à clarifier. Les normes environnementales coûtent cher au départ, mais sont rapidement assimilées par les constructeurs.
Parmi les normes coûteuses, n'oublions pas qu'une partie sont le fruit de lobbying. Prenez les micro-disjoncteurs dans les cuisines ou encore le nombre de prises imposé pour une cuisine ou selon la taille de la salle à manger. Je serai curieux de voir quelles normes seront touchées. Il ne faut pas que ce soit les normes de salubrité. Mais l'évolution des normes techniques tous les deux ans, n'est effectivement pas nécessaire. On peut aussi s'interroger sur certaines normes du handicap, mal calibrées.

Comment expliquez-vous ce cafouillage sur le logement alors qu'il apparaissait en tête des priorités de la population durant la campagne présidentielle ?

L'équation entre le logement et l'emploi n'a toujours pas été prise en compte. Il y a un tabou en France. Culturellement, on considère que le logement est un sujet avec lequel on doit se débrouiller individuellement. La société a commencé à briser ce tabou. Le système politique est lui toujours enfermé dans ce schéma.