Les cinq leçons à retenir du 11 janvier 2015

Aucun des problèmes encore à résoudre ne supprimera la réalité de ce qui s'est produit dimanche, la plus grande manifestation que la France ait connue depuis la Libération. Ce vaste mouvement a dépassé les nombreux clivages des Français et révèle cinq grands enseignements.

Dimanche, les innombrables manifestants  partout en France ont su finalement transcender leurs divisions pour retrouver l'unité nationale.  Une réponse à tous les terrorismes dont on peut retenir déjà au moins cinq leçons essentielles.

1. La liberté d'expression est sacrée en démocratie

Le massacre opéré à Charlie-Hebdo l'a révélé avec une force inouïe. Certes la liberté d'expression fait partie du crédo de la démocratie, mais on ne pouvait pas deviner comment d'un seul coup il aurait ce caractère intangible. C'est en effet pour ce droit sacré à la liberté d'acquisition que des millions de citoyens, de tout âge, de toute tradition ont défilé. Qui l'aurait cru ? Ici le peuple a été plus net et radical que la classe politique. Leçon à retenir. Révélation d'autant plus forte qu'elle s'applique à Charlie Hebdo publication originale pour deux raisons. Pratiquement personne ne le lisait et les désaccords à l'égard de ses contenus et de son style étaient plus nombreux que les accords. On trouvait le journal de « mauvais goût », excessif, provocateur, vulgaire, irrespectueux..... Et pourtant la défense des dessinateurs, des humoristes a été sans appel. Une défense absolue de la liberté d'expression, ce qui veut dire que la démocratie doit toujours défendre toutes les expressions y compris celles qui paraissent les plus radicales, les plus critiques, car c'est en les défendant que l'on défend la démocratie en soi. C'est en défendant ce qui parait radical, marginal que l'on défend la liberté d'expression dans son ensemble. Être libre comme les humoristes, les artistes, les journalistes. Le plus minoritaire devient le plus central. Qui l'auraient cru, quand pendant des décennies, les belles âmes, sages et respectueuses, disaient que Charlie Hebdo déshonorait la pensée et les libertés d'expression.

Deuxièmement : cette défense de la liberté d'expression se fait à partir du média le plus ancien, le plus « archaïque » disent les fous de la technique qui prévoient la victoire du tout écran, et la mort du papier. Ici il s'agit du papier journal, du dessin et du crayon. D'ailleurs le crayon cette si « vieille technique », est devenu le symbole de la liberté, de la création, de la désobéissance. Jamais les réseaux ne pourraient susciter une telle charge symbolique un tel respect. L'histoire et les valeurs sont évidemment encore et pour longtemps inscrits dans les journaux, les livres... Et aussi dans la radio et la télévision,. Les réseaux apportent autre chose, mais tant qu'on ne voudra pas les réguler pour éviter d'y trouver le meilleur et le pire, au nom d'une vision simpliste de la liberté ils n'auront pas la légitimité du crayon, de la plume, du journal du livre. Les symboles culturels et politiques les plus puissants ne sont pas toujours synonymes des techniques les « plus modernes ».

2. Le déclinisme

On a eu tout le contraire. Tout le contraire de cette idéologie d'une France vieille et immobile décrite à l'envie par une partie des élites depuis une génération. Mais où est le déclin quand on a vu cette spontanéité, et grandeur avec laquelle le pays, la nation, et toute son histoire se sont mis debout ? On voulait la France à genoux elle s'est relevé avec force, dignité. Résolue dans un immense silence, ponctué de cette marseillaise qui malgré toutes les différences sociales, culturelles et religieuses, constitue son bien commun. Partout la fierté d'être français, quelles que soient les origines, avec cette adhésion, à la nation, à l'histoire, aux valeurs.

Cinglante réponse au lepénisme rampant qui en trente ans a gangréné les esprits, de droite et de gauche, au point que personne n'avait revendiqué la force inouïe du caractère multiculturel du pays. Ce fait multiculturel pourtant réalité incontestée, n'a jamais été revendiqué comme une force morale et politique. Et encore moins par la gauche. Et là aussi c'est le pays qui l'a reconnu, et l'a finalement légitimé avant la politique! Au travers de la cohabitation des religions, des opinions, des origines c'est l'unité de ce pays multiculturel qui est plébiscitée. La réponse a trente ans de silence convenu. Où est ce peuple fatigué, démissionnaire, qui avec tant de force de détermination refuse de se mettre à genoux ? Et tout cela s'est fait spontanément, sans mot d'ordre, au-delà de toutes les appartenances.

3. La fraternité

Peut-être la revendication la plus forte, comme symétrique à la revendication de liberté. Être ensemble malgré toutes les différences. Avec sans doute deux compléments. Affirmer aussi la tolérance, notamment entre les religions. Tolérance sans laquelle il n'y a pas de fraternité, ni finalement de liberté et qui permet la cohabitation entre tous. Et dans cette affirmation si nette du vivre ensemble, on retrouve le rôle essentiel de la radio et de la télévision. Qui peut mieux assurer le lien social et culturel que ces deux grands médias trop rapidement condamnés aux musées ? Ce rôle irremplaçable on le retrouve, dès qu'il y a une crise grave. « Une génération Charlie » oui au sens d'une revendication de la liberté d'expression, de la fraternité et de la tolérance au sein d'une société multiculturelle. « Ils ont voulu nous diviser, ils nous ont réuni » comme rappelait un manifestant. « Ils ont voulu nous mettre à genoux, on est encore plus debout » disait un autre. La gifle au déclinisme, comme la revendication de la fraternité dans une société soit disant individualiste et repliée sur la consommation illustrent la capacité de résistance des opinions publiques à l'égard de la plus grande majorité du discours des élites. Ceux-ci depuis une génération jugent, critiquent et dénoncent cette France décliniste frileuse, et individualiste, sans valeurs et sans idéaux...

Les discours et les sondages n'ont pas grand-chose à voir avec les lentes et silencieuses mutations des opinions publiques et de ces désirs de solidarité, fraternité, générosité qui régulièrement se manifestent. Surtout dans les vieux pays politisés comme la France. Mais ces recherches de plus de fraternité ne sont pas naïves. Elles s'accompagnent du besoin d'autorité. Un exemple ? Les applaudissements - inconcevables en temps normal - à l'égard des policiers et des gendarmes, dans les cortèges du dimanche 11 janvier. Un autre ? Le soutien aux professeurs dépossédés de toute autorité face à des classes surpeuplées composées de dizaines de nationalités et où les enseignants sont laissés seuls. Un soutien appuyé à l'école à condition qu'elle retrouve l'autorité nécessaire. Un désir de fraternité, oui mais accompagné d'une revalorisation de l'autorité dévalorisée et bafouée. Et ceci pour permettre notamment un dialogue pacifique entre toutes les religions et avec les laïcs. Et pour que ces dix-sept victimes ne soient pas mortes pour rien. Liberté d'expression, fraternité, tolérance, France multiculturelle, voilà les idéaux qui réunissaient ces millions des manifestants anonymes et spontanés qui ont suscité l'étonnement, puis l'admiration des pays étrangers. Cette France, toujours en guerre avec elle-même, se retrouvait solidaire, fraternelle, résolues, malgré toutes ses différences.

4. La Laïcité

Elle est la grande victorieuse, tellement au cœur de l'idéal de Charlie-Hebdo. Car c'est en son nom que le journal, depuis toujours, et souvent bien seul, s'autorisait à critiquer toutes les religions. Au nom justement de cette laïcité si chèrement et douloureusement acquises en France, et finalement en Europe. Mais dont on n'est si peu fière. Comme si nous avions peur encore de revendiquer la liberté qui découle de la séparation du religieux et du politique. « Je suis Charlie » porte autant la liberté d'expression que la laïcité, même si celle-ci est aujourd'hui moins revendiquée et reste la cause du massacre des journalistes. La force inouïe de ces « humoristes » était non seulement de revendiquer pleinement cette liberté de la presse, mais surtout de ne pas la séparer de la laïcité, c'est-à-dire du droit à la critique de toutes les religions... D'ailleurs les survivants ne manquent pas de dire « je suis Charlie signifie aussi le droit au blasphème ». Ou bien « le droit au blasphème est sacré ». Et malgré les résistances que suscite cette position, c'est Charlie dans son ensemble qui est devenu un symbole universel à défendre. Comme si depuis peu, par une sorte de glissement de sens, évident, la liberté d'expression signifiait aussi le droit de la laïcité. Là Charlie-Hebdo est dans une bataille d'avant-garde.

Mais la semaine tragique écoulée fait avancer considérablement cette cause. Comme si rassembler des français sur les valeurs de la République étaient aussi en tirer les conséquences pour la laïcité...D'ailleurs derrière cette bataille essentielle de la liberté se joue l'éternel affrontement entre citoyenneté et communauté. Bien sûr la laïcité est inséparable du statut de citoyen et l'on comprend dans ce temps de retour du communautarisme toute l'insupportabilité que représente la liberté du citoyen... L'Europe est d'ailleurs en retard dans cette bataille de la laïcité. Celle-ci fait pourtant partie de son patrimoine commun. En dépit de la diversité de ses statuts religieux. Déjà y domine le statut du citoyen, mais aussi, et sans toujours qu'elle le sache, cette culture de la laïcité qui est réellement notre bien commun. La laïcité c'est-à-dire la nécessité, tout simplement, de séparer le religieux du politique. Peut-être le plus beau patrimoine que l'Europe pourra offrir au monde, elle qui a connu tant de tragédies au nom de leur confusion, et au moment où cette tentation de redonner le pouvoir politique aux religions réapparait dans le monde.

5. La France, un symbole mondial

Elle est un symbole mondial, parce qu'elle est le symbole de tous les combats de la liberté. Si d'autres attentats terroristes ont été plus meurtriers dans le monde, ici c'était la liberté d'expression qui était visée, sans doute le patrimoine le plus universel de la démocratie. C'est pour cela que, pour une journée, Paris est devenue la capitale du monde. Avec quatre-vingt-cinq délégations dont quarante-quatre chefs d'états et de gouvernement. Un élément de fierté supplémentaire.

Non seulement le peuple disait non, mais le monde entier, aussi, se dressait. La francophilie, immense, qui s'est ainsi manifesté a aussi contribué à faire de la France le symbole de toutes les libertés. Mais le plus émouvant est sans doute que c'est la mobilisation considérable du peuple, sans aucune affirmation partisane, qui a forcé finalement les hommes d'états à se joindre à cette marche des libertés. Il y a avait deux cortèges celui du peuple, celui des politiques du monde entier, mais c'était le premier qui avait été déterminant. Ce qui explique cette situation inattendue : les chefs d'états et de gouvernements descendus dans la rue, à pied, marchant comme n'importe quel manifestant ! Un symbole où l'on retrouve la place essentielle de la rue et des manifestations dans la conquête des libertés dans l'histoire politique française.

L'autre symbole de cette manifestation des politiques, tout aussi émouvant, a été de voir la fragilité des hommes face à la tragédie de l'Histoire. Débarrassés des insignes du pouvoir, il s'agissait d'hommes, simplement, qui en marchant comme tant d'autres montraient leur détermination, mais aussi leur fragilité, en se tenant par le bras silencieusement. Fragiles, mais résolus contre le terrorisme, l'exprimant de la manière la moins ostentatoire, en marchant dans la rue. La conjonction de ces millions de manifestants, silencieux, applaudissant ou chantant la marseillaise, trouvaient leur symétrique et leur complément dans la marche des dirigeants du monde.

Encore des questions en suspend

Bien sûr ces cinq leçons ne masquent pas les difficultés. Comment repasser de l'unité nationale à l'affrontement classique inhérent au jeu politique ? Comprendre la faille ayant permis cette tragédie. Reconnaitre et penser enfin la réalité multiculturelle du pays et mieux en tenir compte. Réussir l'intégration des jeunes des milieux défavorisés qui campent aux portes de la société. Comprendre l'attrait pour le terrorisme islamiste. Réguler enfin les échanges sur Internet et y introduire les règles de droit. Contrôler mieux la circulation des terroristes en Europe. Surveiller le trafic des armes. Mais aucun des problèmes à résoudre ne supprimera la réalité de cette plus grande manifestation que la France ait connue depuis la libération, en faveur de la liberté, de toutes les libertés, de la fraternité et de la solidarité. Ces innombrables manifestants ont finalement transcendé les codes partisans, les divisions et conflits habituels pour retrouver l'unité nationale. Sans aucune arrogance. Un événement rare dans l'histoire de l'humanité et dans celle de la France. Un symbole de la démocratie. Une réponse à tous les terrorismes.

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Commentaires 11
à écrit le 16/01/2015 à 16:40
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Analyse pour le moins légère ! Et la France et l'Europe, vous les voyez comment ? Ces leçons n'en sont pas, copie à revoir !

à écrit le 14/01/2015 à 17:41
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Quand le bringuedzingue à abattu 80 personnes en Norvège il y a 3 ans, tout le peuple Norvégien est descendu dans la rue le lendemain matin avec la main sur le coeur, jamais çà plus jamais. En proportion de la population c' était plus important que c...

à écrit le 14/01/2015 à 13:23
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"" ...... directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication. ""... . Désolé de devoir vous dire que vous n' avez pas bien comprit les tenants et les aboutissants de tout ceci. . Si vous ne comprenez pas qu' à chaque panique bancaire:...

à écrit le 14/01/2015 à 7:37
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Non pitié, pas Dominique Wolton !

à écrit le 14/01/2015 à 0:07
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Point de vue d'un intellectuel parisien déconnecté de la réalité... Ce que j'ai entendu, sans cesse, dans mon gros village est l'inverse... On pourrai en effet très facilement retourné votre argumentation.

à écrit le 13/01/2015 à 21:30
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Le 11? Tout un symbole...

à écrit le 13/01/2015 à 19:18
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Bien sûr il est intéressant de prendre en compte ce qu'en pensent les professeurs et les journalistes, mais attention à la manipulation des esprits. Quel est le véhicule de la pensée unique, si ce n'est justement celui du professorat et de l'informat...

à écrit le 13/01/2015 à 19:09
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J'ai arrêté à démocratie, la démocratie m Wolton n'est plus au rendez-vous et depuis trop longtemps.. Une démocratie donne la parole médiatique à part égale à TOUS les partis, le même temps d'accès dans la téloche, la presse papier, la radio, rigour...

le 13/01/2015 à 21:28
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Oui, ce marketing me fait vomir. Quand va t-on penser le changement au lieu de changer le pansement?

le 13/01/2015 à 21:33
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Au sens étymologique, le mot décrivant le mieux le système politique dans lequel nous vivons, est : oligarchie (le pouvoir au petit nombre) et non démocratie (le pouvoir au peuple)

à écrit le 13/01/2015 à 18:55
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...Toujours des leçons et toujours des mémes gars. Dommage.

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