Attentats : les musulmans face au risque de la double peine

Par Abdénour Aïnseba est chef d'entreprise, fondateur et gérant de la société IT Partner.  |   |  1144  mots
Est-ce bien à cela que nous devons nous résoudre à être condamnés ? Celle de souffrir en voyant notre liberté prise pour cible et celle d'être otages de ceux-là même qui veulent s'identifier à notre foi. Face à la barbarie, un monde est a réinventer, et l'enjeu est aussi de nous interroger sur ce qu'être Républicain signifie aujourd'hui.

La religion musulmane demeure étrangère à notre nation. Nous en portons tous une part de responsabilité. Parce que nous autres musulmans n'avons pas su construire un Islam de France en éradiquant les apports culturels de nations étrangères, et parce que la République n'a pas su anticiper les mutations sociales que nous devions connaître inévitablement, suite aux vagues successives de migration aux seules fins premières de main-d'œuvre docile.

L'entreprise premier lieu d'intégration

Et pourtant. De quelle nationalité devrions-nous nous réclamer, nous autres enfants musulmans de France ? Pays où nous sommes nés. Pays du labeur de nos pères. Pays que nous chérissons. C'est notre terre, pourquoi vouloir nous en priver ? C'est notre culture, comment vivre sans elle ? Ce sont nos valeurs, qui pourra nous en défaire ? Nous sommes épris de liberté de vivre et d'aimer, d'égalité et davantage de solidarité, de fraternité pour seule arme contre l'indifférence. Parce que nous sommes chefs d'entreprises, parce que nous nous impliquons dans la vie de la cité, nous portons un regard différent tant sur le fait religieux que sur la nécessité de construire avec les différences du peuple français. Notre conception de l'entreprise est partagée par toutes celles et ceux qui pensent qu'elle doit être le premier lieu d'intégration. La formation, l'emploi sont les mamelles de la fierté d'appartenance. En être privé obscurcit l'horizon.

Un monde est à réinventer en ces lendemains de crise. Nombre de nos entreprises ont pleine conscience de leur responsabilité 'citoyenne' mais ne pourront à elles seules relever le défi qui nous est proposé. Ce sont toutes les forces vives de notre nation qui se mettent en branle pour construire un avenir plus radieux et porteur d'espérance. La France peut-elle se permettre de se couper de l'énergie et de l'engagement d'une partie de son peuple ?
Si l'exclusion peut expliquer la désillusion et la volonté de radicalisation, elle ne peut justifier ni la barbarie ni l'inexplicable. Si nous ne pouvons comprendre le pourquoi, nous devons nous pencher sur le comment.

Comment en sommes-nous arriver là ? Comment en sortons-nous ? Comment éviter qu'une génération de nos jeunes ne se sacrifie pour une cause qui n'est pas la sienne ? Comment le lui expliquer ? Comment expliquer que leur Dieu n'est en rien une divinité païenne assoiffée d'un sang humain purificateur ? Que leur Dieu est Amour et paix ?

Les musulmans ne sont ni pires ni meilleurs que les autres

Les musulmans de France ne font pas communauté. Ils sont avant tout français. Et parce qu'ils sont français, ils ne ressentent pas de conflit entre la laïcité et la pratique de leur religion. Même si trop souvent, ils se retrouvent mis en fragilité dans leur propre citoyenneté, lorsque des propos dévastateurs sont tenus par ceux qui, pour quelques voix, divisent le peuple de France. Leur spiritualité entre en communion avec celles des autres, adeptes d'une foi ou non. La spiritualité n'est certes pas l'apanage exclusif des religions. Il en est de même de l'humanisme.

Les musulmans ne sont pas meilleurs que les autres, ils ne sont pas pire non plus. L'affectation sociale de bon nombre d'entre eux ne doit pas occulter que le traitement communautaire serait une erreur. Le terreau du terrorisme se trouve bien davantage dans la misère des laissés pour compte vivant dans des banlieues trop souvent oubliées que dans les quartiers aisés des arrondissements de Paris ou de Lyon. Cela, même s'ils partagent la même foi.

Le traumatisme n'a pas épargné selon la religion

Le terrorisme islamiste ne peut se prétendre d'aucune idéologie humaniste ni religieuse, au mieux peut-il se faire le chantre d'une vision apocalyptique du monde. Ils sont les enfants des extrémistes de tous bords qui ont ensanglanté notre histoire et celle d'autres continents. Aucune religion n'intègre dans sa spiritualité le meurtre de civils. Aucune nation libre ne doit accepter, alors même qu'elle a aboli la peine de mort, que des civils, des policiers, des militaires meurent assassinés par ses propres enfants sous couvert de foi et manipulés par des forces obscures étrangères.

Comme il est surprenant que des amalgames puissent se faire lorsqu'il s'agit de la foi de l'autre, alors même que nous nous retrouvons toutes et tous autour des mêmes valeurs de notre République. Pourquoi être chrétien serait-il plus en adéquation avec notre citoyenneté qu'être juif, bouddhiste ou musulman ? Lorsque nous souffrons de voir des français assassiner d'autres français, n'avons-nous pas ce même effroi qui nous étreint ? Car, l'angoisse de nos enfants, elle, était bien la même ce mercredi soir, à l'heure du coucher : les terroristes viendraient-ils les chercher dans la nuit ? Tueraient-ils aussi leurs parents ? Le traumatisme n'a pas épargné selon la religion.

La laïcité accepte l'ensemble des fois et des religions en ses territoires. Elle ne peut et ne doit être assimilée au laïcisme qui nie et exclue tout apport et manifestation du religieux. La France qui a été, entre autres, la fille aînée et chérie de l'Eglise catholique a construit sa culture laïque moderne sur ce patrimoine historique. Nous nous devons de le conserver et de mieux comprendre notre laïcité voire même devons-nous la réinventer.

Une pratique de l'ordre de l'intime

Quelle que soit la religion, sa pratique est d'ordre intime et n'a pas à s'exposer ailleurs que dans nos foyers ou nos temples. Nous pouvons ne pas approuver telle ligne éditoriale ou telle caricature, d'ailleurs il est rare d'apprécier d'en être le sujet, mais le combat est bien contre celles et ceux qui veulent voir s'éteindre cette liberté donnée aux hommes, celle de s'exprimer en toute sécurité dans le cadre de la loi.

L'enjeu n'est-il pas finalement de nous questionner sur ce qu'est d'être français et du pays que nous voulons laisser à nos petits-enfants ? Nul doute alors que la question conflictuelle de la religion disparaitra de l'espace public dans une société apaisée et unie.
Si la peine est double, l'enjeu l'est tout autant.


*Abdénour Aïnseba est diplômé de l'Université de Paris XI et de l'ESC Reims, il est le fondateur et le gérant de la société IT Partner, SSII basée à Lyon. Patron engagé il a été élu successivement président du CJD de Lyon, du CJD Rhône-Alpes et membre du Bureau national du CJD où il a présidé plusieurs commissions nationales. Expert en Dialogue social il est administrateur de Réalité du Dialogue Social. Européen convaincu et engagé, il est Vice-Président du CESER Rhône-Alpes où il préside la commission 'Coopérations Internationales, Europe et fonds structurels'.