Toute forme de violence est subjective

Par Nicolas Rousseau  |   |  645  mots
Eric de Montgolfier, Michel Wieviorka et Martine le Boulaire étaient les intervenants de cette conférence.
Martine Le Boulaire, directrice d'Entreprise & Personnel Lyon, Éric de Montgolfier, ancien procureur de la République, et Michel Wieviorka, sociologue, étaient réunis à l'invitation d'Acteurs de l’Économie-La Tribune pour interroger la violence. Qu'elle s'exprime à l'école, dans la sphère politique ou dans l'entreprise, elles prend des formes diverses. Physique ou symbolique, elle est la conséquence de mécanismes qu'il s'agit de mieux comprendre.

Définir la violence n'est pas chose aisée. Le sociologue Michel Wieviorka s'y risque pourtant. « Il s'agit d'une atteinte portée à l'intégrité physique ou morale d'un individu ou d'un groupe. » Mais immédiatement de tempérer. « La violence est par nature subjective ». Et Éric de Montgolfier, ancien procureur de la République, de le rejoindre : « L'appréciation de la violence dépend de l'individu. Apprécier celle que l'on ressent est très différent de mesurer celle que l'on fait subir. » D'où la nécessité pour Martine Le Boulaire, directrice d'Entreprise & Personnel Lyon, de contextualiser la violence, la ramener à une époque, à un territoire.

Martine Le Boulaire, directrice d'Entreprise & Personnel Lyon (Crédits photos : Emmanuel Foudrot/Acteurs de l'économie).

Et les trois, réunis à l'invitation d'Acteurs de l'Économie-La Tribune dans le cadre du cycle de conférences « Tout un programme », de s'interroger, sous la houlette de Claude Costechareyre, sur l'usage même des mots, porteurs d'une charge. Parler de violence à l'école, dans la sphère politique ou encore au travail, ne relève-t-il pas d'un abus de langage ? Michel Wieviorka leur préfère des termes comme « contrainte », « pression », « obligation »... qui peuvent être vécus comme des formes de violence mais qui, pour Éric de Montgolfier, constitue des formes de violence nécessaires et bénéfiques.

Bourdieu et la violence symbolique

Pour Eric de Montgolfier, il est nécessaire de distinguer deux formes de violence : celle qui s'exprime, la violence physique, et celle indicible, sous-jacente, qui ne se voit pas, la violence symbolique. Empruntant le vocable de Pierre Bourdieu, Michel Wieviorka en dessine les contours : « Il s'agit pour un groupe dominant d'imposer ses modes de pensées à tel point que le groupe dominé n'est plus en capacité de penser lui-même sa situation. » Ce recours au concept de violence symbolique permet de s'affranchir, de sortir, de dépasser la seule violence physique.

Michel Wieviorka, sociologue (Crédits photos : Emmanuel Foudrot/Acteurs de l'économie)

Mais le sociologue de mettre en garde : violence physique ou violence symbolique, si l'on insiste trop sur la souffrance subie comme cause de la violence, on aboutit presque à une déresponsabiliser leur auteur. Pourtant, pour l'ancien procureur de la République, « il est essentiel,  de pourvoir entendre toutes les parties. Il faut s'obliger à tenter de comprendre les mécanismes qui mènent à la violence. » Et de pointer la misère, la pauvreté, l'exclusion.

Eric de Montgolfier, magistrat (Crédits photos : Emmanuel Foudrot/Acteurs de l'économie)

Autorité et quête de sens

Dans notre société, pour mettre en défaut ces mécanismes, ne doit-on pas compter sur l'école ? L'institution scolaire doit permettre à l'individu de s'émanciper, de se construire. Mais l'école de la République est en crise et se révèle incapable de répondre à ces attentes. « En tant que lieu de socialisation primaire, tout comme l'armée ou la religion, elle s'est effondrée, déplore Martine Le Boulaire. C'est pourquoi l'on demande à l'entreprise de remplir un rôle de socialisation, d'intégration à la société. »

À l'école comme dans l'entreprise, il y a nécessaire acceptation de la contrainte, de l'obligation, de la hiérarchie. Cette acception répond à la demande, au besoin d'autorité. Celle-ci ne s'exerce de manière légitime qu'à condition de participer à donner du sens à l'action de ceux sur lesquels elle s'exerce dans un contexte de perte de repères et de manque de compréhension. « Plus qu'un contexte, il s'agit d'une véritable et profonde transformation socio-économique », constate Martine Le Boulaire.

Rejointe par Michel Wieviorka, pour qui, « on ne doit pas parler de crise, mais véritablement de mutation de la société ». Une mutation si radicale qu'elle obscurcit notre horizon. Si profonde qu'elle doit nous amener à rechercher du sens dans l'autre et à réinventer les bases du vivre-ensemble.