Sylvie Goulard : "Il faut sortir du principe d'unanimité"

Par Propos recueillis par Jean-Baptiste Labeur  |   |  1229  mots
©Stéphane Audras/Rea
Sylvie Goulard est tête de liste UDI-Modem pour la circonscription du Grand Sud-Est pour les élections européennes du 25 mai 2014. Gouvernance, intégration, fiscalité, compétitivité, elle répond aux questions d'Acteurs de l'économie.

 Acteurs de l'économie : L'Europe est-elle naïve dans son approche de la concurrence mondiale?

Sylvie Goulard : Il est abusif de dire que l'Europe est naïve. Les allocataires de la PAC ont par exemple, bénéficié de la préférence communautaire. Mais il y a des secteurs que l'on peut améliorer. Il y a des pratiques commerciales déloyales. Mais nous avons les instruments pour cela. Le tout est de les utiliser. Il faut se donner les moyens d'appliquer les règles.

Je vous donne un exemple, l'Union douanière est une des rares compétences des 28. Ce sont des douanes nationales qui contrôlent dans chaque pays les entrées de marchandises. A Naples ou à Rotterdam, on ne travaille pas de la même façon. J'attends de l'UE une stratégie avec moins de mesures de protections, plus de contrôles et un véritable corps de douaniers européens. Moi, je suis surtout inquiète de la montée en puissance d'économistes qui revendiquent plus de protectionnisme.

 Certains avancent l'idée d'une Europe à plusieurs vitesses ?

L'Europe à plusieurs vitesses existe déjà avec la zone euro. Les traités prévoient la possibilité pour les Etats membres d'avancer sur des questions communes, à condition d'être au moins neuf. Ce débat sur un noyau dur et les thèses archaïques de Laurent Wauquiez, c'est un faux débat.

Nous avons les outils adéquats pour adapter les institutions. Nous, nous souhaitons un gouvernement politique de l'euro. On a fait l'élargissement pour de bonnes raisons. Le problème c'est quand on refuse ensuite d'avancer. On ne gouvernerait pas une commune ou un pays à l'unanimité. Avec le principe de l'unanimité que vous soyez 28 ou 6 ça se bloquera. Il faut des lieux et des procédures où l'on aplani les divergences pour avancer.

La raison de la désaffection des citoyens pour l'Europe, c'est la différence entre ce qu'on a prétendu faire et la réalité. Par exemple, sur la diplomatie, on a créé un poste, confié la mission à Catherine Ashton mais avec quels moyens? Il y a une illusion à tout vouloir imputer à l'Europe. Mais je suis persuadée qu'on peut sortir de ce marasme.

Peut-on envisager une fiscalité européenne ?

Si on veut faire une Europe fiscale, il faut déjà sortir du principe de l'unanimité. Je pense que l'UE s'honorerait aussi à respecter le marché intérieur. Prenons l'impôt sur les sociétés, il faut la même assiette pour tous et une fourchette de taux dans laquelle chaque état peut s'inscrire. Dans ce domaine il faut proposer des choses qui puissent convenir à nos partenaires.

On peut imaginer d'autres impôts d'une autre nature pour financer un budget européen. On peut aller vers un verdissement des taxes. Prenons l'éco taxe, on voit bien la difficulté de la mettre en place dans notre seul pays. Les transports et les échanges de marchandises, c'est le marché interne européen. Il faut mettre dans le panier d'une fiscalité commune ce qui concerne le grand marché européen, y compris la fiscalité de l'épargne.

La taxe sur les transactions financières va-t-elle dans le bon sens ?

Je suis réservée. Je ne suis pas contre le principe, mais je crois qu'on est parti sur une fausse piste. Il manque des pays de la zone euro. De la part des Etats on a observé une schizophrénie, avec des déclarations dans un sens et des réalités dans l'autre. Au final, on a exclu les produits dérivés, la dette et on se retrouve avec quelque chose de mal taillé, qui aura, je pense, des conséquences sur les entreprises. Ce n'est pas un bon résultat. On encourage une évasion des capitaux vers Londres ou Singapour.

Etes-vous favorable à l'instauration d'un SMIC européen ?

C'est une mauvaise idée. Non pas qu'il ne faille pas un revenu décent pour tous. Mais que veut dire SMIC européen ? Le SMIC dépend aussi des conditions de chaque pays, des conditions du coût du logement… Ce n'est pas un SMIC décidé à Bruxelles qui permettra de faire avancer les choses. Mais on peut voir à ce que chaque État travaille vers un revenu décent pour les citoyens.

Quelle est votre vision des relations entre l'Europe et la Méditerranée ?

J'étais septique sur l'Union de la Méditerranée imaginée par Nicolas Sarkozy. C'était parti de travers. Imaginez, on pensait établir un grand partenariat, une grande Union avec des dictateurs comme Kadhafi. Cela revenait à faire l'Europe avec Hitler ou Mussolini. Ensuite il y a eu les Printemps arabes. La zone est aujourd'hui instable, mais avec des points sur lesquels il faut s'appuyer. Je pense notamment à la Tunisie, où l'on peut commencer avec des projets concrets : éducation, agriculture, etc.

Mais le problème de la Méditerranée se règlera, quand on arrêtera de penser qu'il s'agit d'un problème de pays riverain. C'est une question globale qui doit intéresser la Pologne ou la Finlande et pas seulement les pays riverains de la Méditerranée.

Une remise à plat des accords de Schengen est-elle souhaitable ?

Là on est dans le délire. La Roumanie ou la Bulgarie sont hors de Schengen. Schengen c'est quand même ce qui permet à des milliers de frontaliers français d'aller bosser tous les jours en Allemagne, en Belgique, où ailleurs. Ce qui nous permet de couper les files dans les aéroports. On a oublié comment on voyageait avant Schengen. Après, ponctuellement, il y a la possibilité d'examiner des assouplissements. S'il y a des abus ou des afflux de personnes, c'est prévu par les traités.

Derrière se pose la question des migrants...

Il y a un besoin de politique commune par l'UE, sur des questions avec une vraie police aux frontières européennes, et non des nations. Il faut une approche beaucoup plus globale. On ne peut pas abolir les frontières internes et en rester là.

Quelle est l'influence des eurodéputés français aujourd'hui quand on voit qu'ils sont nombreux à ne pas siéger ?

Le FN a beau jeu de dire que rien ne se fait à Bruxelles, que l'Europe ne sert à rien, mais ils ne font rien eux-mêmes…Quand vous avez un vrai réseau européen vous pouvez peser au Parlement. Il y a des partis qui se servent de l'UE et qui foulent l'UE. Ils n'ont aucun scrupule et c'est pour ça que nous avons ce débat farfelu en France.

Ce qui me fascine c'est que la plupart des partis, pour ce scrutin, font des propositions, pour une Europe dont nos partenaires ne veulent pas.

La vérité c'est qu'une grande partie des difficultés de la France vient de la France. On a ici une tendance au bouc émissaire. Je veux bien qu'on parle du bilan de l'euro fort mais la plupart des positions vendues en France ne sont pas imputable à Bruxelles. L'appareil productif français est plombé et ce n'est pas la faute de l'UE. Des pays comme l'Italie ou les Pays-Bas sont des exportateurs excédentaires. Les conditions du marché sont les mêmes avec un euro fort et ils exportent, alors qu'en France nous perdons des parts de marché.