Fonctionnaires, ça suffit !

Par Denis Lafay  |   |  787  mots
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)
A vouloir défendre sans retenue la cause des fonctionnaires, les contempteurs socialistes du plan d'économies qui sera soumis au vote le 29 avril prennent le risque de les stigmatiser un peu plus au sein de l'opinion publique.

Mais quand donc la spirale cessera-t-elle ? Dans son étude publiée le 23 avril, l'INSEE estime à 5 372 600 le nombre de fonctionnaires (hors emplois aidés) en 2012, soit 15 000 de plus qu'en 2011. L'État a fait quelques efforts (suppression de 25 000 postes), mais dans le même temps les collectivités locales gonflaient leurs cohortes de 31 000 collaborateurs et les hôpitaux de 7 500. Le constat est d'autant plus ubuesque que la pyramide des âges confère à ces collectivités une plus grande marge de manœuvre pour contracter les effectifs.

Bien sûr, il est essentiel de savoir regarder la situation sans dogmatisme ni succomber à une analyse grossière et réductrice. D'abord le transfert d'un certain nombre de compétences de l'État vers les collectivités justifie des recrutements, d'autre part la complexe gestion des ressources humaines dans un secteur hospitalier qui ne s'est jamais remis des 35 heures, n'est pas non plus étrangère au phénomène. Et toujours, dans les deux cas, domine l'enjeu de maintenir des services publics à un niveau au moins décent.

Insupportable

Mais que le message est délétère au moment où le gouvernement négocie dans la douleur avec une partie de sa majorité un soutien ferme au plan d'économies de 50 milliards d'euros ! Il est également inaudible dans une France que nombre de citoyens comme d'entreprises traversent tête baissée, sans guère d'horizon ni d'espérance et pourtant sommés de produire des efforts pour nombre d'entre eux insurmontables.

Employeurs et employés précaires peuvent-ils supporter encore longtemps les insupportables régimes spéciaux qui octroient des départs à la retraite à 52 ans ? Peuvent-ils supporter autant moralement que pécuniairement un tel bondissement du corps des fonctionnaires quand une partie de ces recrutements servira finalement à corriger l'impardonnable : l'abrogation du jour de carence ? Institué par le gouvernement Fillon en 2012, ce jour de carence - il est de 3 dans le secteur privé - avait permis, selon certaines études, de faire chuter de 43% dans les collectivités et de 40% dans les hôpitaux le nombre d'arrêts de travail d'une journée.

Faire société

A l'origine de cette supercherie en 2013, une ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, finalement illustration de tout ce que la gauche est capable de fomenter contre elle-même, contre ses propres intérêts. Surtout, contre ses racines, son ADN, sa raison d'être.

En effet, jamais peut-être, dans une conjoncture aussi dure, la fonction publique d'État ou territoriale n'a été aussi essentielle. Essentielle en premier lieu pour colmater les brèches d'une société fracturée, compartimentée, inégalitaire, c'est-à-dire pour essayer de maintenir, même friables, un lien et une équité grâce auxquels « la société fait encore société ». C'est d'ailleurs là que réside la substantifique moelle de la fonction publique.

Or rien n'est plus efficace, pour détruire la considération publique pour une caste, que de saisir combien celle-ci bénéficie de conditions devenues « privilèges » de plus en plus inaccessibles ou insupportables. Recrutements pléthoriques, conditions d'emploi uniques, dispositifs de protection sociale inégalés, mais aussi taux d'absentéisme et, empiriquement, insuffisante productivité caractérisent les collectivités locales. Au sein desquelles, d'autre part, est observé un malaise social et humain réel, inhérent à un sentiment élevé de déconsidération et à des moyens ou à des leviers managériaux inadaptés.

Deux France

Mais n'est-ce pas de l'exemplarité des fonctionnaires que dépendent la sanctuarisation de la fonction publique et donc la force de faire « sens commun et altruiste » alors que plus rien ou presque n'y exhorte naturellement ? Parce qu'ils ont une mission d'intérêt général financée par la collectivité, les fonctionnaires ont le devoir d'honorer le privilège. Surtout lorsque le combat fait rage dans « l'autre » France, celle du privé, des demandeurs d'emploi, des précaires, des pauvres, des endettés, ou des « mal nés ».

Bien sûr, la grande majorité de ces fonctionnaires ne déshonore pas ledit privilège. Au contraire, ce que les infirmières accomplissent par exemple au regard de revenus inadaptés à leurs cursus et à leurs responsabilités en témoigne. Mais tout comportement coupable ou toute mesure gouvernementale consolidant les dérives scindent l'opinion publique à leur égard. Ils représentent 20%. Faut-il s'étonner que 73% des Français soutienne la décision de Manuel Valls de geler leur indice de salaires et les effectifs consolidés ? A refuser de traiter la fonction publique avec responsabilité et en considération des 80 autres % de la population, c'est-à-dire simplement avec équité, les députés « frondeurs » retournent contre leur électorat de base tout ce que la grandeur de sa mission mérite.