Marine Le Pen sur la voie royale

Par Denis Lafay  |   |  835  mots
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)
Si elle est "gérée" sans d'irréversibles dommages, la mise à mort politique de Jean-Marie Le Pen s'annonce comme une aubaine pour sa fille et ses affidés, enfin débarrassés de l'ultime obstacle à la normalisation du Parti... et de son programme. La route vers 2017 pourrait s'annoncer encore plus cahoteuse pour les formations républicaines, UMP en tête.

Enfin ! doivent penser nombre de cadres du Front national, en ces jours de mise à mort politique du père - non par sa fille mais par lui-même. Ouf ! doit éprouver une partie des militants et sympathisants des dernières années, séduits par une rhétorique populiste habilement dépouillée des oripeaux dont le fondateur aimait tant draper ses tirades. Ces adverbe et interjection, Marine Le Pen elle-même et sa garde rapprochée - Louis Alliot, Steeve Briois, Florian Philippot, Gilbert Collard - devraient la partager lorsque les répercussions familiales et politiques auront été déblayées.

Le spectre du  « suicide-assassinat » de Jean-Marie Le Pen

Certes, lesdites répercussions s'annoncent considérables : quelle position Marion Maréchal-Le Pen - jamais la petite-fille n'a aussi bien porté l'association des deux noms, eu égard aux déclamations du grand-père en faveur de Pétain - adoptera-t-elle ? Quelles vengeances le parti doit-il anticiper d'un homme qui en détient toute la mémoire, y compris la plus compromettante (financements, réseaux, etc.), et qu'un crépuscule aussi violent qu'il y a encore peu totalement inenvisageable peut rapprocher du spectre « suicide-assassinat » comparable à celui auquel le co-pilote de Germanwings s'est livré ? Quelle part de l'ADN « nouveau » du FN et des volumes d'adhésions Jean-Marie Le Pen représente-t-il encore et que son éviction pourrait assécher ? Comment, dans le très court terme qui la sépare du bureau politique du 17 avril appelé à désigner les têtes de liste aux Régionales et donc à écarter l'octogénaire du combat en PACA, la direction oeuvrera-t-elle pour que sa décision soit la plus incontestable possible sans pour autant ostraciser ni surtout victimiser l'icône qui incarne l'histoire du parti et à laquelle tant d'entre eux doivent tant ?

Une bien mauvaise nouvelle pour l'UMP

Mais une fois ces obstacles réglés s'ils le sont avec mesure, c'est-à-dire sans que le sang du grand-père n'éclabousse trop l'image du parti et surtout ne jette l'opprobre sur la fille, c'est bien sur une voie royale que Marine Le Pen pourrait se retrouver. Elle aura débarrassé sa formation politique des bactéries antisémites, révisionnistes, xénophobes et ouvertement fascistes, mais sait pertinemment que l'électorat sensible à ces idéologies continuera de voter pour le Front national : les racines que le grand-père a ensemencées et que la fille, avec grande habileté, laisse exister, assurent au parti d'héberger « pour toujours » un certain électorat sans se salir les mains à le courtiser. Ou comment accomplir la dédiabolisation sans s'interdire de recueillir les fruits des agissements diaboliques.
Imagine-t-on par ailleurs la force du message que la mise à l'écart de Jean-Marie Le Pen va délivrer auprès de cette frange de la population que seules les inacceptables diatribes du patriarche dissuadaient de rallier les rangs du FN ? Bien davantage que les doctrines du parti, Jean-Marie Le Pen demeurait le principal rempart à une plus large adhésion populaire ; ce rempart désormais abattu, plus rien ne devrait arrêter qui à droite de la droite républicaine qui au sein de populations vulnérables - ouvriers, chômeurs, précaires - culturellement à gauche et hostiles aux thèses racistes, de franchir désormais le Rubicon. Particulièrement pour l'UMP, le psychodrame frontiste constitue, à terme, une bien mauvaise nouvelle.

La dédiabolisation du parti annonce celle du programme

Plus rien alors ne devrait stopper la marche en avant de Marine Le Pen. En premier lieu la dédiabolisation définitive du support idéologique - c'est-à-dire le parti et son organisation - générera mécaniquement celle du programme ; la légitimité nouvelle, durablement enracinée et largement acceptée du Parti assurera automatiquement celle des idées. Y compris, notamment dans les champs économique et européen, les plus folles, les plus démagogiques, les plus dangereuses.

Quelques manifestations nauséabondes ont certes entaché leur mandat depuis un an - Fabien Engelmann maire d'Hayange condamné à un an d'inéligibilité, son alter ego de Villers-Cotterêts refusant de participer à la commémoration de l'abolition de l'esclavage, etc... et bien sûr des arbitrages budgétaires hautement contestables au plan moral -, mais la plupart des maires frontistes n'accusent pour l'heure guère de réprimandes factuelles. Et le 27 janvier dernier, sous les ors de l'Hôtel Lassay qui abrite la résidence officielle du président de l'Assemblée nationale, c'est bien à Steeve Briois, édile d'Hénin-Beaumont, qu'était remis le Prix du Trombinoscope saluant « l'action et le professionnalisme de personnalités politiques qui se sont particulièrement illustrées durant l'année écoulée ». Bref, et particulièrement depuis qu'il a entrepris la mise à l'écart et à mort politiques de son encombrant fondateur, le Front national est définitivement sur la voie de la normalisation. Il n'en sera que plus redoutable.

Pour aller plus loin >>  Dominique Méda : "Traitons le travail pour que le crime ne profite pas à Marine Le Pen"